Enquête

Lycées de banlieue au top. À Marseille, Victor-Hugo tisse un contrat de confiance

Ces lycées de banlieue qui boostent leurs élèves
À Victor-Hugo, les enseignants individualisent au maximum afin que chacun puisse comprendre. © Laurent Cerino/REA
Par Erwin Canard, publié le 14 novembre 2017
5 min

Les difficultés scolaires et l’absentéisme sont deux menaces qui pèsent sur le lycée Victor-Hugo à Marseille. Pour lutter contre elles, l’équipe pédagogique mise sur la confiance. Celle qu’ont les élèves en eux-mêmes, mais aussi celle qu’ils ont envers les professeurs. Dernier volet de notre série sur ces lycées de banlieue qui boostent leurs élèves.

Les élèves de seconde, du lycée Victor-Hugo de Marseille ? "Beaucoup disent qu’ils ont essayé d’aller dans un autre lycée", raconte Anne-Sophie Giordani, enseignante de SVT. Azifati, qui a obtenu un bac ES en 2017 à Victor-Hugo, était dans ce cas. "En fin de troisième, on m’a dit qu’il valait mieux que j’aille ailleurs car je n’allais pas autant progresser à Victor-Hugo, voire que je n’allais pas avoir le bac. Finalement, je suis allée à Victor-Hugo et j’ai vu que les rumeurs n’étaient pas vraies. La preuve, j’ai eu mention très bien et je suis à Sciences po…"

Autre preuve : en 2016, alors que le taux attendu de réussite au bac était de 68 %, le taux réel fut de 77 %. Un faible taux attendu qui s’explique par plusieurs raisons : un recrutement d’élèves effectué quasi exclusivement sur des collèges d’éducation prioritaire ; trois fois plus d’élèves de seconde, par rapport au niveau national, qui ont déjà redoublé ; 70 % sont des enfants d’inactifs ou d’ouvriers.

Conséquence, pour ce lycée situé près de la gare Saint-Charles, dans un quartier très pauvre du centre-ville : "La principale difficulté des élèves est le manque de confiance en eux et en leur avenir, leur environnement étant gangréné par le chômage", explique Agnès Béringuer, CPE du lycée. "Ce manque de confiance se perçoit par le fait que, par exemple, ils préfèrent ne pas faire les exercices plutôt que de prendre le risque de se tromper", précise Anne-Sophie Giordani. L’équipe pédagogique prend ainsi le parti que pour combattre les difficultés scolaires, l’absentéisme voire la violence, cela passe d’abord par redonner confiance aux élèves.

Une notation par compétences

Pour cela, les enseignants adaptent leurs enseignements. "Je m’efforce de donner aux élèves des projets concrets, raconte Anne-Sophie Giordani. Quand on réfléchit autour de la cuisine, ils ne se rendent pas forcément compte qu’ils travaillent les molécules."

Le niveau des élèves étant très hétérogène, les enseignants individualisent au maximum afin que chacun puisse s’y retrouver. Et ils ne demandent pas l’impossible. "Ils savent que la plupart des élèves habitent dans les quartiers nord et ne peuvent pas travailler chez eux. Ils connaissent notre mode de vie et sont compréhensifs", souligne Sofia, en terminale ES. Même si "on s’attache à ne jamais faire plus simple parce qu’ils sont censés être plus faibles", précise Sandrine Parayre, professeure de sciences économiques et sociales. Autrement, mais pas moins bien, en somme.

Redonner confiance passe aussi par la manière d’évaluer. "Je m’interdis certains mots comme dire à un élève “t’es nul”, précise Anne-Sophie Giordani. Je trouve toujours des tournures de phrase positives. Et en SVT, on note par compétences : chaque élève maîtrise toujours quelques compétences. Ils voient alors qu’ils sont capables de réussir." "Les professeurs nous encouragent à travailler beaucoup, nous rassurent, nous disent qu’on a des qualités dans tel ou tel domaine", confirme Azifati.

La lutte contre l’absentéisme

Lorsque la confiance des élèves est très entamée, la conséquence est parfois qu’ils ne viennent plus en cours. "Ils sont perdus, n’arrivent pas à se projeter, indique Agnès Beringuer. Ils entendent souvent : 'Va à l’école mais cela ne t’empêchera pas de pointer au chômage.' De ce fait-là, ils ne voient pas l’intérêt de venir…" Le lycée lutte ainsi contre l’absentéisme. "Nous faisons des entretiens de motivation avec les élèves, rencontrons les familles", explique la CPE. L’équipe pédagogique noue avec les familles un "contrat de confiance", indique Sandrine Parayre. "Nous leur disons que si leur enfant vient en classe, nous allons les faire réussir. Nous parvenons parfois à des choses assez miraculeuses", poursuit l’enseignante.

Néanmoins, ce travail autour de la confiance n’est jamais abouti. "La confiance qu’ils peuvent retrouver n’est pas définitivement acquise. Chaque début d’année, il y a un temps d’adaptation pour qu’ils se fassent de nouveau confiance", relève Anne-Sophie Giordani. Tels des jardiniers qui replantent tous les ans. D’ailleurs, le poète qui a donné son nom à l’établissement n’a-t-il pas dit : "Les maîtres d’école sont des jardiniers en intelligence humaine" ?

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