Enquête

Contre-enquête sur l’affaire des lycéens qui voulaient changer de prof à Jean-Lurçat

Par Isabelle Maradan, publié le 25 novembre 2009
1 min

Et si l’histoire qui a mis le lycée Jean Lurçat à Paris sous les feux de la rampe n’était pas simplement celle de lycéens « qui voulaient changer de prof d’anglais, parce qu’elle ne les laissait pas téléphoner en classe » ? Nous avons interrogé des élèves de la terminale STG2 sur un « cas d’école » devenu « affaire d’Etat ». 

Camélia, Vincent et Morgane, élèves de la classe de terminale STG2, ne sont pas ensemble quand ils racontent la même histoire. Pas celle de « sauvageons » en révolte qui demandent à changer de professeure parce qu’elle leur interdit de téléphoner et qui lui écrivent une lettre d’insultes. Mais celle d’une enseignante d’anglais, qui « ne faisait pas cours normalement » et d’une classe de terminale STG qui a décidé d'écrire une lettre collective à la direction, « parce que la prof refusait le dialogue ».

Une dépêche AFP stipule que les élèves de la classe de TSGT2 aurait d’abord demandé un changement de professeur par écrit au proviseur du lycée « parce qu’elle leur interdisait l’usage du téléphone portable en classe », avant d’envoyer une lettre d’insultes signée de « la TSTG2 » à Mme Lespagnol, professeure d’anglais.

Pas de sonnerie de portable, mais un autre son de cloche


D’après les deux lycéennes que nous avons interrogées, on mélange tout. « La première lettre, tout à fait correcte et collective, envoyée à la direction début octobre, et la deuxième, insultante, qu’on nous a lue au retour des vacances d’automne et qu’on n’a pas écrite ensemble », assure Camélia. La politesse de l’une tranche effectivement avec les insultes et menaces de la seconde. « On lit des trucs absurdes. Nous n'avons jamais voulu changer de prof d'anglais parce qu’elle ne veut pas qu'on utilise nos téléphones en classe. On voulait juste des vrais cours d'anglais, parce qu’honnêtement, avec elle, on n’apprenait rien. Alors, c’est vrai, on a demandé à l’administration qu’elle change de méthode ou qu’on change de prof », précise Morgane, déléguée des élèves de la terminale STG2 au lycée Jean Lurçat.

La déléguée rappelle que le second courrier est bien signé TSTG2, mais qu’il n’y a pas toutes les signatures d’élèves, comme c’était le cas pour la première. De son côté, Vincent, élève de cette terminale, doute que la dernière lettre ait été écrite par quelqu’un de sa classe. « Ça m’étonnerait parce qu’on avait bien fait attention à dire les choses correctement dans notre lettre. Ça peut très bien être n’importe qui au lycée. Tout le monde était au courant qu’on n’était pas contents des cours de Mme Lespagnol et qu’on avait fait une lettre pour le dire.»

La clef de l’antipathie


Tous reconnaissent qu’entre eux et Mme Lespagnol le courant ne passait pas. Et la communication non plus. « C’était pathétique. Quand on lui demandait à quoi cela servait d’apprendre des textes par cœur pour les contrôles, ou comment fonctionnait son cours, parce qu’on ne comprenait pas, elle restait fermée et ne nous répondait même pas », déplore Vincent.
Il faut dire que les rapports prof-élèves avaient plutôt mal commencé. En septembre, Mme Lespagnol se faisait dérober sa clef USB pendant un cours avec la classe de terminale STG2. Un geste que condamnent tous les élèves interrogés. Deux d’entre eux décrivent le professeur brandissant sa clef USB en disant que le contrôle s’y trouvait, juste avant de l’abandonner en évidence sur son bureau pour aller faire des photocopies. « C’est de la provocation », ose l’un d’eux. Dans une logique d’apaisement, la déléguée de classe se souvient avoir proposé qu'une nouvelle clef soit achetée par la classe. « Un de mes profs nous a dit que Madame Lespagnol ne voulait pas. Et que de toute façon cela ne changerait rien », relate Morgane.

Une punition collective


Stage, arrêt maladie, les élèves n’ont pas beaucoup revu leur professeur d’anglais depuis le vol de la clef. « Les rares fois où on l’a eue après le vol, elle nous donnait des feuilles d’exercices, puis une feuille avec les corrections et ne parlait même plus anglais, se souvient Vincent. On était arrivé à un point où on n’apprenait plus rien du tout en cours, alors que c’est un gros coefficient au bac avec un oral et un écrit. » Morgane, qui vise un BTS de commerce international, se désole de ne pas avoir progressé en anglais. D’autant qu’il lui faudra de bonnes notes pour son dossier.

« La plus calme des terminales »


Camélia veut apaiser les esprits, désolée de voir que cette histoire « salit l’image de Jean Lurçat ». Morgane, la déléguée de la classe ne reconnaît pas la terminale STG2 dans ce qu’elle a lu et entendu ces derniers jours. « Avant tout ça, la proviseure et les profs ont dit qu’on était la plus calme des terminales, lance-t-elle. On se connaît tous depuis deux ou trois ans. Il y a une bonne ambiance. On est content d’aller en cours. Et avec les autres profs, ça se passe bien. »

Des élèves ne peuvent pas demander à changer de professeur


Mercredi 25 novembre, près d’une semaine après le début de la grève de tous les enseignants du lycée pour soutenir leur collègue, Barbara Atières, enseignante en philosophie dans cette classe, espérait « un apaisement et un retour à des conditions de travail normales ». L’enseignante en philosophie continuait toutefois à s’interroger sur la démarche des élèves de cette classe « constituée majoritairement d'élèves sérieux et responsables » qui aurait « malgré tout perdu la conscience des droits et des devoirs de chacun dans une communauté scolaire ». Selon elle, « l'affaire est d'autant plus inquiétante qu'il ne s'agit effectivement pas d'élèves irresponsables, loin de là, et qu'il faut donc s'interroger sur les discours qu'ils entendent et qui leur laissent penser qu'on peut écrire à un proviseur pour demander un changement de professeur dont on n'apprécie pas la façon de faire. »

Nous avons tenté en vain d’entrer en contact avec Claudine Lespagnol, afin qu’elle puisse évoquer la nature de la relation, notamment pédagogique, qu’elle avait nouée avec cette classe et réagir à leurs affirmations. Le 21 novembre, dans l’édition électronique du journal Le Monde, la professeure d’anglais assumait une sévérité toute relative, se déclarant « un peu sévère… enfin, si l'on considère que leur demander de ranger leur téléphone - sans le leur confisquer, puisque nous n'avons pas le droit -, c'est être sévère ».

Sortie de crise, avec ou sans leur professeure ?


Les élèves de la désormais fameuse terminale STG2 se sentent totalement débordés par l’ampleur de ce qui est devenu une affaire d’Etat. Si les lycéens interrogés condamnent tous la lettre d'insultes, ils précisent ne pas comprendre les proportions « dingues » qu’a pris cette affaire. Mardi 24 novembre, Luc Châtel, ministre de l'éducation nationale, annonçait qu'il diligentait une enquête pour trouver le ou les auteur(s) de la seconde lettre. Morgane s’étonne qu'on ait pu prendre autant au sérieux le courrier d’un « gamin de niveau collège qui y a aussi écrit "Ce sera la guerre comme dans les Pokémon" ». Elle attend maintenant la reprise des cours. Avec ou sans Madame Lespagnol. Une décision qui n’appartient pas aux élèves. 

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