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Soirées médecine : « biture express » chez les étudiants

Par Julia Zimmerlich, publié le 01 septembre 2010
7 min

A chaque soirée, les étudiants jouent leur intégration dans la communauté. Sexe, drogue et/ou alcool, le triptyque gagnant d’une soirée « réussie » pousse les jeunes à la sur performance dans l’alcool défonce. Plongée dans une soirée de fin d‘année en médecine.

22h00 Tenue de combat


Une semaine que mon entourage me met en garde contre les supposés "débordements" des soirées médecine : "Tu vas voir, dans ces soirées, c’est l’orgie", "surtout ne bois rien, on ne sait pas ce qu’ils mettent dans les verres". Préparée au pire pour cette soirée de fin d’année de la fac de médecine Paris 5, je retrouve mes vieux réflexes d’étudiante. J’enfile mon "jean de soirée" et mes converses infatigables (j’ai bousillé trop de chaussures dans le fameux "jus de soirée", ce mélange de bière et d’alcools variés qui tapisse le sol des boites).


23h45 Préchauffe


soiree medecine"Les filles, j’enchaîne depuis 18 heures, je suis défoncée", rigole Lucie, 22 ans, devant l’entrée de la boite-péniche. Une centaine d’autres étudiants attendent l’ouverture des portes depuis une demi-heure. Pour faire passer le temps, la plupart se pré-chauffent, avec une bière ou un mélange fait maison de rhum-orange. Paf ! Le groupe de Lucie s’ouvre une bouteille de champagne. "C’est la soirée des 6ème année ce soir. Ils viennent de passer le concours de leur vie, l’internat. Ils n’ont pas mis le nez dehors depuis 3 mois, m’explique David, 21 ans, avant de reprendre une gorgée de sa bouteille de rosé. Rien de mieux qu’une bonne défonce pour relâcher la pression." Une jeune fille à l’entrée échange notre pré-vente (à 18€) contre des "tickets boissons". 10 hard, 10 soft, par personne. L’équivalent d’une demie bouteille d’alcool fort. Depuis l’interdiction des open bars par la loi Bachelot (2009), les BDE (Bureaux des élèves) en charge de l’organisation des soirées, contournent la difficulté avec la distribution de tickets ou de bracelets à trous. "En cas de descente de flics, on est en règle. Mais on boit toujours autant", m’explique un étudiant en rigolant.


00h30 Whisky-coca ou vodka-pomme ?


soiree medecine alcool Les plus téméraires resteront 5 heures dans l’ambiance moite et l’odeur de transpiration des soirées précédentes de la salle de danse. Les autres picolent sur le pont de la péniche. Au bar, les mélanges sont balisés : whisky-coca, vodka-pomme ou bière. Ce soir, il n’y aura ni distribution de bracelets fluorescents, ni danseuses professionnelles offerts par les marques d’alcool. Attirés par le marché très lucratif des jeunes, les "alcooliers" sont normalement des habitués des soirées étudiantes. Sur la piste de danse, un petit groupe de filles délurées ondulent, toutes un verre à la main. L’une, hilare, donne des coups de bassin sur les fesses de sa copine. Une autre est écroulée sur un canapé, loin dans les délires de l’alcool.


01h30 Record à battre


soiree medecine alcool"Record à battre les mecs : 8 galettes en une soirée", la bande de Pierre, 23 ans, répond avec des râles de plaisir à ce nouveau défi. Et hop, ils avalent cul sec la fin de leur verre. Pierre se lève et part affronter la cohue au bar pour une nouvelle tournée. Les trois-quarts des étudiants sont agglutinés sur le pont de la péniche. Par petits groupes, ils sifflent leurs tickets. Personne ne semble boire sous la contrainte. Mais comment en être sûre ? "Il n’y a rien de pire que de se retrouver dans une soirée sans avaler une goutte d’alcool, raconte Sophie, 22 ans, 3 verres de whisky-coca et deux bières dans le sang. Même si parfois on va un peu trop loin, les soirées seraient d’un ennui mortel. Si tout le monde boit, t’es obligé de suivre le rythme pour être au même niveau" Pression de groupe, hyper alcoolisation, oubli de soi, les soirées étudiantes empruntent de nombreux codes du bizutage. Sur le pont, il n’y a pas de musique, mais ils sont obligés de crier pour se parler. "C’est mort ce soir, philosophe Guillaume, en 3ème année de médecine. Y a quasiment que des étudiants de 6ème année. Ils ne savent plus boire. C’est chiant." Sa copine Sophie confirme : "C’est pas une soirée normale. D’habitude les mecs sont à poil." Et les filles ? "A poil aussi !" Pour Ousseynou Ngom, auteur d’un mémoire sur Les Jeunes et l’alcool, cette baisse de consommation d’alcool au bout de 2 ou 3 ans d’études, "n’est pas une question de maturité ou de prise de conscience. Une fois que vous êtes accepté et reconnu dans le groupe, vous n’avez plus besoin de faire vos preuves."


02h15 Roi de la choppe


soiree medecine sexe Accoudé au bar, Mathieu porte la faluche : un béret de velours rouge, recouvert de pin’s, de rubans colorés, d’un mousqueton, d’une petite corde d’escalade… Comme tous ses camarades faluchards, il fait partie de la « corpo » de la fac, l’équivalent du BDE. Pour intégrer ce cercle très fermé des "durs", Mathieu a passé toutes les étapes. Mais la mise à l’épreuve ne s’arrête pas là, "à chaque soirée, nous honorons les 4 piliers de la vie : la fête, la bouffe, l’alcool, le sexe", explique le faluchard, imbibé d’alcool. Ce soir il manque la bouffe, mais la tension sexuelle est partout. Juste à coté, j’entends un étudiant dire à ses potes : "Bon les mecs, on va choper ou pas ? Là il faut qu’on se bouge !". Dans la queue des toilettes des filles, Delphine, 20 ans est déçue : "J’ai pas réussi à choper ma target" [comprendre : elle n’a pas réussi à embrasser le garçon qui lui plaisait]. Sa copine, Pauline m’explique son truc pour draguer. "Moi je suis une fille faluche. J’ai qui je veux." Je connaissais les compétitions de chopes en soirée, mais là je remballe mes idées fleurs bleues.


03h00 Drogues dures

De retour à l’étage, sur le pont de la péniche, une horde de zombies se meut au ralenti. Chacun prend appui sur les autres pour tenir debout et se frayer un chemin. Les gestes sont maladroits, les peaux moites. Luc me bouscule. Il pose sa main sur mon épaule et me dit péniblement, les yeux quasiment fermés par l’alcool : "Pardon, je t’avais pas vue". Ni moi, ni la cuite. Installés autour d’une table, 4 étudiants préparent discrètement des lignes de cocaïne. Ils ne voudront pas en parler, mais cette pratique s’est banalisée dans les soirées étudiantes ces dernières années. "Le sujet est tabou, analyse Ousseynou Ngom. Contrairement à l’alcool, la consommation de cocaïne n’est pas assumée. On sait que le prix de vente de cette drogue a fortement diminué ces dernières années, mais on ne dispose d’aucun chiffre précis sur sa consommation."


03h45 Dernier tour de piste


A l’écart dans une autre salle, une étudiante lutte contre le trou noir de l’alcool. Assise face au mur, les mains sur les cuisses, la tête baissée, elle attend que ses hallucinations passent. Une copine passe par là, "ca va ?" Réponse "Hum". Sans commentaire, la copine s’en va. La scène est trop banale pour pouvoir s’en inquiéter. Ce soir il n’y a pas d’équipe du Samu sur place. A la demande des administrations des établissements, certains BDE anticipent les bitures et réservent un stand au Samu ou à la Croix rouge, directement à l’entrée de la boite. Des mesures pas forcément efficaces pour encadrer la défonce… Un spécimen s’approche de moi : "Je sens que cette demoiselle a très envie de voir ma b..." Je le coupe avant de connaître la suite. Il part exhiber ses attributs un peu plus loin. Je fais un dernier tour avant de partir. Les coins sombres sont tous occupés par des corps qui se caressent. Les faluchards font le siège du bar. Les derniers résistants sur la piste de danse, dégoulinent de sueur. Ce soir, les futurs médecins n’ont pas joué leur grand numéro de débauche. Il y a encore des partiels la semaine prochaine. Preuve que le groupe n’a pas toujours le dernier mot.

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