Interview

Les 20 ans de Cécile Duflot : "Mes études n’ont fait que renforcer mes convictions"

Par Propos recueillis par Isabelle Maradan, publié le 19 octobre 2010
1 min

À 20 ans, Cécile Duflot était en licence de géographie et s’assumait en enchaînant les jobs. Secrétaire nationale des Verts lorsque nous l'avons rencontrée, la ministre de l’égalité des territoires et du logement a décroché un DEA (actuel master recherche) de géo avant de se diriger vers une école de commerce. Un parcours dessiné par l’envie et un esprit aventurier.


Cécile DuflotQuels souvenirs gardez-vous du lycée ?
 
Mitigé côté lycée et très bon pour tout ce qui était extrascolaire. J’avais fait le choix que l’essentiel de ma vie ne soit pas au lycée. Et j’avais la chance d’être bonne élève sans avoir besoin de travailler beaucoup. J’ai fait un bac B (ancien bac ES) au lycée André-Malraux de Montereau-Fault-Yonne (77). Je garde un très bon souvenir des relations amicales de cette époque.

Y a-t-il des enseignants qui vous ont marquée ?

 
En première, on a eu une histoire humaine très particulière avec le prof de français. Il était malade du sida à une époque où cette maladie faisait encore l’objet d’un tabou. Et grâce à une pétition, on a obtenu qu’il garde juste notre classe. Il était très charismatique. Tout le monde était suspendu à ses lèvres. Je me souviens aussi de ma prof d’éco en première et terminale. Une femme très impliquée. Elle politisait – au sens noble du terme – beaucoup ses cours. Elle insistait sur la manière dont les théories étaient mises en place ou pas et sur les conséquences des choix économiques.

À ce moment-là, aviez-vous déjà une conscience politique ?

 
J’étais déjà très concernée par la marche du monde. En première et en terminale, nous avions des discussions politiques homériques pendant les intercours. Et puis j’appartenais à un mouvement d’éducation populaire historique, la JOC [Jeunesse ouvrière chrétienne, NDLR], identifié comme catholique mais qui brassait une population très large, comprenant aussi des musulmans pratiquants.

Comment vous êtes-vous décidée à aller en fac de géographie après votre bac B ?

 
J’étais dans l’attente de découvrir ce que j’avais vraiment envie de faire. Un soir, après une fête, un ami qui faisait une fac de fac de géo m’a parlé de tout ce qu’il y apprenait, en particulier la géomorphologie, c’est-à-dire la manière dont se forment les montagnes, les littoraux… J’ai choisi géo parce que j’ai trouvé ça rigolo et original, alors que l’on croit généralement que cela consiste à faire des cartes. Ce n’était pas très réfléchi.

Les études de géographie vous ont-elles plu ?

 
J’ai adoré. À Paris 7-Jussieu, j’avais des enseignants fabuleux et toujours l’impression d’apprendre, dans un groupe d’étudiants très sympathiques. Déjà intéressée par une forme de politique, je me suis rapidement penchée sur les questions urbaines : l’organisation de la société, l’aménagement urbain… Ce qui était un peu particulier, c’est que j’ai eu mon 1er enfant en même temps que mon DEA [diplôme d’études approfondies, actuel master recherche].

Étiez-vous indépendante financièrement pendant vos études à la fac ?

 
J’ai eu envie de vivre ma vie très jeune. Je suis partie de chez mes parents à 17 ans et 2 mois pour m’installer dans une cabane de 25m2 au fond du jardin de mon grand-père de 82 ans, à Villeneuve-Saint-Georges (94). Pour lui payer un petit loyer et être indépendante, j’enchaînais les jobs : télémarketing, standard, baby-sitting… J’ai aussi testé des médicaments, corrigé des encyclopédies et même livré le catalogue des 3 Suisses !

Pourquoi avoir fait l’ESSEC après la fac ?

 
Je ne voulais pas faire de thèse parce que je trouvais que l’ambiance dans le milieu de la recherche universitaire était humainement difficile et que j’étais curieuse d’autre chose. J’ai passé 2 concours : celui de directeur de la Protection judiciaire de la jeunesse et le concours d’entrée à l’ESSEC, parce que l’amie d’un étudiant de la fac le passait. J’ai eu les 2. J’ai choisi l’ESSEC en apprentissage parce que cela me permettait de financer les frais de scolarité [en apprentissage, l’étudiant n’en paie pas, NDLR] tout en gagnant 60 % du SMIC (salaire minimum interprofessionnel de croissance) par mois. Cela me plaisait bien de commencer à travailler. Et puis sans cela, je n’aurais jamais pu me payer ces études : cela représentait environ 45.000 francs (6.850 €) par an.

Étiez-vous déjà engagée politiquement lorsque vous étiez à l’ESSEC ?

 
Oui, et l’univers de l’ESSEC ne faisait que renforcer mes convictions. Certains étudiants partaient en week-end à New York dépenser en 3 jours le budget que j’avais pour 3 mois. C’était hallucinant ! Ils n’avaient pas les mêmes préoccupations, pas la même vie. D’autant que j’avais déjà un enfant. Les premiers temps ont été difficiles. Après, j’ai trouvé des gens avec qui je me suis bien entendue. Mon engagement chez les Verts est arrivé à ce moment-là. D’abord parce que la vie municipale de Villeneuve-Saint-Georges ne me convenait pas du tout. J’ai eu envie d’arrêter de protester dans mon coin et de m’impliquer dans la vie de ma commune, et je me suis rapprochée des Verts locaux. Ils m’ont convaincue de rester avec eux alors que j’avais d’autres préoccupations, après avoir eu 2 autres enfants pendant mes années à l’ESSEC.

En quoi consistait la partie professionnelle de vos deux années en alternance ?

 
J’aurais pu m’occuper du fret à la SNCF, mais j’ai choisi une sorte de PME qui travaillait sur les questions de logement social. J’ai fait un choix de curiosité et de cœur davantage qu’un choix rationnel. Je suis venue pour travailler sur des questions de mobilité et le directeur de la structure est devenu président d’un festival sur les questions urbaines, qui n’existe plus. Il m’a proposé de travailler avec lui là-dessus. Du coup, je me suis retrouvée à m’occuper de budget, avec une implication très concrète et une grande confiance de la part de mon patron, qui était aussi mon maître d’apprentissage. J’ai appris à vitesse grand V.

Que retenez-vous de ce que vous a appris votre maître d’apprentissage ?

 
Il a eu plusieurs bons conseils. D’abord d’avoir des bases solides, de ne pas se précipiter. Ensuite, il était très très exigeant, ce qui était difficile mais formateur. Surtout, il a un sens de l’entrepreneuriat très développé. Je continue d’ailleurs aujourd’hui à travailler dans cette entreprise tout en changeant de fonction. D’abord à temps plein, puis à temps partiel depuis mon entrée à la direction des Verts en 2003. J’ai travaillé au développement de 3 filiales du groupe dans le secteur de l’économie sociale et solidaire autour du logement et de la rénovation urbaine.

Quel est le meilleur conseil qu’on vous ait donné ?

 
De ne pas réfléchir exclusivement en termes de débouchés professionnels, parce que le monde est mouvant et que je pense qu’on est plus adaptable qu’on ne le croit.

Et vous, que diriez-vous aux jeunes qui s’interrogent sur leur orientation ?

 
Par principe, je ne donne pas trop de conseils. Je raconte juste mon histoire. Je demande s’ils s’amusent aussi, parce qu’on doit pouvoir s’amuser quand on fait des études, avoir l’impression d’apprendre, de découvrir… Je ne crois pas du tout à la théorie de la professionnalisation très tôt. Quand on a 18-20 ans, la société doit nous donner la possibilité de s’ouvrir l’esprit, de choisir, d’être libre. Or les jeunes sont sous la pression en permanence : celle de leurs parents, de la société… sans compter leurs propres inquiétudes. Il faut réfléchir avant tout à ce qu’on a envie de faire, soi. Lorsque l’on choisit les choses qui nous font plaisir, on est en général meilleur, on a plus envie. Je ne regrette pas d’avoir résisté à ma mère, à ma marraine et à ma grand-mère, qui voulaient absolument que je fasse des études scientifiques et un bac S parce que c’est ça qu’il "fallait". Bien sûr, il faut faire en sorte que les études soient utiles, mais il ne faut pas se tuer à ça. La vraie vie est ailleurs !


Biographie
1975
: naissance le 1er avril à Villeneuve-Saint-Georges (94).
1992 : obtient un bac B (actuel bac ES), s’inscrit en géographie à l’université de Paris 7-Jussieu et décide de devenir autonome, à 17 ans.
1995 : décroche sa licence de géographie.
1997 : passe son DEA (diplôme d’études approfondies, actuel master recherche) de géographie.
1997 : naissance de son 1er enfant.
1998 : réussit 2 concours, celui de directeur de la PJJ (Protection judiciaire de la jeunesse) et le concours d’entrée à l’ESSEC.
1998 : entame 2 ans d’études en alternance à l’ESSEC pendant lesquels elle donne naissance à 2 enfants et se rapproche des Verts de sa commune.
2000 : sort diplômée de l’ESSEC.
2006 : est élue secrétaire nationale des Verts.
Mars 2010 : prend la présidence du groupe Europe Écologie au Conseil régional d’Île-de-France.
 

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