Portrait

Patrice Vigier, luthier : "Le plus grand plaisir : la rencontre avec les artistes"

Par Ludivine Coste, publié le 07 décembre 2012
7 min

Rencontre avec Patrice Vigier, luthier, dont l'entreprise se place en tête des constructeurs français de basses et de guitares électriques. Ce qui n'empêche pas l'entrepreneur de conserver son regard d'ado émerveillé lorsqu'il évoque ses idoles de rock ou de jazz !

À l’entrée de l’usine Vigier, en banlieue parisienne, on est presque déçu. Des bureaux rangés, une secrétaire à son poste… : pas très rock and roll pour le premier constructeur français de basses et de guitares électriques. Passé dans l’atelier, des manches de guitares, des corps de basses suspendus dans le vide surgissent enfin comme des fantômes désarticulés… Au fil de la visite, Patrice Vigier, 48 ans, fondateur et patron de Vigier SARL, abandonne le profil du chef d’entreprise pour retrouver un regard d’ado émerveillé à l’évocation de ses clients les plus prestigieux : Roger Glover, du groupe Deep Purple, Tony Sales, bassiste de David Bowie, ou encore Stanley Jordan, fameux guitariste de jazz…

Comment avez-vous débuté ?

Patrice Vigier Enfant, j’ai écouté Instant Karma, de John Lennon, et Black Night, de Deep Purple. Et là… Ahhh ! Ça a été mon premier choc musical. J’ai découvert tous les trucs du moment : Led Zep, Genesis, Yes, Status Quo…, et j’ai commencé à jouer dans des groupes. À 17 ans, je me suis fait virer du lycée. J’ai saisi ça comme une chance. J’ai étudié la guitare classique et le solfège. J’ai acheté une guitare très chère, mais j’ai été tellement déçu que je suis mis à la bricoler pour la rendre acceptable.

Comment vous êtes-vous lancé dans la fabrication ?

J’ai commencé par faire des réparations. Un ami qui avait une boutique à Paris m’a permis de recevoir mes premiers clients chez lui. Mais je me suis dit : ce n’est pas réparer les guitares qui m’intéresse, mais les fabriquer. Alors à 22 ans, j’ai lancé ma société avant de savoir faire une guitare ! J’ai participé au Salon de la musique pour présenter mes premiers modèles, et je suis parti en voiture, avec mes guitares sous le bras, pour démarcher des magasins. J’ai eu mes dix premières commandes. Aujourd’hui, j’en fabrique 500 par an.

Est-ce facile de fabriquer une guitare ?

Ça prend entre trois et cinq mois. Il faut d’abord une forme et réfléchir aux innovations techniques. On commence par découper la caisse et le manche, avant de les assembler avec de la colle. On attend cinq semaines, le temps que cet ajout d’humidité se répartisse dans le bois. Puis on ponce avec du papier de verre, on peint et on passe une couche de vernis très fine. Il ne reste plus qu’à poncer de nouveau, polir, monter l’instrument et poser mécaniques et micros.

Le choix du bois est-il important ?

Mes préférés sont l’érable pour le manche et l’aulne pour la caisse, question de poids et de son. Ce sont des bois très stables. J’achète le bois brut que je laisse vieillir pendant sept ans, alors que pour une guitare industrielle, le temps de séchage n’est que de sept semaines ! Faire vieillir le bois, ça permet de le laisser travailler et se positionner tout seul. Des clients comme le groupe Deep Purple tournent en Europe, en Inde ou en Australie, et passent par des endroits humides, secs, chauds ou froids. Leurs manches ne se creusent pas, les cordes sont toujours à la même distance… Leurs instruments restent réglés comme au premier jour.

Qu’est-ce qui fait le prix d’une guitare ?

Entre une à 1 500 e et l’autre à 2 800 e, c’est le soin et le temps apportés qui font la différence. Ce qui rend un instrument exceptionnel, ce sont des milliers de détails. Par exemple, laisser sécher un vernis à l’air libre signifie cinq semaines de stock au minimum. Ça coûte cher. Par ultraviolets, une fabrication industrielle n’y consacre que quinze minutes.

De quelles innovations êtes-vous fier ?

La stabilité de nos manches. Sur les premières Vigier, j’utilisais du métal. Un ami qui travaillait chez Renault F1 sur des châssis en carbone m’a donné l’idée de me servir de ce matériau. Nous avons également été les premiers à proposer une guitare avec un micro-processeur intégré qui mémorisait les sonorités de l’instrument. En 1980, il y a eu aussi la guitare fretless, c’est-à-dire sans barrette pour fixer les notes. On n’était pas les premiers, mais c’est la seule fretless qui sonne vraiment. Tout le monde ne peut pas en jouer. Dans la musique pure, la justesse sera juste un peu avant la barrette ou juste après. Comme sur un violon, le doigt donne la note voulue. Ce nouvel instrument a permis la composition de nouvelles musiques.

Vous devez rencontrer beaucoup d’artistes. C’est le plus du métier ?

Le plus grand plaisir, c’est la rencontre avec les artistes. Pouvoir travailler avec des gens qui ont un réel talent et qui font vivre les instruments, ça c’est génial. Je me souviens qu’un jour, Steve Lukather, en tournée avec Toto en Allemagne, a essayé une de nos guitares et l’a trouvée super. Le lendemain, il jouait à Paris et a demandé à me rencontrer…

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes qui voudraient débuter dans ce métier ?

Il y a des gens chez nous qui n’ont pas de diplôme d’un haut niveau mais qui sont de grands luthiers. Je regarde d’abord le talent. Je demande toujours aux candidats d’apporter quelque chose qu’ils ont réalisé. On peut avoir un diplôme machin et être un gougnafier… Les bons luthiers sont très méticuleux. Ils peuvent être même énervants, car trop perfectionnistes ! On a des délais à respecter. Et puis, il faut aimer la musique et le son de la guitare. Ça fait 26 ans que je fais des guitares, et quand j’en branche une, ça m’éclate toujours autant !



Son parcours
1958 : naissance à Issy-les-Moulineaux (92).
1978 : création de la lutherie Vigier pour les réparations de guitares.
1980 : est le seul employé de la SARL Vigier.1990 : lancement de la série de guitares Excalibur. À partir de cette date, Vigier vend davantage de guitares que de basses.
2006 : la SARL Vigier emploi 20 salariés, dont cinq luthiers.



Formation : une école et deux diplômes, le CAP et le BMA
Les luthiers ont en commun de fabriquer et de réparer des instruments à cordes et à caisse de résonance (luths, violons, contrebasses, guitares…). L’ITEMM (Institut technologique européen des métiers de la musique), au Mans (72), est la seule école à proposer une formation en facture instrumentale avec option guitare. 
Le cursus prépare au CAP assistant technique en instruments de musique option guitare, après la classe de troisième. Ce diplôme permet de travailler comme ouvrier qualifié sous la responsabilité d’un professionnel, en tant que réparateur de guitares. Vous serez apte à assurer la maintenance de l’instrument (régler le manche, la caisse…). Les titulaires de ce CAP peuvent poursuivre en BMA (brevet des métiers d’art), toujours à l’ITEMM, un diplôme grâce auquel on peut assurer seul des opérations de maintenance, de réparation, de contrôle et de préparation des guitares. 
Après quelques années d’expérience, les professionnels conseillent aux plus motivés et aux plus doués de se lancer dans la création d’instruments.
 

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