Reportage

Après un bac pro, une licence sans la fac ? Bienvenue à l’École Vaucanson !

Ecole Vaucanson_Les enseignants accompagnent les étudiants
À Vaucanson, haro sur les cours magistraux : “L''intervenant est là pour accompagner les élèves et les décoincer quand ils sont bloqués". © Isabelle Dautresme
Par Isabelle Dautresme, publié le 25 mars 2015
1 min

Décrocher une licence sans passer par l’université, c’est possible quand on a fait un bac pro. Créée par le CNAM en 2010, l’École Vaucanson accueille chaque année une vingtaine de bacheliers professionnels en licence management ou SPI (sciences pour l’ingénieur). Ce qui attend les heureux élus : trois années d'études en alternance où l'accent est mis sur la pédagogie par projets.

La salle du cours "cinéma et machine" est encore plongée dans la pénombre que déjà une première remarque fuse : "C'est un bon film", lâche un jeune homme casquette vissée sur la tête. Sa voix est tellement forte que les 21 étudiants de première année de licence de l'École Vaucanson peinent à entendre les dernières paroles de David, le cosmonaute de "2001 : l'Odyssée de l'espace" de Stanley Kubrick.

Le module "Cinéma et machine" fait partie du programme "Ouverture sur le monde", un enseignement commun aux deux licences générales – management et SPI (sciences pour l'ingénieur) en méthodes et sciences industrielles – auxquelles prépare Vaucanson. Cette école en alternance réservée aux bacheliers professionnels a été créée par le CNAM (Conservatoire national des arts et métiers) en 2010. Les enseignements sont répartis sur trois sites : deux à Saint-Denis (93) et un aux Arts et Métiers à Paris.

Une école pour les élèves lambda de bac pro

La première fois que Peggy, la seule fille en première année de licence SPI, a entendu parler de Vaucanson, c'est par des anciens élèves de son lycée venus jouer les ambassadeurs, une mallette de présentation de l'école sous le bras. "Ils ont beaucoup insisté sur le fait que ce n'était pas parce que nous étions en lycée pro que nous ne pouvions pas faire des études. Qu'il fallait oser", témoigne la jeune fille d'une voix volontaire.

Mais pas question d'aller à l'université où les chances de réussite des bacheliers professionnels sont extrêmement faibles. Quant aux BTS (brevet de technicien supérieur), "ça me faisait fait peur de me retrouver avec des bacheliers généraux. Je pensais ne pas avoir le niveau", témoigne la jeune fille.

Au menu des travaux, des sujets "commandés" par des entreprises ou des asso

Pour permettre à ces jeunes de décrocher une licence, l'école Vaucanson a adapté sa pédagogie. "Ici, vous ne trouverez pas un cours magistral où un prof parle et des étudiants notent. C'est tout le contraire. Les élèves travaillent un projet en équipe. "L'intervenant, nécessairement issu du monde professionnel ou universitaire, est là pour les accompagner et les décoincer quand ils sont bloqués", explique Pauline Alamichel, coordinatrice des enseignements de gestion et management.

Cette manière de faire convient bien à Roddin en L1 SPI : "C'est un peu comme si nous travaillions dans un bureau d'études, nous sommes déjà dans une démarche professionnelle." Et Léa, en L2 management, d'ajouter : "Nous apprenons en faisant, c'est très satisfaisant. D'autant que, le plus souvent, les projets sur lesquels nous planchons ont été 'commandés' par des entreprises ou des associations. C'est sérieux, donc valorisant." Au total, dans l'année, chaque élève aura réalisé entre 10 et 12 projets. Avec obligation, pour chaque, de rédiger un rapport et de le présenter... à l'oral !

Trois années où l'on devient très à l'aise à l'oral

Pour les y aider, l'école a pensé au théâtre. "L'idée est de donner aux étudiants les outils qui leur permettront d'être plus à l'aise et de mieux communiquer", explique Valérie Druguet, comédienne, en charge de ce module sur les trois années de licence.

Aujourd'hui, les élèves doivent mettre en scène "l'exposé" sur le thème de "l'humanisation de la machine", qui clôturera la séquence "Cinéma et machine". Installée derrière son ordinateur, Peggy cherche l'inspiration en triturant ses nattes nerveusement. Sa voisine, également collègue de projet, interpelle la comédienne pour qu'elle vienne les aider.

Un rang plus loin, une jeune fille, queue de cheval haut perchée et regard sérieux pianote sur le clavier de son portable. Pour répondre à la question : "Peut-on avoir de l'empathie pour une machine ?", son équipe a décidé de se transporter dans un commissariat de police. Les rôles sont distribués. L'une, la plus "convaincue", sera pour, l'autre contre, et la troisième modérera le débat.

L'objectif de l'exercice ? "Travailler l'argumentation, la créativité et l'oral", répond dans un souffle Valérie Dugruet. Au début, beaucoup n'osent pas, mais quelques séances suffisent généralement à lever les inhibitions. "En trois ans, ils font des progrès extraordinaires à l'oral", se réjouit la jeune femme.

S'habituer aussi à jouer collectif

Que ce soit en théâtre, cinéma ou management... qui dit projet dit travail en équipe. De quoi déstabiliser des étudiants que le lycée n'a pas habitué à jouer collectif. À l'instar de Yasmine en L2 management. "Il m'a fallu un peu de temps pour m'habituer à travailler de façon quasi systématique en groupe de trois ou quatre. Cela demande pas mal de coordination et d'anticipation. Mais au final, c'est beaucoup plus riche et intéressant que de travailler seul dans son coin", reconnaît-elle. Et Léa de compléter : "Le groupe insuffle de l'énergie. Quand on est fatigué ou que l'on traverse une période de découragement, il nous porte. Et puis, ça participe à nous responsabiliser. Si on ne travaille pas, c'est tout le monde qui en subit les conséquences".

Toutes les cinq à sept semaines, les jeunes de Vaucanson quittent ce qu'ils appellent "la Vaucanson family" pour rejoindre l'entreprise dont ils sont salariés. "L'occasion de mettre en pratique ce que l'on a appris en classe, commente Anthony en L1 management. C'est très intéressant mais aussi fatigant. Il faut être pro."

Mieux vaut ne pas compter sur le retour en classe pour se reposer. "On doit mener trois ou quatre projets en parallèle, il faut donc être très organisé", explique Cyndi en L2 management. Quand on leur demande si ce volume important de travail personnel, grande différence par rapport au lycée pro, n'est pas trop difficile à assumer, la réponse tombe comme une évidence. "À partir du moment où tout ce que nous faisons ici nous intéresse, ce n'est pas un problème ", rétorque Léa, des sourires plein la voix.

600 candidats... pour une vingtaine de places

À son entrée en lycée pro, Peggy avait déjà en tête de poursuivre des études après le bac. Un temps, elle a pensé à un BTS, mais cela "lui faisait un peu peur d'être mélangée à des bacs généraux". Au final, la perspective de décrocher un bac+3 a fini de la convaincre de tenter sa chance à Vaucanson.

Peggy n'est pas toute seule à avoir fait ce choix. En 2014, ils étaient 600 lycéens à classer l'école sur APB et seulement 21 ont fait leur rentrée en septembre. "De quoi se sentir fière quand on est admis", lâche la jeune fille qui était plutôt du genre sérieuse au lycée, sans forcément afficher des moyennes au sommet.

"Ce qui compte surtout c'est le potentiel du jeune et qu'il ait envie de venir et de réussir", explique Pauline Alamichel. Pour sélectionner les candidats, les membres de l'équipe pédagogique leur demande de compléter un dossier comprenant bulletins, lettre de motivation et l'avis du professeur principal. Les plus convaincants sont convoqués à un entretien. Au programme : un test d'expression complété par un entretien face à un jury "qui va tenter de mieux cerner la personnalité du candidat et surtout de s'assurer qu'il est prêt à revêtir le costume d'apprenti", explique l'enseignante.

Peggy n'a toujours pas trouvé "le scénario" de son exposé de cinéma. Mais, ce dont elle est sûre, en revanche, c'est qu'une fois sa licence PSI en poche, elle poursuivra en master voire en école d'ingénieurs, à l'instar de la plupart des "licenciés" de l'université. Sa voisine, elle, se voit bien travailler.

Et après ?
En 2014, 75 % des apprentis ont décroché leur licence. Près de 50 % ont trouvé un emploi en CDI (contrat à durée indéterminée) moins de six mois après l'obtention de leur diplôme et 35% ont poursuivi en master.

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