Interview

Les 20 ans d’Axel Kahn : comment il est devenu médecin généticien

Axel Kahn : « Mon besoin de m’engager pour un monde plus juste est toujours resté intact. »
Axel Kahn : « Mon besoin de m’engager pour un monde plus juste est toujours resté intact. » © Éric Garault pour L'Étudiant
Par Propos recueillis par Isabelle Dautresme, publié le 01 juin 2016
1 min

À 20 ans, Axel Kahn a deux vies : l’une à la fac, où il étudie brillamment la médecine, l’autre au parti communiste dont il est un membre actif. Aujourd’hui, scientifique renommé, il est connu du grand public pour ses prises de position sur des questions éthiques.

Quels souvenirs gardez-vous de votre adolescence ?

C’est une période difficile, marquée par le divorce de mes parents et des problèmes de santé. Lorsque j’étais en quatrième, on m’a découvert des lésions aux poumons, cela m’a valu un an de préventorium. Je n’ai donc pas fait de troisième. J’ai repris le fil de mes études assez facilement en seconde, d’abord au lycée jésuite de Pontlevoy [41] en internat, puis au lycée Buffon à Paris. En classe de première, j’ai commencé à accumuler les premiers prix et j’ai été lauréat du concours général [qui récompense les meilleurs élèves des lycées], reçu en grande pompe à ce titre par le proviseur. J’ai quitté le lycée avec un bac A [sciences-latin-grec] en poche.

En 1962, à 16 ans, vous avez rejoint le parti communiste. Pourquoi cet engagement ?

À 15 ans, soudainement, alors que j’étais très croyant, j’ai perdu la foi. Cela a marqué un véritable tournant dans ma vie. Pour autant le besoin de m’engager pour un monde plus juste, lui, est resté intact. J’ai alors pensé à la politique.

J'ai rejoint les jeunesses communistes au lycée, puis le parti communiste.

D’abord au PSU [Parti socialiste unifié]. Mais il ne m’a pas fallu longtemps pour m’apercevoir que ce parti n’était pas très sérieux. Je me souviens en particulier d’une réunion où nous débattions d’un plan d’action en vue d’une attaque du commissariat du XVe arrondissement de Paris. Nous devions récupérer des armes afin de combattre les membres de l’OAS [Organisation armée secrète]. Nous étions en 1962, en pleine guerre d’Algérie. C’était surréaliste ! J’ai très vite rejoint les jeunesses communistes, puis, le PC [parti communiste]. Puis, j’ai été élu au Bureau national des étudiants communistes et, à ce titre, j’ai côtoyé d’assez près les dirigeants du parti. J’étais alors le type même du jeune intellectuel bourgeois, très discipliné, "rallié à la classe ouvrière", selon la formule consacrée de ces temps-là.

Avez-vous un souvenir marquant de cette époque ?

Lors des terribles événements du métro Charonne, en février 1962, j’étais secrétaire du Cercle des jeunesses communistes du lycée Buffon. Je faisais donc partie des organisateurs de la manifestation interdite du 8 février 1962 – l’état d’urgence a été décrété en avril 1961 – qui s’est soldée par la mort de 9 personnes [manifestants qui se sont réfugiés dans la station de métro, lors de l’attaque de la police pour les disperser]. En signe de contestation, j’ai organisé, le jour des obsèques, un piquet de grève devant le lycée, empêchant ainsi les élèves, y compris ceux de classes prépas, d’assister aux cours. Furieux, le proviseur est sorti de son bureau et a entrepris de débloquer l’entrée de force. Je l’ai alors saisi fermement par les épaules et je l’ai raccompagné à l’intérieur du lycée. Je me souviens encore de son regard ébahi lorsqu’il m’a reconnu. Son monde s’écroulait. Comment un excellent élève comme moi pouvait-il aussi être un dangereux activiste bolchévique ?

Étiez-vous bagarreur ?

Oui, à cette époque, je me bagarrais beaucoup et j’adorais cela. Les distributions de tracts nous offraient l’occasion de nous confronter avec les étudiants de la fac de droit. Au final, j’ai accumulé un assez beau trésor de guerre : coups de poing américains, matraques…

Mon activité politique n’a jamais nui à mes résultats.

Tout ça piqué "aux fafs" [initiales de "France aux Français", militants extrémistes de droite]. Mais mon activité politique n’a jamais nui à mes résultats. Quand je préparais le bac ou que je révisais les concours, je me levais à 5 heures du matin pour travailler. J’ai toujours été matinal.

Pourquoi avez-vous choisi les études de médecine ?

En terminale, j’étais un excellent élève. Toutes les voies m’étaient alors ouvertes. Ce sont mes frères et mon père qui ont guidé mes choix, de façon bien involontaire. En effet, entre nous, il y avait beaucoup d’admiration mais aussi d’émulation, qui peut flirter avec la rivalité.

Mon père était philosophe, mon frère aîné Jean-François a fait des études en histoire, une science humaine. Quant à Olivier, il a opté pour des études de chimie théorique. Moi, j’étais le petit dernier. J’ai préféré ne pas me mettre en concurrence avec mes brillants aînés. Donc, exit la philo, les sciences molles et les sciences dures. Il ne me restait plus que les sciences semi-molles : la médecine. Il n’y a pas d’autre explication à mon orientation. Ce choix a beaucoup surpris mes professeurs. Je me souviens notamment de celui d’allemand pour qui l’excellence ne pouvait pas s’épanouir en médecine. Pour lui, ma place était en khâgne [classe préparatoire littéraire] ou en taupe [classe préparatoire scientifique], nulle part ailleurs.

Et vos parents qu’en pensaient-ils ?

Mes parents étaient très attentifs à leurs enfants dont ils ont toujours veillé à respecter les choix. Mon père était le type même de l’enseignant socratique. Son éducation avait pour objectif de nous permettre de révéler à nous-mêmes les richesses qui résidaient en nous.

Comment se sont-elles déroulées ?

L’année où j’ai commencé mes études de médecine, le ministère a lancé une expérimentation qui consistait à permettre aux étudiants qui le souhaitaient de faire en un an les programmes des deux premières années de médecine. À l’issue de cette expérimentation, les taux de réussite – environ 10 % – ont été jugés tellement médiocres que l’expérience n’a pas été reconduite. Mais moi, cela m’a permis de gagner une année. J’ai terminé premier au concours d’externat et, du premier coup, 13e à celui d’internat de médecine. J’ai même eu 20/20 en biochimie à l’externat. À seulement 22 ans, j’étais médecin… et toujours très actif en politique.

Quel genre d’étudiant étiez-vous ?

Sérieux et discipliné. En première année de médecine, je me souviens d’un camarade, fils de grands bourgeois, très chahuteur. Il avait installé une corne de brume, tout en haut de l’amphi. Un jour, alors qu’il l’actionnait pendant le cours, je me suis levé et l’ai harangué en lui reprochant son attitude.

J’étais communiste un tantinet rigide, je me devais donc d’être sérieux. Un communiste ne plaisante pas avec l’éducation. Seul le bourgeois peut se permettre une attitude désinvolte. 

Lisiez-vous beaucoup ?

Oui, énormément. J’avais deux auteurs cultes : Stendhal et John Steinbeck. Stendhal, surtout pour la langue et la richesse des descriptions des rapports humains. Chez John Steinbeck, je retrouvais des thèmes qui m’étaient chers : la révolte et le social. J’étais un jeune homme de gauche engagé, cet auteur me convenait bien. De façon générale, je lisais plutôt des auteurs classiques. Cela tient à mon éducation bourgeoise.

Étiez-vous sportif ?

Oui. J’ai toujours beaucoup marché. Les cinq premières années de ma vie, je les ai passées à la campagne au Petit-Pressigny [Indre-et-Loire], où je suis né. Nous ne nous déplacions qu’à pied. Au lycée, j’étais particulièrement fort en athlétisme, notamment en sprint et en saut en hauteur. À l’époque, cela n’était pas trop bien vu dans les milieux intellectuels où le sport était considéré un peu vulgaire.

Et si c’était à refaire ?

Je referais la même chose. Je ne regrette pas mes choix aussi bien professionnels que politiques. Ce qui ne m’a pas empêché d’être assez vite très critique vis-à-vis du parti communiste.

Quel message souhaiteriez-vous adresser à un jeune ?

Je suis parrain de nombreuses promotions d’étudiants à qui je dis : "Osez vouloir et vous pourrez peut-être." Aujourd’hui, les jeunes s’engagent moins. Ils sont persuadés que quoi qu’ils fassent, cela ne changera rien. C’est comme si le monde les intimidait.

Qu’est-ce que la réussite pour vous ?

Pour moi, la réussite se situe avant tout au plan de l’esprit et de la relation aux autres. Nous ne pouvons pas être heureux tout seuls. L’altruisme seul conduit au bonheur. Mais aujourd’hui, le bénévolat a mauvaise presse. L’idée selon laquelle tout travail mérite salaire est profondément ancrée. Nous sommes dans une société qui valorise essentiellement la réussite matérielle. Cependant, la persistance de réelles aspirations à l’engagement humanitaire m’invite à un certain optimisme.

Bio express

1944 : naissance au Petit-Pressigny (Indre-et-Loire).
1967 : interne des Hôpitaux de Paris.
1974 : docteur en médecine avec une spécialité en hématologie.
1976 : docteur ès sciences.
1984 à 2002 : directeur de l’unité de recherche génétique et pathologie moléculaire à l’INSERM.
1992-2004 : membre du Comité consultatif national d’éthique.
2007-2008 : président de la Fondation internationale de la recherche appliquée sur le handicap.
2007-2011 : président de l’université Paris-Descartes.
2012 : candidat aux législatives à Paris sous la bannière du Parti socialiste.

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