Interview

Semaine de la presse dans l'école : “Une caricature doit choquer et faire réagir”

Plantu, dessinateur : débat sur la liberté d'expression à l'UNESCO, le 14 janvier 2015, une semaine après l'attentat à Charlie Hebdo.
Plantu, dessinateur : débat sur la liberté d'expression à l'UNESCO, le 14 janvier 2015, une semaine après l'attentat à Charlie Hebdo. © Denis Allard/REA
Par Natacha Lefauconnier, publié le 21 mars 2016
1 min

SEMAINE DE LA PRESSE ET DES MÉDIAS DANS L’ÉCOLE - Vous êtes choqué par les caricatures de presse ? Normal, c’est leur vocation ! Et surtout, elles sont là pour ouvrir le débat et dénoncer les problèmes de la société. Les explications de Dominique Moncond’huy, professeur de littérature et d’analyse d’image à l’université de Poitiers et auteur de la “Petite histoire de la caricature de presse en 40 images” (éditions Gallimard, Folioplus Classiques).

Le 7 janvier 2015, “Charlie Hebdo” a été victime d’un attentat : les caricatures de ce journal satirique ont été jugées inadmissibles par certains. Un coup porté à la liberté de la presse et à la liberté d’expression, des valeurs inscrites dans l’ADN de la République française.

À quand remonte la pratique de la caricature en France ?

Dominique Moncond’huy : “La caricature existe depuis la Renaissance, sous la forme des ‘placards’, ces images sur feuilles volantes que l’on placardait, puisque les journaux n’existaient pas encore. La caricature se développe vraiment après la Révolution française, avec l’essor de la presse, et explose vers 1830 au moment de la monarchie de Juillet. Le même phénomène se retrouve en Angleterre où il y a une grande pratique de la caricature de presse dans la seconde moitié du XVIIIe siècle.”

Le dessin de presse est-il forcément caricatural ?

D.M. : “Non, il y a des dessins qui contextualisent, d’autres qui créent un décor…”

Quelle est la spécificité de la caricature ?

D.M. : “C’est une satire sous forme d’image, c’est-à-dire qu’elle renvoie à une volonté de critique. Une bonne caricature doit ébranler, choquer, mettre en mouvement et faire réagir, sinon c’est qu’elle ne fonctionne pas. Après, on peut être d’accord ou non sur l’intention.”

Pourquoi des personnes se sentent-elles insultées par des caricatures ?

D.M. : “Pour prendre l’exemple de ‘Charlie Hebdo’, certaines caricatures suscitent des réactions radicales – même excessives –, du fait de leur caractère très provocateur. Elles font réagir un certain nombre de lecteurs de façon quasi systématique. Une partie d'entre eux sont contre le principe même de la caricature. Pour d’autres personnes, le rejet peut venir du fait qu’elles ne font pas l’effort de comprendre la caricature. Par exemple, sur la caricature du pape moderne imitant les propos de Nabilla sur l’absence de shampooing, ce n’est pas tant le pape qui est caricaturé que les émissions de télé-réalité et le buzz médiatique qui contribua en 2013 à la notoriété de Nabilla, cet ‘ange’ de la télé-réalité. Le blocage face à une caricature peut donc venir d’un problème de lecture et de compréhension d’image.”


"Un pape moderne" à la une de Charlie Hebdo du 20 mars 2013 - Luz (né en 1972), caricaturiste et auteur de BD. // © Luz / Charlie Hebdo.

Jusqu’où peut aller un caricaturiste ? Doit-il s’autocensurer ?

D.M. : “La réponse est très subjective ! Cela dépend à la fois de la personnalité du dessinateur et de l’organe de presse qui diffuse la caricature. Cela dit, il peut y avoir de l’autocensure : ‘Charlie Hebdo’ a par exemple traité de façon très libre l’explosion de l’avion russe en Égypte, alors que le journal a rendu compte des attentats de novembre à Paris de façon beaucoup plus atténuée.”

Replacer un dessin dans son contexte est donc essentiel pour le comprendre ?

D.M. : “C’est indispensable, sinon une grande partie de la caricature nous échappe. Sorties de leur contexte, beaucoup d’images sont incompréhensibles. Il ne faut pas perdre de vue que ce sont des images d’actualité qui deviennent obsolètes très vite, à quelques exceptions près comme ‘Les Poires’ de Charles Philipon (1800-1862) lorsqu’il caricature le roi Louis-Philippe ou les caricatures de l’Affaire Dreyfus. Si vous prenez un dessin de Plantu dans un numéro du ‘Monde’ d’il y a 1 an, vous ne comprendrez plus le dessin. Contextualiser le dessin satirique de presse permet de faire ressortir l’intention exacte, la visée de la caricature. Une fois encore, on peut ensuite être d’accord ou pas avec le message qui est délivré.”

La caricature relève-t-elle de la diffamation ?

D.M. : “Non, la différence est claire, il y a même une opposition. Diffamer, c’est exprimer des propos provocateurs ou insultants mais qui sont foncièrement inexacts, mensongers. La caricature insiste sur quelque chose de vrai, en l’exagérant. Elle est très rarement diffamatoire, ou alors il faut aller chercher du côté des caricatures de l’extrême droite sur l’Affaire Dreyfus, par exemple. Mais par principe, au contraire, la caricature doit s’appuyer sur la réalité et contribuer au débat public.”

À l'école de l'esprit critique !

La semaine de la presse et des médias dans l'école se déroule du 21 au 26 mars 2016. Elle permet à des élèves de la maternelle à la classe préparatoire de découvrir ou approfondir leurs connaissances des médias d'information. Au cours de cette semaine, des acteurs de la presse vont rencontrer les élèves dans leurs établissements et des journaux seront mis à la disposition des classes participantes.

Cet événement, organisé et coordonné par le Clémi (Centre de liaison de l'enseignement et des médias d'information), est une excellente occasion de développer l'esprit critique des élèves et des étudiants. Une qualité essentielle pour devenir un citoyen éclairé, capable d'interroger la provenance d'une information, de jauger de son sérieux, et de se forger sa propre opinion en croisant ses sources.

Mais au fait, avez-vous vérifié sur quel site était publiée l'information que vous êtes en train de lire ? C'est sérieux au moins ? La semaine de la presse, c'est pas le truc mis en place par les reptiliens pour formater les jeunes esprits ? 

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