Enquête

Lycées de banlieue au top. À Roubaix, les profs de Jean-Moulin à l'école de la bienveillance

Ces lycées de banlieue qui boostent leurs élèves
À Jean-Moulin, enseignants et élèves échangent beaucoup. © Ian HANNING/ REA
Par Erwin Canard, publié le 14 novembre 2017
5 min

Esprit de famille et encouragement : tels sont les maîtres mots des enseignants de Jean-Moulin, à Roubaix, qui permettent au lycée d’outrepasser et de combattre les difficultés du lycée d’une des villes les plus pauvres de France. Quatrième volet de notre série sur ces lycées de banlieue qui boostent leurs élèves.

Au bord du boulevard Général-de-Gaulle, à Roubaix, se trouve le lycée Jean-Moulin. Un beau quartier, "bourgeois même, selon Sabine de Yrigoyen, proviseure adjointe. Pas de barres d’immeubles et nous ne sommes pas là dans ce que l’on qualifie trivialement une 'cité'". Et pourtant. "Quand des visiteurs viennent au lycée, ils ne s’attendent pas à y voir ce type de population", poursuit-elle. "C’est le même public que les quartiers nord de Marseille ou de Seine-Saint-Denis", renchérit Éric Maquer, le proviseur.

Dans cette ville qui, depuis de nombreuses années, accapare le haut du classement des villes les plus pauvres de France, Jean-Moulin accueille 70 % de boursiers, 64 nationalités différentes et seulement 2 % d’enfants de cadres supérieurs. "C’est l’image du “lycée poubelle” du secteur", indique François Da Rocha, professeur d’histoire-géographie. Il se situe à quelques pas d’un autre lycée, Baudelaire. "C’est le jour et la nuit en termes de population, compare Steeve, en terminale ES. Les gens, là-bas, disent que Jean-Moulin, c’est le zoo !"

Au-delà de l’insulte, les difficultés des lycéens de Jean-Moulin sont réelles : "Si vous prenez une liste de celles que peuvent connaître des élèves, elles sont toutes réunies dans une classe ici : des élèves qui ne savent pas écrire, qui viennent d’arriver en France, qui n’ont jamais ouvert un livre, d’autres pour qui travailler serait la dernière bêtise à faire…", énumère François Da Rocha. Un constat qui se traduit dans le taux attendu de réussite au baccalauréat : 72 % en 2016. Or, le taux de réussite réel, la même année, atteint 82 %.

Des professeurs bienveillants

L’explication se trouve en partie dans la relation professeurs-élèves. "Il y a un côté familial, un certain cocooning", décrit Éric Maquer. "Si on croise les professeurs dans les couloirs, ils sont toujours sympas avec nous. Si on a des différends, ils font les intermédiaires et règlent le problème", souligne Yanis, en terminale ES. Ainsi, pour Hamid Boujnane, professeur de mathématiques, "l’atout numéro un du lycée est l’équipe enseignante. Les professeurs qui sont là et qui restent ont envie d’être ici. À partir de là, il y a de la bienveillance envers les élèves." Comment celle-ci se traduit-elle au quotidien ? "C’est un ensemble de petites choses compliquées à définir, relève François Da Rocha. C’est comme si on se demandait : 'Comment ça marche, une famille ?'"

Redonner confiance

Les enseignants tentent d’instaurer un état d’esprit. "Nous faisons un gros travail sur l’estime de soi, mais ce n’est pas quelque chose de formel, insiste Éric Maquer. C’est un travail au long cours, fait de relations pédagogiques bienveillantes, d’évaluations constructives plutôt que sommatives."

"Si on demande de réexpliquer, les professeurs réexpliquent. Ils ne veulent pas qu’on sorte de la salle sans avoir compris", raconte Steeve. "Ils ne sont pas là pour enfoncer un élève quand il n’y arrive pas", complète Yanis. Les enseignants essaient de faire comprendre aux élèves que, eux aussi, "sont capables de réussir". "Le système les a broyés et on leur a souvent dit : 'Si tu continues comme ça, t’iras à Jean-Moulin !' Nous mettons de l’humain derrière un système. Il s’agit de donner de la confiance à des gamins qui n’en ont pas", explique François Da Rocha. "La réussite dépend beaucoup de la confiance. À partir du moment où on a confiance, on ose", ajoute Hamid Boujnane.

Enseignants et élèves échangent beaucoup. Dans les couloirs, avec une "tape dans le dos" amicale, sourit François Da Rocha, ou bien par Internet. Cela, ajouté aux dispositifs du lycée – tutorat, projets en lien avec l’université, etc. –, permet de "réconcilier certains élèves avec l’école", selon Hamid Boujnane. Et jamais au détriment des savoirs et du programme. "Quand je compare où on en est avec des copains de Baudelaire, raconte Steeve, je vois qu’on est même en avance !"

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