Interview

Les 20 ans de Zahia Ziouani : “On me disait que chef d’orchestre n’était pas un métier de femmes”

Les 20 ans de Zahia Ziouani : “On me disait que chef d’orchestre n’était pas un métier de femmes”
À 28 ans, Zahia a été récompensée pour son parcours artistique, au Sénat, dans le cadre des Trophées de la réussite au féminin. © Christophe Fillieule
Par Propos recueillis par Séverine Tavennec, publié le 13 avril 2015
8 min

L’année de sa terminale, Zahia Ziouani quitte Pantin pour préparer le bac en horaires aménagés à Paris. Depuis l’âge de 8 ans, elle pratique la musique. Très tôt, elle a eu conscience des difficultés à franchir pour vivre de sa passion.

Vous avez vécu en banlieue parisienne, en Seine-Saint-Denis [93], dans une famille mélomane. Quels souvenirs en gardez-vous ?

 

J'ai grandi dans un milieu modeste et dans un quartier très populaire de Pantin avec ma sœur jumelle, mon frère et mes parents, tous deux passionnés de musique classique. Mon papa travaillait dans la restauration près de la salle Pleyel où il se rendait souvent. Les vinyles de Beethoven et de Mozart résonnaient dans l'appartement.

À quel moment commencez-vous l'apprentissage de la musique ?

 

Ma maman a voulu inscrire ses enfants au conservatoire de la ville. Il n'y avait alors qu'une seule place et comme elle ne voulait pas choisir entre ses deux filles, elle a inscrit mon frère. Nous étions déçues, ma sœur et moi, mais très vite, ma mère a décidé de nous apprendre les bases de la musique grâce à une amie musicienne qui lui a donné deux, trois tuyaux. Et quand deux places se sont libérées en cours d'année au conservatoire, elle a pu nous inscrire. Nous avons donc intégré le conservatoire avec ces quelques connaissances apprises à la maison.

Quel instrument avez-vous étudié ?

 

À 8 ans, j'ai commencé par la guitare classique, ma sœur le violoncelle. Mais, très vite, c'est le travail au sein d'un orchestre qui m'a attirée. À 12 ans, j'ai donc étudié l'alto, un instrument à cordes, ce qui m'a permis de jouer dans un orchestre et de découvrir cet univers. J'ai énormément travaillé. Les journées étaient bien remplies. Après le collège, nous allions au conservatoire avec ma sœur. Je faisais aussi beaucoup de natation. Je n'ai jamais connu l'ennui.

Dans votre chambre, colliez-vous des posters de vos maestros préférés ?

 

Oui ! J'admirais notamment le maestro roumain Sergiu Celibidache. Son portrait ornait un mur de ma chambre mais aussi celui d'Herbert von Karajan et d'autres. J'ai dû écouter une ou deux fois Patrick Bruel mais je me nourrissais essentiellement de musique classique. J'étais déterminée à acquérir la maîtrise de cet art.

Le métier de chef d'orchestre vous attire très vite. Comment réagit votre entourage ?

 

En fait, j'y pensais secrètement. Au conservatoire, je commençais à emprunter le conducteur du chef d'orchestre et je l'étudiais pour mieux comprendre ce qu'il attendait de nous. Je regardais aussi avec mon père des documentaires sur les chefs d'orchestre. Je ne voyais que des hommes âgés. Mes parents et mes professeurs avaient un regard bienveillant et attentif à mon égard mais tous me disaient : "Concentre-toi sur tes études. Ce n'est pas un métier de femmes." Cela m'a très vite alerté sur les difficultés que j'allais rencontrer.

À quel moment prenez-vous la décision de vous former au métier de chef d'orchestre ?

 

À 16 ans, j'ai été admise en tant qu'auditrice à un stage de direction d'orchestre conduit par l'assistant de Sergiu Celibidache. Il n'y avait que des garçons ! Je me faisais toute petite. L'assistant du maître m'a donné une partition pour m'entraîner aux gestes de chef d'orchestre. Il m'a observé, m'a dit que j'étais très douée et m'a proposé de rencontrer le maître.

Je devais étudier la Neuvième Symphonie de Bruckner pour le premier cours. Je suis allée acheter la partition. J'estimais que je n'avais pas la maturité musicale pour bien appréhender cette symphonie. Je me suis quand même mise au boulot mais j'ai hésité à y aller.

Vous débutez votre formation comme élève du grand chef roumain Sergiu Celibidache que vous admiriez... Étiez-vous impressionnée ?

 

J'appréhendais beaucoup le premier cours. Le maestro était réputé très dur. Il a demandé aux élèves de se lever. Il en a "engueulé" un et il s'est adressé à moi très sèchement : "Où as-tu appris à diriger comme cela ?" J'étais tétanisée. Son assistant lui a répondu aussitôt : "Elle a juste dirigé une fois la semaine dernière". Le maître m'a accepté dans sa classe en m'avertissant que ce qui manquait aux femmes, c'était la persévérance, qu'elles n'avaient jamais tenu plus de quinze jours dans sa classe. J'y suis restée un an et demi jusqu'à sa mort. Durant toute cette période, mon père, conscient de la chance que j'avais de travailler avec ce grand maître, m'a encouragée. Cela m'a donné envie d'aller plus loin et de dépasser mes limites.

  
 

Créé en 1998 par Zahia, l’Orchestre symphonique Divertimento réunit 70 musiciens de Paris et Île-de-France.
 

Comment conciliez-vous l'enseignement musical et les études ?

 

En seconde et en première, nous étions élèves au lycée Berthelot, à Pantin, avec ma sœur. En terminale L, nous avons intégré le lycée Racine, à Paris, en horaires aménagés. La professeur de musique a été très impressionnée quand elle a appris que j'étudiais la direction d'orchestre avec Celibidache. Nous étions assez brillantes avec ma sœur. Tous les professeurs pensaient que nous venions des lycées Henri-IV ou Charlemagne ! Quand ils ont su que nous venions du lycée Berthelot, ils ont été très surpris.

Leur regard sur ces banlieues, c'était nouveau pour nous. Il n'y avait en effet pas beaucoup de mixité sociale à Racine. Heureusement, nous avions avec les autres élèves une passion commune : la musique. Cela a donc été un peu dur mais m'a d'autant plus encouragée à poursuivre mon rêve.

Après l'obtention du bac, pourquoi suivez-vous des études à l'université plutôt que de vous consacrer pleinement à la direction d'orchestre ?

 

C'était important pour moi d'approfondir mes connaissances théoriques. Cela m'a rassuré ainsi que mes parents. Je me suis donc inscrite à la Sorbonne en analyse musicale, orchestration et en musicologie tout en continuant la pratique de chef, dans des conservatoires, auprès d'orchestres d'étudiants musiciens, à Paris et à Stains, dans le 93. J'ai repéré des étudiants avec lesquels j'ai eu envie de travailler et j'ai donc créé, à 20 ans, l'Orchestre symphonique Divertimento qui réunissait des jeunes de Paris et de banlieue qui avaient une passion commune mais ne se rencontraient jamais. Nous répétions au début dans les salles des conservatoires dans lesquels je travaillais. Mon investissement était à la fois pédagogique et artistique avec ce fort désir de transmission.

Aviez-vous une vie sociale en dehors de la musique ?

 

C'est simple : entre 20 et 25 ans, je me suis réfugiée dans un travail acharné. Je ne vivais que de musique. Mes journées étaient très remplies. Je vivais encore chez mes parents. Je m'y sentais bien. Je gagnais ma vie en enseignant dans les conservatoires. Après avoir décroché ma licence à la Sorbonne, j'ai passé le concours de professeur de musique, chargé de direction. Je l'ai réussi à 23 ans, et je devais trouver un poste dans la fonction publique. Beaucoup de collectivités étaient convaincues de mon enthousiasme mais jusqu'à confier la direction d'un conservatoire à une jeune femme de cet âge-là…

Il faudra attendre deux années avant qu'un élu accepte de vous recruter : comment l'avez-vous convaincu ?

 

À 25 ans, la Ville de Stains, où j'enseignais la direction d'orchestre au conservatoire, m'a donné ma chance. L'actuel directeur partait. Je connaissais les élèves, les parents d'élèves, certains élus. J'ai postulé en présentant un projet axé autour des pratiques d'orchestre et collectives. Cette mixité sociale a séduit le maire de Stains. Je suis devenue directrice du conservatoire de musique et de danse de la Ville de Stains. J'ai quitté le cocon familial et j'ai rencontré l'homme qui allait devenir mon mari. Depuis dix ans, je multiplie les projets et les actions pour que la musique classique soit accessible à tous les enfants.

Quels conseils donneriez-vous à une jeune femme qui souhaiterait devenir chef d'orchestre ?

 

Je lui dirais de ne pas s'interdire de croire en ses possibilités. Lorsque je l'ai dirigé, pour la première fois, l'Orchestre symphonique national d'Algérie était exclusivement masculin. Aujourd'hui, il a intégré des filles ! Tout est possible avec beaucoup de travail, de la confiance en soi, de la persévérance et de la patience. On peut ainsi surmonter les difficultés et dépasser ses limites. À maintes reprises, j'aurais pu baisser les bras mais j'y croyais !

 

Biographie express
1978 : naissance à Paris.
1986 : suit des cours de guitare au conservatoire de Pantin.
1994 : intègre la classe de direction d'orchestre du maestro Sergiu Celibidache.
1998 : crée l'Orchestre symphonique Divertimento.
2003 : nommée directrice du conservatoire de musique et de danse de la Ville de Stains.
2007 : nommée chef d'orchestre principal invitée de l'Orchestre symphonique national d'Algérie.
2008 : crée le festival Classiq'à Stains.
2014 : décorée officier de l'ordre des Arts et des Lettres.
 

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