Interview

Les 20 ans de Patrick Pelloux : "J'ai longtemps hésité : médecine ou musique ?"

Patrick Pelloux //
Patrick Pelloux // © Nicolas Tavernier / R.E.A
Par Propos recueillis par Sylvie Lecherbonnier, publié le 13 mars 2012
1 min

Depuis son coup de gueule de l’été 2003 alertant l’opinion publique sur les conséquences dramatiques de la canicule, Patrick Pelloux est devenu le médecin urgentiste le plus médiatisé. L'Etudiant l'avait rencontré en 2012. L'occasion de revenir sur les 20 ans de cet humaniste engagé, écrivain et chroniqueur à Charlie Hebdo, qui se découvre une vocation pour les urgences alors qu’il est en fac de médecine.

Comment vos années lycée se sont-elles passées ?

 

Originaire de Combs-la-Ville, en Seine-et-Marne, j'ai d'abord été élève dans un lycée à Dammarie-les-Lys. Ça s'est très mal passé. Les classes étaient surchargées. Je n'étais pas dans mon élément. Alors, en première, mon père m'a fait entrer dans un lycée expérimental à Paris, l'École internationale européenne. Il y avait des étudiants de tous les pays. Nous avions cours le matin et sport l'après-midi. Et là, je me suis épanoui.

Étiez-vous bon élève ?

 

J'étais un élève moyen mais travailleur. J'étais avant tout intéressé par les sciences et la philosophie. Au final, j'ai passé un bac D [aujourd'hui bac S spécialité SVT, NDLR].

Quand l'envie de faire des études de médecine est-elle née ?

 

J'étais au collège. C'était l'époque de l'émergence de Médecins sans frontières. Je les regardais à la télé et je me disais : "La médecine, c'est mon truc". Pourtant, je ne suis pas issu d'une famille de médecins, à part un oncle qui était généraliste.

Mon père était kiné, ma mère au foyer. Mais je ressentais de l'empathie envers les malades. Je voulais faire de la médecine humanitaire. À l'époque, je jouais aussi du piano et de l'accordéon. J'avais un groupe avec lequel on reprenait Supertramp et Jean-Jacques Goldman. D'ailleurs, j'ai longtemps hésité : médecine ou musique ?

Comment avez-vous vécu votre première année de médecine avec le couperet du concours ?

 

Je suis entré en médecine à l'université Paris 6 [devenue l'UPMC, université Pierre-et-Marie-Curie] en 1982, une année où le numerus clausus a diminué de manière drastique. Ça a été une année très difficile. J'habitais en banlieue, je passais trois heures par jour dans les transports. Les amphis étaient aussi bondés qu'aujourd'hui. Je ne savais pas travailler, je n'ai pas bien compris ce qui se passait... Bref, j'ai planté ma première année ! Je suis arrivé à 50 places du dernier reçu.

Mais j'avais trouvé ce que je voulais faire. J'étais émerveillé par les professeurs de physique, de biologie animale, qui possédaient des connaissances incroyables. Alors, j'ai de nouveau énormément travaillé. Et je ne le regrette pas. Lors de ma deuxième première année, je suis arrivé 100e.

 

C'est quelque chose d'important pour moi cet engagement collectif.

 

 

Comment vous êtes-vous dirigé vers la médecine d'urgence ?

 

Pendant mes premières années d'études, c'était le début de l'épidémie de sida. Je me souviens, en deuxième année, une biochimiste nous a expliqué : "Il existe un syndrome d'immunodéficience acquise, le sida, et on ne sait pas bien comment il fonctionne."

Les premiers stages sont arrivés en quatrième année. Et j'ai atterri aux urgences pédiatriques, à l'hôpital Trousseau [dans le XIIe arrondissement], un peu par hasard. J'y ai passé deux mois non-stop. Une révélation ! Le responsable du service de l'époque, le professeur Carlioz, m'a prévenu : "Il n'y a pas de postes aux urgences, ce sera difficile." J'ai quand même décidé de faire tout mon cursus dans cette discipline. L'univers des urgences est passionnant, elles représentent la médecine de la rue. Ce sont elles qui ont fondé la médecine. Avec l'armée, puisqu'il fallait soigner les soldats.

Vous vous êtes alors spécialisé.

 

J'ai d'abord passé ma thèse d'exercice en médecine générale, avec le Dr Héricord, sur une conséquence climatique : le verglas de novembre 1993 et les pluies verglaçantes sur Paris. Il n'y avait pas de concours de l'internat à l'époque pour les médecins généralistes. Puis, à la faveur du rapport Steg qui voulait professionnaliser les urgences, Jacques Lebas, à l'hôpital Saint-Antoine [dans le XIIe arrondissement], a monté le premier certificat de médecine d'urgence. J'en étais ! Je voulais avoir un poste dans cette spécialité à l'hôpital, mais il y en avait très peu.

Du coup, à la fin de mes études, j'ai fait des remplacements en médecine générale, mais cela ne m'intéressait guère. Je m'ennuyais sans les équipes. La seule chose qui me plaisait, c'était les gardes de nuit. J'avais continué la musique en parallèle, alors j'ai passé quelques mois à jouer de l'accordéon ! Le Dr Héricord m'a ensuite recontacté pour que j'aille travailler avec lui. Je suis rentré aux urgences de Saint-Antoine à ce moment-là.

Dans votre parcours, beaucoup de professeurs semblent vous avoir marqué...

 

C'est mon côté sentimental, sans doute. Quel que soit le métier, vous vous appuyez toujours sur des gens qui vous ont appris. C'est valable pour d'autres professions de santé, les infirmières par exemple. Les meilleurs enseignants que j'ai rencontrés sont ceux de sciences fondamentales : des passionnés de science et des pédagogues.

Vous avez fondé le syndicat des médecins urgentistes en 1998. Vous êtes un ardent défenseur de l'hôpital public. Étiez-vous également engagé pendant vos études ?

 

J'ai toujours été très engagé dans les syndicats étudiants, mais jamais en politique. Je prenais part à une organisation d'étudiants en médecine, indépendante. Plus jeune, j'ai aussi été délégué de classe. C'est quelque chose d'important pour moi cet engagement collectif. Vous participez, vous essayez d'infléchir les choses...

Vous étiez issu d'une famille modeste. Comment avez-vous financé vos études ?

 

Je donnais des cours de maths. Je faisais des concerts, des bals... Mais à l'époque, les coûts des transports et du logement n'étaient pas aussi prohibitifs que maintenant.

 

Faire quelque chose qu'on aime, c'est déjà avoir un pas dans le bonheur.

 

 

Quels conseils donneriez-vous aux étudiants – nombreux – qui souhaitent entreprendre des études de médecine ?

 

Il faut une abnégation au travail. Ce n'est pas une soumission mais une liberté que d'apprendre. Lors de la première année, vous avez neuf mois devant vous, comme une grossesse. Vous devez rester concentré, bosser votre mémoire, peu sortir, et travailler, travailler, travailler...

Le bonheur intellectuel n'est pas simple, mais y accéder est l'une des plus grandes joies. D'ailleurs, être heureux n'est pas une facilité, ça se travaille. Il faut savoir rester optimiste, se faire plaisir. Plus globalement, les jeunes doivent se lancer dans leur passion, car faire quelque chose qu'on aime, c'est déjà avoir un pas dans le bonheur.

Alors même que vous dénoncez les conditions de travail à l'hôpital, recommandez-vous aux jeunes de se lancer dans cette voie ?

 

Si ça leur plaît, oui. Ils ne doivent pas faire médecine pour pouvoir s'acheter une Porsche Cayenne ou une piscine ! Les médecins qui gagnent très bien leur vie ne sont pas tous très fréquentables. Et je n'ai pas du tout la même vision de la médecine qu'eux.

Vous savez, l'élitisme tue. Il y aura toujours du travail en médecine. Les jeunes doivent s'y diriger par passion, engagement, empathie, humanisme... mais pas pour la Carte bleue.

Et si c'était à refaire ?

 

Je referais le même parcours. Je m'orienterais vers la médecine d'urgence, car c'est l'une des moins répétitives qui soient, même si elle est très difficile. Aujourd'hui, les étudiants ont la chance de pouvoir suivre des licences et des masters, en parallèle de leurs études de médecine.

Alors peut-être que si c'était à refaire, je suivrais aussi des études de sociologie ou de philosophie. Et je n'aurais pas arrêté le piano. Il ne faut jamais laisser tomber la musique. C'est un sens de la vie... Même si je jouais comme un pied !

Biographie express
1963 : naissance à Villeneuve-Saint-Georges (94).
1982 : obtient le bac D (actuel bac S option SVT). Première année de médecine à l'université Paris 6.
1985 : stage de quatrième année aux urgences pédiatriques de l'hôpital Trousseau (Paris XIIe).
1995 : thèse d'exercice en médecine générale.
1996 : capacité en médecine d'urgences et de catastrophe.
1995-2008 : médecin urgentiste à l'hôpital Saint-Antoine (Paris XIIe).
Depuis 1998 : président fondateur de l'AMUHF (Association des médecins urgentistes de France).
Août 2003 : alerte, via les médias, sur les conséquences de la canicule sur les services hospitaliers.
Depuis 2004 : chroniqueur à "Charlie Hebdo".
Depuis 2008 : médecin urgentiste au Samu de Paris.

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