Interview

Les 20 ans de Marc Trévidic : comment il est devenu juge antiterroriste

Marc Trévidic : "Je me suis inscrit 'bêtement' en fac de droit sans savoir ce que ça allait donner."
Marc Trévidic : "Je me suis inscrit 'bêtement' en fac de droit sans savoir ce que ça allait donner." © Jean-Paul Guilloteau/REA
Par Nathalie Helal, publié le 10 mai 2016
1 min

L’ancien juge antiterroriste Marc Trévidic vient de publier son premier roman "Ahlam". Il revient sur ses années de lycée, marquées par sa passion pour la littérature, et sur son parcours universitaire, qui l’a mené à la magistrature.

Quels souvenirs gardez-vous de vos années collège et lycée ?

J’étais studieux, très bon élève. Mes parents travaillaient tous les deux, mais ils regardaient toujours ce que je faisais. En cinquième, je ne sais pas ce qui m’a pris, je me suis mis à ne plus bosser. Cela a duré à peine quelques mois, inutile de vous dire qu'on m’a vite recadré ! En réalité, je ne me suis jamais dit qu’on ne pouvait pas travailler. Globalement, j’étais très littéraire. Pourtant, j’étais bon en maths ! Jusqu’à ce que je décide brutalement d’arrêter cette matière. Cela s’est passé en classe de quatrième. Il y a eu un contrôle, je l’ai bien réussi. Mais la professeure nous colle un zéro, à mon copain et à moi, sous prétexte qu'elle a trouvé la même faute dans l’exercice ! J’étais outré. Mes parents aussi, ils sont allés la voir, mais rien n’y a fait. C’est à ce moment-là que j’ai décidé de ne plus faire aucun effort et je rendais des copies blanches. Bien sûr, j’avais zéro. Mais c’était pour moi infiniment préférable à l’injustice que j’avais subie. Car je déteste, plus que tout, les punitions collectives. C’est absurde de punir des innocents pour attraper le coupable ! Plus tard, en seconde, lorsque j’ai intégré le lycée Hoche, à Versailles, je me suis retrouvé comme une évidence en section littéraire.

Avez-vous fait une rencontre déterminante avec un professeur à ce moment-là ?

J’ai le souvenir d’un professeur de français, qui m’a vraiment donné le goût de la littérature. Il enseignait aussi le latin, avec brio. Il était fan de Chateaubriand, et je le suis devenu moi aussi ! En même temps, il se foutait un peu de moi, pas méchamment, mais avec une ironie certaine. "Descendez de votre dolmen, Trévidic !", était sa phrase préférée… J’ai donc décroché mon bac A2, lettres et langues [l’actuel bac L].

Comment avez-vous pris le chemin des études de droit ?

Je ne savais pas trop ce que je voulais faire. Mes parents avaient pour moi une vision plus globale des études. Je me suis donc inscrit "bêtement" en fac de droit sans aucune idée de ce que cela allait donner ! Je ne vivais pas une époque faste, sur un plan purement personnel : mes parents ne s’entendaient plus très bien, et c’était assez perturbant pour moi aussi.

C'est mon professeur en droit des contrats qui m’encourage à me lancer dans la magistrature.

Je me suis retrouvé à Malakoff-Paris 5, une petite fac, pas très ancienne, à taille humaine, car il s’agissait d’une extension de l'université d'Assas. Mes parents m’ont trouvé un studio près de Pigalle, entre deux cabarets, le Narcisse et le Cupidon… Malgré l’atmosphère du voisinage plus que particulière, je ne me laisse pas distraire, et je me mets à travailler d’arrache-pied. Dès ma deuxième année, je me passionne pour le droit des obligations, le droit des contrats… Mes notes sont très bonnes. Je décroche mon DEUG [aujourd’hui, L2, licence deuxième année] avec mention, en 1985. En parallèle, je me présente à des concours, à des récompenses purement honorifiques. Mon professeur en droit des contrats, Monsieur Gridel, qui enseignait aussi à l’Institut des études judiciaires, me félicite et m’encourage à me lancer dans la magistrature.

Êtiez-vous autonome financièrement, quand vous étiez à la fac ?

Pas encore ! Après avoir enchaîné avec succès licence [l’actuelle L3, licence troisième année] et maîtrise [aujourd’hui M1, master première année], je trouve un petit boulot chez un disquaire, pour arrondir mes fins de mois. Mes parents me donnaient ce qu’il fallait, mais c’était toujours un peu juste. Le problème, c’est qu’il y avait tellement de fauche dans le magasin que l’on m’a viré ! Je voyais bien les voleurs, mais j’étais un freluquet et je n’avais pas envie de me bagarrer… C’est à cette époque que je prends une grande décision : je commence à préparer le concours d’entrée à l’ENM [École nationale de la magistrature]. Je ne vis que pour mes études.

Rien ne vous arrête, alors, pas même les obligations militaires ?

Quand je passe le concours d’entrée à la magistrature, nous sommes au mois d'octobre. Or, le 1er décembre 1987, je suis appelé, et je ne sais même pas si je suis reçu à l’ENM ! Je me retrouve au Camp des Loges, à Saint-Germain-en-Laye [78], dans un peloton de garde, pendant un an, après avoir fait mes classes à Fontainebleau [77]. Tout en étant soldat, je continue à étudier et je prépare un DEA [l’actuel master deuxième année] de droit privé.Tout en étant soldat, je continue à étudier et je prépare un DEA de droit privé. Mais ce que j’ignore, c’est que, quand on est reçu à l'ENM, c’est à Coëtquidan [56], en Bretagne, qu’on fait son armée, avec le grade d'élève-officier [aspirant]. Mes parents ont la surprise de recevoir la visite de la gendarmerie de Versailles, car j’étais signalé comme déserteur ! Il s’agissait d’une erreur administrative typique. Et c’est comme ça que j’ai appris finalement que j’avais été reçu à l’ENM, 37e sur 250 reçus.

Pourquoi avez-vous été attiré vers la fonction de juge antiterroriste ?

Dans le milieu des années 1980, on a assisté à de nombreux attentats terroristes en France : le drugstore Publicis, le P-DG de Renault, le Tati rue de Rennes [à Paris]… C’est aussi une grande période des prises d’otages au Liban. À cette époque, je suis en pleine préparation de l’ENM et je m’intéresse de très près à l’actualité. Juste avant l’attentat de la rue de Rennes, en 1986, la loi qui crée le premier pôle antiterroriste vient d’être votée. Mais ça n’est pas là que j’ai démarré ma carrière.

Et comment y êtes-vous arrivé ?

Je commence à Péronne [80], en Picardie, entre trafics de drogue et affaires d’incestes, puis je poursuis à Nantes, en cour d’assises et en permanence pénale. C’est presque à un concours de circonstances que je dois ma spécialisation de juge antiterroriste. Mon père décède à 55 ans d’un cancer, et ma mère développe au même moment une leucémie foudroyante. Elle est hospitalisée à l’Hôtel-Dieu, et je me retrouve à ses côtés. Pour veiller sur elle, j’intègre la section des crimes et délits flagrants au tribunal de grande instance de Paris. Un job ingrat et exposé ! Mais j’y suis resté.

Fin 1999, le procureur m’a proposé le parquet antiterroriste, mais du côté procureur. J'y rentre en 2000. Étonnamment, personne à cette époque ne s’intéressait à l'islamisme radical. Les gens n’étaient pas sensibilisés au danger, il y avait une véritable inculture derrière tout ça. Et le 11 septembre 2001, c’est une révolution. J’ai quitté ensuite le parquet en 2003, et c’est en 2006 que je suis nommé juge antiterroriste.

Et que diriez-vous, aujourd’hui, à un jeune qui rêve de devenir juge ? 

Cela n’est pas plus compliqué qu’autrefois. La filière n’a pas changé. La grande différence, c’est que cela s’est beaucoup féminisé, trop, peut-être. Attention, je n’ai rien contre les femmes magistrates, bien au contraire, et je ne suis pas macho le moins du monde. Mais force est de constater qu’avec 75 % de femmes dans ce métier, il y aura à terme de moins en moins d’hommes. Ce qui est dommage car chacun apporte à ce métier une sensibilité différente. Je recommande d’être polyvalent, de connaître le droit civil comme le droit pénal. Il ne faut pas avoir de lacunes, ou alors, le moins possible. Être scolaire est une faiblesse, il ne faut pas hésiter à approfondir, du moins pour réussir les concours. Aujourd’hui, beaucoup d’étudiants qui sont diplômés de Sciences po se présentent à l’ENM. D’autres, qui ont raté l’ENA [École nationale d'administration], aussi. C’est un vrai atout en matière de culture générale. Rester ouvert tout au long de sa carrière, c’est un atout ! J’en suis la preuve : à 50 ans, je fais du droit civil, alors que je n’en avais jamais fait de ma vie !

Quelle "philosophie", inspirée de votre parcours professionnel, aimeriez-vous transmettre à un étudiant ?

Les études, c’est une chose. Mais s’intéresser au monde autour de soi est primordial. Je suis puriste, mais le droit, pour moi, s’inscrit dans un objectif bien précis : arriver à vivre ensemble, en harmonie, à comprendre l’ordre du monde. Le droit n’est pas un gadget. Il faut étendre son horizon, ce que je fais aujourd’hui, par exemple, en me lançant dans l’écriture de roman. Auparavant, je n’avais écrit que des essais. Il est essentiel de rester ouvert et curieux. J’espère vraiment de tout mon cœur l’être resté. Je lui dirais également que quoi que l’on fasse, si on apprécie ce que l’on fait, on s’en sort toujours. C’est la volonté qu’on y met qui compte. Et que, par ailleurs, le droit mène à de nombreux métiers très divers !

Bio express

1965 : naissance à Bordeaux.
1983 : obtient son bac L.
1987 : à l’issue de son master 1 de droit, il est reçu à l’École nationale de la magistrature.
2006 : est nommé juge d’instruction au pôle antiterroriste du tribunal de grande instance de Paris.
2015 : est nommé premier vice-président au tribunal de grande Instance de Lille.
2016 : parution de son roman "Ahlam", aux éditions J-C Lattès.

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