Interview

Emmanuel Macron : "Je propose un bac avec 4 matières en contrôle terminal"

Emmanuel Macron // © Ministère de l'Économie, de l'Industrie et du Numérique
Emmanuel Macron souhaite réformer le bac et envisage des "prérequis" pour entrer dans le supérieur. © Ministère de l'Économie, de l'Industrie et du Numérique
Par La rédaction de l'Etudiant, publié le 30 mars 2017
13 min

Quelles mesures propose Emmanuel Macron pour les collégiens, lycéens et étudiants ? Dans une interview réalisée par écrit pour l’Etudiant, le nouveau président de la République détaille ses propositions. Cette interview s'est inscrite, avant le premier tour de la présidentielle, dans le cadre d'une série d’entretiens avec les candidats.

Vous proposez dans votre programme une réforme du bac, avec quatre matières obligatoires et un contrôle continu pour les autres matières. Comment mettre en place cette mesure ?

Le baccalauréat constitue l'un de nos derniers rites initiatiques, mais sa valeur réelle est bien inférieure à sa valeur symbolique : quelle est sa véritable utilité, alors que les taux d'échec sont très importants à l'université et que sept mois après l'obtention du baccalauréat (sous statut scolaire, hors apprentissage), près d'un bachelier professionnel sur deux est au chômage ?
Nous faisons confiance au contrôle continu et au jugement des professeurs pour l'entrée dans les formations sélectives (CPGE, BTS, IUT, écoles postbac), pourquoi en seraient-ils incapables pour le baccalauréat ?
Je souhaite donc simplifier le bac. Quatre matières seront passées en contrôle terminal, les autres seront validées en contrôle continu. La détermination de ces quatre matières devra faire l'objet d'une large concertation, incluant l'ensemble de la communauté éducative dès la première année du quinquennat.

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Cela signifie-t-il une réforme du lycée ?

À bien des égards, le baccalauréat s'apparente à un totem qui, par la rigidité qu'il impose au système, fossilise le lycée et freine toute évolution, y compris en seconde et en première : son organisation engendre une perte de 8 % du temps scolaire annuel pour l'ensemble des lycéens.
Revoir les modalités du baccalauréat permettra de rendre possible de nouvelles formes d'organisation du temps scolaire et de nouveaux parcours, qui prépareront mieux à la poursuite d'études et à l'insertion professionnelle. Aujourd'hui, plus de la moitié des jeunes entame des études supérieures. L'expression "continuum bac–3/bac+3" s'est imposée, mais elle demeure sans grand contenu. Un lycée plus modulaire, des parcours personnalisés permettront d'accompagner les étudiants et de réduire le taux d'échec.

Vous proposez également de rétablir les bourses au mérite pour les étudiants titulaires d'une mention TB au bac. Pourquoi ?

S'élever par son propre mérite c'est le fondement même de la République. C'est une promesse qui n'a pas été tenue et que l'on doit honorer, en particulier à l'égard de ceux qui doivent se battre plus que les autres, en raison de leur milieu d'origine ou du lieu où ils ont grandi. Je considère que cela a été une erreur de réduire les bourses au mérite et je suis donc favorable à ce que nous revoyons le système des bourses pour qu'il soit plus équitable, c'est-à-dire en particulier plus progressif.

APB vous semble-t-il être un système efficace et juste ?

L'enjeu principal est de garantir l'équité de notre système d'orientation. Nous le ferons en conduisant une politique de l'orientation renouvelée et en luttant contre deux maux qui gangrènent notre système éducatif : les décrocheurs – cela concerne encore près de 100.000 jeunes chaque année – et les "naufragés du supérieur" – qui sont ces bacheliers qui échouent massivement à l'université.
Il faut améliorer l'efficacité et l'équité d'APB, seules une telle transparence et une meilleure information des élèves, comme des familles, restaureront les conditions de l'équité qui font aujourd'hui défaut à notre système éducatif. Deux leviers doivent permettre de répondre à ce défi : l'affichage au moment de l'inscription dans le supérieur, par formation, des résultats obtenus par les étudiants des trois années précédentes (taux d'emploi, taux de décrochage, niveau de rémunération, part des jeunes exerçant une activité en lien avec leur formation) et l'affichage des prérequis.

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Cette transparence nouvelle et nécessaire devra s'accompagner d'une véritable politique d'éducation à l'orientation dès le collège. Nous développerons pour cela des modules d'aide à l'orientation pour les élèves ("découverte de soi", tests de personnalité, découverte des métiers, etc.). Nous associerons plus étroitement les parents, nous formerons les enseignants à ces enjeux. En outre, nous créerons une plateforme d'orientation en ligne afin de donner aux collégiens et aux lycéens des informations précises quant aux formations existantes, aux débouchés qui sont les leurs et aux métiers auxquelles elles préparent.
APB est anxiogène parce que les jeunes ont l'impression que leur avenir est suspendu à un algorithme qu'ils ne comprennent pas. Je veux que l'on ouvre davantage de places dans des formations courtes professionnalisantes, qui permettent de trouver plus rapidement un emploi et, dans le même temps, faciliter la reprise d'études tout au long de la vie. Nous pouvons systématiser les passerelles et la possibilité de se réorienter en cours d'études. Techniquement, le système des crédits d'enseignement, qu'il faut développer, le permet.

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Vous parlez "d'afficher des prérequis" à l'entrée de toutes les formations universitaires. Entendez-vous par là une sélection à l'entrée en licence ? Comment ces prérequis seront-ils mis en place ?

J'ai le devoir d'être lucide : seuls trois étudiants sur dix obtiennent leur licence en trois ans. C'est un gâchis d'efforts pour les étudiants, mais aussi un gâchis de moyens, évalué à 500 millions par an.
Le bac doit continuer à ouvrir l'accès à l'enseignement supérieur. Mais plusieurs évolutions doivent être conduites. D'abord, le lycée va évoluer vers un système plus modulaire (c'est la logique du bac à 4 matières). Ensuite, chaque filière du supérieur pourra fixer les connaissances indispensables à l'entrée : l'inscription supposera que les bons modules aient été acquis, soit au bac, soit par des cours d'été ou un semestre dédié à l'université. Dans chaque académie, tous les étudiants pourront accéder à une formation supérieure correspondant à leurs orientations. Mais ce parcours pourra comporter en amont de la licence des mises à niveau dans telle ou telle matière.

Chaque filière du supérieur pourra fixer les connaissances indispensables à l'entrée : l'inscription supposera que les bons modules aient été acquis.

On ne laissera plus nos étudiants s'orienter vers n'importe quelle filière sans nous soucier de leurs chances de réussite. Ce nouveau système instaurera un contrat de réussite entre l'étudiant et l'université. Ce contrat définira, à chaque fois que nécessaire, un parcours de formation personnalisé. Les universités seront invitées à développer autour de cet objectif une politique d'innovation pédagogique ambitieuse, avec le soutien de l'État. Cela permettra de proposer aux étudiants des formations où ils s'épanouiront, plutôt que des formations où ils sont susceptibles de décrocher et d'échouer, comme cela est trop souvent le cas aujourd'hui.

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Que pensez-vous du tirage au sort ?

Je considère qu'il est injuste et inefficace : il faut une véritable politique d'orientation assumée. L'augmentation et la diversification de l'offre de formation, le système des prérequis avec un contrat de réussite rendent caduque l'idée de recourir in extremis au tirage au sort.

La question des droits d'inscription à l'université, et plus généralement dans l'enseignement supérieur, n'est pas mentionnée dans votre programme. Voulez-vous les augmenter ?

Si je ne l'ai pas mentionnée, c'est que je n'ai pas pour projet d'augmenter les droits d'inscription à l'université. Les augmenter aujourd'hui aurait des effets néfastes sur l'accès à l'enseignement supérieur des étudiants issus des milieux moins favorisés ou encore des classes moyennes, lorsqu'ils ne sont pas boursiers. Or, l'enjeu c'est l'accès équitable à la réussite et la formation de toute une génération afin de saisir les nouvelles opportunités. L'État prendra ses responsabilités pour le financement de l'université. Par ailleurs, le secteur privé, qui a intérêt à embaucher des jeunes bien formés, pourra aussi contribuer à travers les fonds de la formation professionnelle.
Ma position est plus ouverte sur les droits d'inscription des étudiants étrangers : il n'y a pas de raison que les contribuables français financent les études de tous les étudiants étrangers qui choisissent de venir chez nous, cela doit relever d'une stratégie d'internationalisation des établissements français.

Vous avez annoncé une réforme de la Sécurité sociale étudiante. En quoi consiste-t-elle, et pourquoi conduire une telle réforme ?

Les problèmes rencontrés par nos étudiants pour s'affilier à la Sécurité sociale étudiante sont connus : goulot d'étranglement à chaque rentrée, retard important dans l'ouverture des droits et dans l'obtention de la carte vitale, règles d'affiliation complexes, voire illisibles en cas d'arrêt maladie ou d'accident de travail pendant un stage.
Mon engagement, c'est de confier à la Caisse nationale d'assurance maladie – plus précisément la CNAM-TS – la gestion du régime d'assurance maladie obligatoire de tous les étudiants, lorsqu'ils ne sont pas rattachés au régime de sécurité sociale de leurs parents.
Cette réforme revêt une importance majeure : en apportant clarté et simplicité à leur premier contact avec la Sécurité sociale, nous renforcerons la confiance des jeunes générations en notre modèle social.

Reviendrez-vous sur la réforme du collège ?

Il faut mobiliser les énergies pour faire, non pour défaire. À chaque alternance, on demande aux équipes pédagogiques, aux élèves, à leurs parents de s'adapter à de nouvelles réformes, souvent davantage guidées par des préoccupations politiques que par des ambitions pédagogiques. La meilleure réussite des élèves et leur épanouissement doivent être les seuls arbitres de tout nouveau changement.
Un principe cardinal structure notre projet pour l'éducation : faire confiance aux femmes et aux hommes qui œuvrent au quotidien pour la réussite de chaque élève et leur donner la possibilité d'adapter leur enseignement aux réalités de leur établissement. Cette confiance et cette liberté vont de pair avec une responsabilité plus grande et la réaffirmation de programmes et d'objectifs définis nationalement.

Il faudra laisser la possibilité aux équipes qui le souhaitent de proposer à nouveau des parcours bilangues.

Dans cette logique d'autonomie, il faudra laisser la possibilité aux équipes qui le souhaitent – celles qui connaissent le mieux les besoins et les aspirations des élèves et de leurs familles – de proposer à nouveau des parcours bilangues, des parcours européens ainsi que la possibilité de rétablir pleinement l'enseignement des langues anciennes.

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Pourquoi voulez-vous interdire le téléphone portable dans les établissements scolaires ?

Parce que la salle de classe doit être un lieu où les apprentissages se font sereinement, sans interférences intempestives. De plus, le téléphone portable est à l'origine de situations que l'on ne peut plus accepter et, parfois, de véritables drames. L'idée de vidéos ou de photographies mettant en scène l'humiliation de camarades de classe via des images capturées dans les cours de récréation est insupportable. Si, malheureusement, le harcèlement scolaire a toujours existé, les nouvelles technologies rendent sa réalité plus dure encore : auparavant, il cessait une fois l'enfant rentré chez lui, aujourd'hui, il se poursuit sur les réseaux sociaux.

Les parents, qui partagent avec les équipes pédagogiques le souci de la réussite des élèves et de leur épanouissement, doivent appuyer cette interdiction dans l'enceinte des établissements. À l'autorité des enseignants et des chefs d'établissements, doit faire écho l'autorité des parents et leur soutien aux professeurs dans l'application de cette mesure.

La question n'est pas de penser l'école comme un sanctuaire, où toute modernité serait nécessairement corruptrice et donc bannie. À ce titre, il est important de préciser que les professeurs qui souhaiteraient utiliser le téléphone portable dans le cadre d'une activité pédagogique, pourraient bien évidemment le faire.
À ceux qui se sont empressés d'objecter que cette interdiction était déjà inscrite dans le Code de l'éducation ou dans les règlements intérieurs, je conseille d'aller passer 15 minutes dans un collège quel qu'il soit – ils constateront de leurs propres yeux ce qu'il en est en réalité.

Au vu des récents événements survenus à Grasse, comment comptez-vous renforcer la sécurité dans les établissements scolaires ?

La sécurité des établissements est un enjeu prioritaire. Des initiatives ont été engagées ces derniers mois afin de renforcer la sécurité des lieux qui accueillent les élèves mais beaucoup reste à faire. Philippe Tournier, secrétaire général du syndicat national des personnels de direction de l'Éducation nationale, a qualifié très récemment la situation de "règne du bricolage" : il faut faire davantage pour accompagner les établissements dans la diffusion de dispositifs efficaces et former les personnels à ces enjeux.

Si l'équipement de portiques à l'entrée de chaque établissement est irréaliste pour des raisons pragmatiques – les élèves devraient arriver longtemps avant le début des cours –, des initiatives aujourd'hui limitées à certaines académies pourraient être étendues. On peut ainsi penser aux équipes mobiles de sécurité – groupes itinérants d'une quinzaine de personnes (intermédiaire entre les conseillers principaux d'éducation et les forces de sécurité publique) –, dont la mission est de garantir, partout, un climat serein et propice aux apprentissages des élèves.
Au-delà de cette question de la sécurité, que rappellent tragiquement des événements comme celui de Grasse, le quotidien de certains établissements et, partant de leurs élèves et de leurs enseignants, est parfois rendu particulièrement difficile – voire douloureux – par la violence, des comportements inspirés par le radicalisme islamiste ou les incivilités répétées. Nous ne pouvons plus laisser de telles situations se perpétuer ni abandonner les élèves et les professeurs qui y sont confrontés.

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Quelles mesures prévoyez-vous pour favoriser l'accès à l'emploi des jeunes ? Un "effort massif" pour l'apprentissage est également évoqué. Quelle forme prendra-t-il ?

Le lycée professionnel est le grand oublié du débat public, il concerne pourtant un tiers des bacheliers, et c'est là que se concentre le décrochage. Il doit donc être notre grande priorité, avec le renforcement de l'école primaire.
Aujourd'hui, le taux de chômage varie presque du simple au double selon que le bac professionnel a été obtenu en apprentissage ou non. Alors que l'apprentissage favorise la réussite aux examens et l'intégration sur le marché du travail, moins d'un lycéen professionnel sur cinq obtient son diplôme en apprentissage.

Pour développer l'alternance, un "sas" de préparation à l'alternance sera proposé à la fin du collège.

Je souhaite faire de l'alternance la modalité principale d'acquisition des diplômes professionnels. Des filières d'alternance seront proposées, dans tous les lycées professionnels. Pour développer l'alternance, un "sas" de préparation à l'alternance sera proposé à la fin du collège.
Une part croissante des jeunes bacheliers professionnels désire poursuivre leurs études, mais leur taux de réussite dans le supérieur reste très faible. Je souhaite que les bacheliers professionnels puissent passer du secondaire au supérieur sans quitter leur filière, en rendant possible la préparation de licences professionnelles en alternance sur trois ans. Comme en Allemagne, l'alternance doit devenir la voie d'accès dominante aux emplois de qualification intermédiaire.
Ce développement de l'alternance s'accompagnera de dispositifs ambitieux de suivi et d'accompagnement, afin d'empêcher les 25 % de rupture des contrats d'apprentissage qu'on constate aujourd'hui. Enfin, un plan de formation d'une ampleur inédite sera lancé afin de former, durant le quinquennat, un million de jeunes peu qualifiés, et aujourd'hui éloignés de l'emploi.

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