Reportage

Goncourt des lycéens 2016 : une classe fait le procès des livres sélectionnés

Prenant leur rôle au sérieux, les élèves-avocats ont enfilé pantalons noirs et chemises blanches pour le procès.
Prenant leur rôle au sérieux, les élèves-avocats ont enfilé pantalons noirs et chemises blanches pour le procès. © Natacha Lefauconnier
mis à jour le 17 novembre 2016
1 min

Le nom du lauréat vient d'être dévoilé, ce jeudi 17 novembre à 12h45 : c'est "Petit Pays", de Gaël Faye, qui remporte le 29e prix Goncourt des lycéens. Le résultat des délibérations qui ont eu lieu dans 56 établissements, avant le huis-clos des 13 représentants régionaux. Pour départager les meilleurs titres, la classe de 1re littéraire du lycée Henri-Wallon, à Valenciennes (59), avait mis en scène le procès “à l’américaine” de six ouvrages.

“Vous allez avoir l’honneur d’assister aujourd’hui à une gigantesque mascarade judiciaire où la bouffonnerie sera de mise”, annonce d’emblée Louise, 16 ans, l’une des trois juges du procès qui s’est tenu le lundi 7 novembre 2016, au lycée Henri-Wallon de Valenciennes (59). C’est la première fois que l’établissement participe au prix Goncourt des lycéens, organisé par le ministère de l’Éducation nationale en partenariat avec la Fnac, avec l’accord de l’Académie Goncourt.

À la gauche du jury, deux procureurs : Estelle et Cléa, qui exposent l’accusation portée contre chacun des livres et rendent leur verdict à l’issue des plaidoiries. À droite, Florentine, greffière, est chargée de comptabiliser les voix des jurés – la trentaine d’élèves présents ce jour-là – en fin d’audience.

Lire aussi : Goncourt des Lycéens : des lauréats racontent

Un Code littéraire pour juger la qualité des œuvres

L’objectif de cette mise en scène : élire les trois livres que Cléa défendra aux délibérations régionales, le lundi suivant. “C’est une belle expérience qu’on ne vit qu’une fois dans sa vie”, estime la jeune fille, enthousiaste à l’idée de représenter sa classe.

Si la sélection officielle comptait au départ 14 titres, dont les élèves se sont répartis la lecture (chacun en a lu au moins quatre), seuls six d’entre eux ont été retenus pour être jugés : "Chanson douce" (Leïla Slimani), "Continuer" (Laurent Mauvignier), "L’enfant qui mesurait le monde" (Metin Arditi), "Ma part de Gaulois" (Magyd Cherfi), "Petit Pays" (Gaël Faye) et "Tropique de la violence" (Nathacha Appanah).
Afin de cadrer les arguments de la défense et de l’accusation, les élèves ont imaginé un Code littéraire comportant cinq alinéas, qui permet de déterminer si une œuvre est réussie ou non.

“La fin est vague et le titre aguicheur”

Pour l’heure, c’est au tour de "Chanson douce" (prix Goncourt 2016), de passer sur la sellette. La parole est à la partie civile : “Ce roman est accusé d’avoir enfreint les alinéas 3 et 5 du Code littéraire”. Autrement dit, l’œuvre manquerait d’originalité et de personnages marquants. “De plus, la fin est vague et le titre aguicheur”, assène Manon, qui endosse le rôle de l’avocate de l’accusation dans ce procès.

Son adversaire, Mahana, prend la défense du livre : “Le procédé d’écriture est original : il commence par une fin tragique, puis déroule les faits qui ont conduit à cette issue”. Elle convoque son témoin à la barre : “Pouvez-vous me citer un autre livre qui parle d’une nounou qui tue les enfants qu’elle garde ?” Le témoin ne peut pas. Il trouve au contraire que l’histoire sort du commun : “Je n’avais jamais lu de fait divers raconté de cette manière. Et peu d’écrivains osent écrire sur la mort d’enfants, de peur de choquer les lecteurs”.

La deuxième accusation de la partie civile, sur les personnages, est aussi démontée : “Paul est un père absent dans la vie de ses enfants, il est marquant par sa désinvolture.” Quant au titre “aguicheur”, “c’est une référence à une berceuse, ce qui est paradoxal par rapport au sujet, explique le témoin. C’est le titre qui m’a donné envie de lire ce roman, avec la quatrième de couverture.

Louise, très à l’aise dans le rôle du juge sarcastique, demande à l’avocat d’abréger sa plaidoirie : “C’est un peu tartine, là, je vois des personnes en train de s’endormir dans la salle !”

Vote à main levée et sentence

À l’issue de l’argumentation entre la défense et l’accusation, les jurés votent à main levée et le procureur annonce la sanction portée contre l’ouvrage : “La justice demande à "Chanson douce" de faire partie d’un groupe de hard rock et de chanter une comptine dans une crèche pendant trois mois !”

Un verdict aussi farfelu que ceux rendus à l’encontre des trois livres finalement retenus : "Continuer" (qui doit “tout simplement arrêter”), "Ma part de Gaulois" (à qui la justice accorde “une part de Romain”) et "L’enfant qui mesurait le monde" (qui devra s’acquitter de cette tâche “avec un simple double décimètre”).

“La séance est levée !” annoncent finalement les juges en tapant sur la table avec un marteau.

L’occasion de découvrir des métiers

Pour les élèves, le travail ne s’arrête pas là : ils ont une anthologie à rendre sur des extraits des romans ainsi que sur les personnages. Certains d'entre eux, les “ambassadeurs”, doivent aussi présenter la sélection aux autres classes du lycée et dans le café littéraire de la médiathèque de la ville. D’autres, les “journalistes”, écrivent des articles sur le site de l’établissement, tandis que quatre de leurs camarades s'attèlent à réaliser des critiques des romans en format vidéo.

“L’objectif de notre participation au prix Goncourt des lycéens était de proposer aux élèves plusieurs projets professionnalisants et de revaloriser la filière littéraire, qui ne compte qu’une classe dans notre lycée, alors qu’il y a quatre S et deux ES”, conclut Rémi Ordynski, le professeur de français. 

Pour ses élèves, en tout cas, l’expérience est réussie, même si ce n'est pas l'un de leurs favoris qui a remporté le prix !

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