Portrait

Mourad Boudjellal, éditeur de BD : "Je dois apporter aux auteurs une présence, une écoute, des conseils"

publié le 07 décembre 2012
6 min

Lecteur compulsif de bandes dessinées depuis sa prime enfance, Mourad Boudjellal est aujourd'hui, à 46 ans, le plus gros éditeur indépendant français de BD. Sa maison d'édition, Soleil, basée à Toulon, emploie plus de 400 personnes et publie environ 300 nouveautés par an, parmi lesquelles des séries à succès comme "Lanfeust de Troy", "Trolls de Troy" et "Léo Loden". Retour sur le parcours d'un autodidacte passionné, qui aime plus que tout le contact avec les auteurs.

Comment avez-vous débuté ?

J'ai commencé par organiser des festivals de BD à Toulon, puis à Hyères, lorsque j'étais adolescent. Plus tard, j'ai abandonné la fac pour monter une librairie spécialisée à Toulon. En 1992, j'ai souscrit un emprunt bancaire équivalent à 7 500 € pour créer ma maison d'édition. Je ne connaissais rien au métier d'éditeur, et les premières années ont été difficiles. Au bout de trois ans, j'avais accumulé 120 000 € de dettes. C'est alors que j'ai eu l'idée de rééditer « Rahan » en beaux livres, pour les fans de la série, devenus adultes. Les albums ont tellement bien marché que j'avais remboursé mes dettes avec les quatre premiers tomes. Et il m'en restait encore 18 à éditer ! Parallèlement, j'avais repéré, dans le sud de la France, des auteurs qui arrivaient à maturité. C'est avec eux que je me suis lancé dans ce que je fais aujourd'hui, de la SF et de l'heroic fantasy. Je fais de la BD populaire, et j'ai du respect pour ce genre. Ce n'est pas simple d'avoir la grâce du grand public.

Où trouvez-vous vos auteurs ?

Je regarde ce qui se fait dans le monde, dans différents médias : bande dessinée bien sûr, mais aussi jeux vidéo, dessins animés, etc. Ensuite, j'essaie de concocter les bons mélanges entre scénariste, dessinateur et coloriste. J'accorde les styles, j'équilibre les caractères, les expériences... Certains auteurs m'envoient directement leur dossier, mais je n'en retiens pas plus d'un sur 100. Je surveille également ce qui se fait dans les écoles d'art. En fait, je gère plusieurs générations d'auteurs en même temps : des jeunes qui deviendront un jour connus, et des divas.

Quand un projet de livre est lancé, quel est votre rôle ?

Comme tout éditeur, je travaille avec des directeurs de collection. Mais je tiens à suivre de près le travail des auteurs. Je lis le synopsis et j'en discute avec le scénariste. Puis je regarde les planches au fur et à mesure qu'elles arrivent. Je suis surtout attentif à la lisibilité des images : j'ai une vision très rapide, je vois tout de suite si graphiquement, cela tient la route ou pas. Bien que je ne dessine pas, je sais comment doivent être les perspectives, les couleurs... Je choisis aussi les couvertures des albums, en fonction des propositions que les auteurs me soumettent.

Quelles relations entretenez-vous avec ces auteurs ?

Beaucoup de mes auteurs peuvent signer avec n'importe quel éditeur. Je dois donc leur apporter le meilleur service : une présence, une écoute, des conseils... Les auteurs de BD sont souvent jeunes, et il m'arrive de les consoler quand ils ont des histoires de cœur... Bien sûr, je suis là aussi pour les motiver, pour développer leurs produits et faire en sorte qu'ils soient bien commercialisés, bien médiatisés.

À quoi votre emploi du temps ressemble-t-il ?

Accompagner les auteurs, réfléchir à ce qui va marcher sont les aspects que je préfère. Mais il y a aussi les rendez-vous avec les banquiers, le suivi de la fabrication, les discussions avec les distributeurs et, bien sûr, tout le travail de gestion de la société. J'ai appris la gestion sur le tas et j'ai commis des erreurs. Heureusement, quand il s'agit de son propre argent, on apprend vite ! Comme le service éditorial de Soleil est basé à Toulon, et les départements commercial-marketing à Paris, je me partage entre les deux sites : une semaine à Toulon, et la suivante dans la capitale.

Comment voyez-vous l'avenir de la BD ?

Le manga, et plus généralement la BD asiatique, vont prendre de l'importance. En fait, nous allons vers une BD universelle, qui sera la même partout dans le monde, un mix entre manga, jeu sur PlayStation, dessin animé, etc. En revanche, je ne crois pas que le support livre disparaîtra. Il existe en France une véritable culture du livre, et l'écran ne prendra jamais la place du papier.

Quels conseils donnez-vous aux jeunes qui veulent exercer ce métier ?

Je n'ai pas fait d'études, mais je pense qu'une formation permet de gagner du temps et d'éviter certaines erreurs. Je conseille aussi d'avoir beaucoup l'humilité, de ne pas commencer par un projet trop ambitieux. Au début, il faut s'appuyer sur les catalogues et les fonds des autres éditeurs et les exploiter : cela permet de créer une structure à moindre coût. Encore aujourd'hui, on peut trouver des niches, comme je l'ai fait avec « Rahan » et « Mandrake ».


Son parcours 
1960 : naissance à Ollioules (83). 
1979 : obtient un bac littéraire à Toulon (83). 
1982 : ouvre une librairie spécialisée dans la BD à Toulon. 
1989 : fonde la maison d'édition Soleil, à Toulon. 
2004 : s'associe avec Gallimard autour de la collection « Futuropolis ».

Formation : visez plutôt un cursus long
S'il était possible, il y a quelques années, de débuter dans l'édition sans formation spécifique, il est aujourd'hui préférable de suivre un cursus adapté.

Les formations courtes. Le BTS (brevet de technicien supérieur) édition et le DUT (diplôme universitaire de technologie) info-com option métiers du livre ne préparent pas au métier d'éditeur, mais ils constituent une bonne carte de visite pour mettre un pied dans le secteur. Le premier, très technique, forme des « fabricants » du livre, le second, plus polyvalent, prépare à certaines fonctions dans l'édition, telles qu'assistant de fabrication ou d'édition.

Les formations longues. Quatre IUP (instituts universitaires professionnalisés), à Paris 10, Paris 13, Grenoble et Clermont-Ferrand (63), sont tournés vers les métiers du livre et de l'édition. Cependant, si vous rêvez plus précisément d'intégrer un service éditorial, vous avez tout intérêt à vous armer d'un master. Une dizaine de ces diplômes bac + 5 préparent aux fonctions éditoriales, à l'instar du très réputé master professionnel édition de Paris 13-Villetaneuse. Mais l'université n'a pas le monopole des formations : le mastère spécialisé management de l'édition de l'ESCP-EAP (European School of Management), à Paris est réputé. On trouve également, parmi les éditeurs, des diplômés en commerce ou en science politique, et des personnes ayant intégré le secteur grâce à leur goût pour la lecture ou l'écriture (correcteurs, auteurs, etc.).

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