Interview

Les 20 ans de François Pralus, chocolatier : "Je me levais dès 5 heures du matin pour préparer mon CAP de pâtissier"

François Pralus est l’un des trois derniers maîtres chocolatiers, en France, à fabriquer son propre chocolat.
François Pralus est l’un des trois derniers maîtres chocolatiers, en France, à fabriquer son propre chocolat. © Thierry Beguin / Pralus
Par Propos recueillis par Séverine Tavennec, publié le 11 février 2015
8 min

Fils de boulanger-pâtissier, François Pralus a débuté comme apprenti, chez son père. Le CAP en poche, il travaille avec de grands noms de la profession, et part au Brésil à 22 ans. Puis il s’installe à son compte à 29 ans. Retour sur son parcours.

Enfant, vous habitiez au-dessus de la pâtisserie de votre père, à Roanne [42]. Quels souvenirs en gardez-vous ?

 

Je suis le petit dernier de quatre enfants et j'adorais traîner dans le laboratoire, regarder travailler les ouvriers, manger la pâte crue des brioches. Le four m'impressionnait beaucoup. J'allais aussi, très souvent, dans l'atelier de mon père, où il confectionnait des pièces artistiques en sucre. C'était un vrai artiste. Il a d'ailleurs reçu, entre autres, le titre de "meilleur ouvrier de France" en 1955.

Vouliez-vous déjà devenir pâtissier ?

 

Une chose est sûre : je me sentais bien dans cette ambiance artisanale. Le summum, c'était le mois de décembre. L'appartement familial se transformait en un grand laboratoire, où on préparait les papillotes de Noël. Il y avait cinq ou six femmes qui s'affairaient dans la salle à manger et à la cuisine. Je les aidais volontiers. C'était fantastique !

Vos parents vous envoient en pension, vous avez 8 ans. Vous y restez jusqu'à 15 ans...

 

C'était un établissement catholique, apostolique, situé près de Roanne. Je n'en garde pas un souvenir impérissable. C'était une école très stricte. Je revois encore les dortoirs avec tous ces lits alignés, d'une tristesse absolue et où la cohabitation s'avérait difficile... Quand j'ai vu le film "les Choristes", j'ai retrouvé la même atmosphère étouffante. Heureusement, le week-end, je rentrais chez moi. Je respirais enfin ! Je retrouvais ma famille et le laboratoire de la boulangerie, où je proposais mon aide, je fabriquais des petits gâteaux...

À 16 ans, vous intégrez un autre établissement privé. Vous vous y sentez mieux ?

 

Pas du tout. Je suis chez les sœurs, je retrouve le même environnement. Je m'ennuie profondément. Et je n'ai pas un grand appétit pour les études. Je suis vraiment un piètre élève. Seules la géographie et les sciences retiennent quelque peu mon attention.

Votre père vous prend en apprentissage dans sa pâtisserie. Comment se sont passées ces deux années ?

 

J'étais ravi de retrouver cet univers pour préparer le CAP [certificat d'aptitude professionnelle, NDLR] de pâtissier. Je me levais dès 5 heures du matin, et même à 3 heures le dimanche. Mon père était très exigeant, d'autant plus que j'étais son fils. Il me considérait avant tout comme un apprenti auquel on doit enseigner toutes les facettes du métier. Quant aux maîtres d'apprentissage, ils ne faisaient pas non plus dans la dentelle. Les "coups de pied au cul" volaient ! On avait intérêt à filer doux. Néanmoins, je ressentais une grande liberté. Je m'entendais bien avec les autres ouvriers. Et puis c'est aussi l'époque des copains et des virées à vélomoteur et de mon premier salaire d'apprenti.

Après le CAP de pâtissier, vous partez un an à l'armée, près de Lyon [69]. À votre retour, votre père vous envoie chez un ami chocolatier...

 

J'ai 19 ans, j'ai fini l'armée et je rentre dans la célèbre chocolaterie Bernachon, à Lyon. J'ai un petit appartement tout près car il faut, bien sûr, se lever tôt le matin. J'observe avec beaucoup d'admiration Maurice Bernachon, le perfectionniste qui œuvre devant ses grands culs-de-poule en cuivre – de larges chaudrons à fond arrondi –, dans lesquels il prépare ses ganaches. J'apprends beaucoup avec lui. Il est plus cool avec moi que mon père ne l'était. Je reste un an dans cette maison, j'y découvre le monde des fèves de cacao, et c'est la révélation ! J'ai déjà une idée en tête qui va faire doucement son chemin...
 
 

Mon père était très exigeant, d'autant plus que j'étais son fils. Il me considérait avant tout comme un apprenti auquel on doit enseigner toutes les facettes du métier.
  

Vous restez ensuite un an chez Gaston Lenôtre puis vous appelez votre ami Claude Troisgros, qui tient un restaurant au Brésil...

 

Je connais Claude, le frère de Michel Troisgros, depuis l'enfance. J'ai 22 ans, j'ai envie de partir, de prendre le large. Alors je le rejoins dans son restaurant, à Buzios, dans l'État de Rio de Janeiro, où il m'embauche comme cuisinier puis comme pâtissier. Buzios, c'est le Saint-Tropez du Brésil. Le restaurant n'ouvre que le soir. C'est la belle vie : la fête, les Brésiliennes... Deux ans de bonheur et de rigolades !

Ensuite, tout va s'enchaîner : chef pâtissier sur le paquebot Mermoz, puis à l'hôtel Méridien à Nice. Et, en 1988, vous rachetez l'affaire familiale...

 

J'ai 29 ans et mon père me confie la mission de perpétuer la tradition de la maison Pralus. Je suis très ému et très fier de devenir le gérant de la pâtisserie familiale. C'est un moment important pour moi et très symbolique. Je m'investis pleinement dans mon métier. Sans abandonner la pâtisserie et la praluline – une brioche aux pralines créée par mon père en 1955 –, je m'intéresse de plus près au monde des fèves de cacao, que j'avais découvert lors de mon stage chez Bernachon. L'idée m'était déjà venue, à l'époque, de fabriquer mon propre chocolat à partir de ces fèves. Je décide donc de créer un laboratoire entièrement dédié au chocolat.

Vous devenez ainsi l'un des rares chocolatiers à torréfier vous-même vos fèves et, donc, à fabriquer votre chocolat de A à Z...

 

Je fais en effet tout moi-même au lieu de m'approvisionner auprès de fournisseurs spécialisés. Je travaille avec les fèves séchées des plus grands crus de cacao, que je reçois notamment d'Amérique du Sud, d'Afrique et de l'océan Indien. À partir de ces fèves d'exception, je donne naissance à une vingtaine de purs crus. Comme pour les grands vins, on peut en effet parler de crus de cacao.

En 2000, vous réalisez votre rêve : posséder votre propre plantation...

 

Pendant deux ans, j'ai cherché le terrain idéal. Je suis tombé amoureux de l'île de Nosy-Be, surnommée l'"île aux Parfums", au nord-ouest de Madagascar. En 2000, j'acquiers une plantation de cacaoyers à Nosy-Be et un atelier de fabrication d'emballages à Madagascar. Une vingtaine de personnes travaillent sur la plantation, de 17 hectares. Ma première récolte a eu lieu à l'automne 2012.

Pouvez-vous nous décrire votre métier au quotidien ?

 

Tous les matins, après avoir réglé la paperasserie dans mon bureau, je rejoins mes chefs chocolatiers dans les laboratoires de ma manufacture, à Roanne. On reçoit des sacs de 60 kilos contenant des fèves séchées issues des plus grands crus de cacao d'Amérique centrale, d'Amérique du Sud ou encore d'Indonésie. Les fèves sont torréfiées, c'est-à-dire qu'elles sont soumises à une température de 130 à 140 degrés. Cette torréfaction va sécher les fèves et leur permettre de libérer leur arôme. Ensuite elles sont concassées, afin d'éliminer la peau, broyées et mélangées au sucre et au beurre de cacao. Après le mélange des différents ingrédients viennent les étapes d'affinage, de conchage, de tempérage et enfin de moulage, qui va donner sa forme finale au chocolat. Tout ce procédé de fabrication du chocolat exige une rigueur extrême : quelques degrés de trop pendant la torréfaction peuvent être fatals et faire notamment blanchir le chocolat.

Quel regard portez-vous sur votre parcours et quels conseils donneriez-vous à des jeunes qui voudraient se lancer dans ce métier ?

 

Avec un CAP en poche, je trouve que j'ai plutôt pas mal réussi ! J'ai beaucoup appris durant mes années d'apprentissage auprès de mon père, de Maurice Bernachon, de Lenôtre. Je n'ai jamais rechigné à me lever tôt. Je bossais très dur. Aujourd'hui, j'embauche dans mes boutiques des jeunes diplômés avec un bac+5 qui n'ont pas trouvé de postes correspondant vraiment à leur profil et qui ont donc dû élargir leurs recherches. J'en rencontre d'autres qui sont diplômés d'une école de commerce et qui décident, après quelques années professionnelles, de préparer un CAP de pâtissier. Il n'y a pas de règle. Au-delà du diplôme, je pense surtout que l'on réussit avec de l'ambition, de la persévérance, de la passion et beaucoup, beaucoup de travail. Cela paye toujours au final.

 

Biographie express
1959 : Naissance à Roanne.
1975 : Entre en apprentissage chez Auguste Pralus, à Roanne.
1982 : Responsable du restaurant de Claude Troisgros au Brésil.
2000 : Propriétaire d'une plantation de cacaoyers à Madagascar.
2003 : Lancement de la "pyramide des tropiques" (10 grands crus de chocolat).
2008 : Ouverture d'une boutique Pralus à Paris.
2009 : Primé "meilleur chocolatier de Paris" par le "Gault et Millau".
2012 : Ouverture d'une deuxième boutique à Paris.

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