Portrait

Comment je suis devenue ébéniste

Ebeniste
Alice pratique la restauration des meubles d'arts. © Olivier Rolfe
Par Nathalie Helal, publié le 01 août 2019
6 min

À 26 ans, après plusieurs CAP dans des métiers d’art, et des années d’apprentissage, Alice joue de ses mains et de précision pour restaurer des meubles anciens.

9 heures, faubourg Saint-Antoine à Paris. Alice vient d’arriver à son travail, dans une des rares maisons françaises où l’on pratique la restauration de meubles d’art. Particuliers, collectionneurs français ou étrangers, mais aussi décorateurs, commissaires-priseurs, musées et ambassades figurent parmi les clients de l’atelier. Depuis la veille, la jeune femme s’attaque à un cabinet du XVIIIe siècle, héritage de plusieurs générations. "Je peux passer entre 10 et 100 heures sur un meuble, tout dépend de son état. Ma mission, c’est de prolonger sa durée de vie, et de faire perdurer ce patrimoine", détaille Alice.

Ce métier peu commun d'ébéniste, où patience et minutie sont les règles d’or, la passionnent et lui procurent des émotions qu’elle n’aurait jamais imaginées : "Il y a toujours un papier, un bouton, un minuscule détail dans un meuble ancien, même s’il a été vidé. Un jour, j’ai trouvé un menu d’un déjeuner de fiançailles datant de 1920, écrit à la main, coincé sous un pan d’un secrétaire ancien", ajoute-t-elle.

L’impasse de la voie générale

Élève moyenne au collège et au lycée, Alice a toujours évolué dans le privé, en subissant sa scolarité davantage qu’en s’y impliquant : "J’apprenais tout par cœur pour les contrôles, sans vraiment comprendre, mais je ne me sentais pas du tout à ma place. Dès le lycée, je me suis dit que les voies générales n’étaient pas faites pour moi, et je pensais aller en STG (désormais appelé STMG, NDLR)", se souvient-elle.

Parachutée malgré elle en 1ère L, par ses parents et ses professeurs, elle repique sa terminale au lycée public Louis Bascan de Rambouillet, où personne ne la connaît et où elle ne se sent pas "jugée". Cette année-là, alors qu’elle est logée dans une famille qui accueille des étudiants, elle fait la connaissance d’un jeune homme, qui conjugue alternance et CAP pâtisserie. Une révélation pour Alice, qui entrevoit une nouvelle façon d’apprendre, et médite sur le sens à donner à sa vie : "J’ai repensé au bonheur que j’avais à partir chaque année dans notre maison de famille, dans le Limousin. Là-bas, il y avait toujours un parquet à cirer, un cadre à redorer, un meuble à retaper… et j’ai eu une révélation : restaurer des meubles anciens, ça serait ça, mon métier !"

Les apprentis en ébénisterie : une denrée rare

Elle choisit l’école parisienne La Bonne Graine, gratuite mais dont l’accès ne se fait qu’avec un contrat d’apprentissage. Problème : les entreprises recrutant des futurs ébénistes ne sont pas légion. Malgré des recherches longues et assidues, Alice entame la rentrée 2012 les mains vides. En novembre, in extremis, elle décroche le contrat tant convoité, dans un atelier situé à Saint-Maur-des-Fossés. "J’avais jusqu’à décembre pour trouver un poste en alternance. Au-delà, l’école ne pouvait pas me garder ! Mon contrat me garantissait deux ans d’apprentissage, rémunéré 700 euros par mois", explique-t-elle.

Technologie du bois, bois indigènes et exotiques, histoire de l’art, dessin industriel et d’ameublement font partie des matières enseignées, tout au long du CAP. L’accent est également mis sur l’utilisation des différents outils, comme la varlope, les ciseaux à bois ou les équerres à tracer, dont chaque étudiant doit faire l'acquisition en début d’année, avec une aide de la région (300 euros sur les 500 que l’élève doit débourser).

L’atelier qui l’embauche pratiquant la restauration de meubles, Alice se découvre quelques lacunes au moment de la fabrication, mais décroche son CAP haut la main. Conquise par l’enseignement dispensé par l’école, ainsi que par la bienveillance de ses professeurs, elle décide alors de poursuivre avec un brevet des métiers d’art (BMA), en deux ans, avec l’accord de l’école et de son maître d’apprentissage.

Une formation à tiroirs

Entre-temps, en 2015, elle obtient son CAP de dessinateur industriel d’ameublement, passage obligé dans l’école, à mi-chemin entre son CAP d’ébéniste et son BMA. "Ma 2e année ne s’est pas très bien passée. J’étais la seule fille, et l’ambiance était un peu bizarre ; ce qui m’a déstabilisée, évoque la jeune fille. Comme je ne me sentais pas encore prête à 100 % pour démarrer la vie active, j’ai décidé de compléter ma formation par un CAP de sculpteur sur bois en trois ans. En même temps, j’ai intégré un autre atelier, faubourg Saint-Antoine, où je suis encore aujourd’hui."

Au bout de deux ans, la jeune femme renonce à la sculpture sur bois mais pas à son école, et bifurque en… CAP marqueteur ! "On se partageait l’atelier, entre sculpteurs et marqueteurs. J’ai découvert la minutie de ce métier. Un univers entièrement manuel où la patience est primordiale, et j’ai adoré !" déclare Alice.

Fraîchement diplômée de ce nouveau CAP, elle vient d’obtenir la promesse d’un CDI pour septembre prochain à l’Atelier Blaise, où elle exerce ses talents en apprentissage depuis trois ans. Celle qui compare son univers à de la haute-couture n’est jamais blasée devant les finitions d’un meuble d’époque. Souvent même, elle s’émerveille de le sentir "habité" : "L’odeur, indéfinissable, entre vieux bois, vieux papier et… quelque chose de son ancien propriétaire. C’est fascinant !"

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