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Daniel Marcelli : "On devient adulte quand on cesse d'agir pour « emmerder » ou plaire à ses parents"

publié le 08 octobre 2010
1 min

De A pour absentéisme à V pour voyageur… Le premier « Dictionnaire de l’adolescence et de la jeunesse » vient de paraître aux PUF (Presses universitaires de France) dans la collection Quaridge Dicos Poche. Sous la direction d’un sociologue, David Le Breton, et d’un médecin psychiatre, Daniel Marcelli, cet ouvrage propose un panorama éclairant des différents enjeux qui concernent les jeunes aujourd’hui. Avec des analyses qui croisent plusieurs disciplines, il s’adresse aux professionnels de l’éducation, du social, de la médecine mais aussi aux parents en mal de décryptage de leur ado… Un aperçu avec Daniel Marcelli, co-auteur de l'ouvrage, qui met l’accent sur quelques définitions clés…

Quelles différences y a-t-il entre l’adolescence et la jeunesse ?

La jeunesse est plutôt un terme issu de la sociologie. Elle définit une classe d’âge, des 15-16 ans aux 24-25 ans. Alors que le terme d’adolescence se réfère à la médecine. Stricto sensu, l’adolescence – de adolescerer grandir - est la transformation pubère du corps qui concerne donc les 12-16 ans. Mais quelles que soient les définitions (sociales, psychologiques, familiales…) cette période de la vie s’étale sur un temps de plus en plus long. L’adolescence n’est plus un passage. C’est devenu un état. Un état dans lequel on entre plus tôt - on ne parle plus de grands enfants pour les 8-12 ans mais de préados - et dont on sort plus tard, jusqu’à plus de 30 ans avec les adulescents…

Ne pas savoir quand commence, ni quand finit l’adolescence, n’est-ce pas justement ce qui pose aujourd’hui problème ?
Pour les psychanalystes l’adolescence se termine quand l’individu se détache de l’autorité parentale, quand il gère sa vie en fonction de son idéal et non plus par rapport à ce que lui demandent ses parents. Autrement dit on devient adulte quand on cesse de faire des actes pour « emmerder » ou plaire à ses parents. Sinon on est encore dans un rapport infantile et névrotique. Et cela peut durer toute la vie... Devenir adulte est un long travail d’élaboration et de renoncement. Or, renoncer c’est aujourd’hui particulièrement difficile pour les jeunes.

Pourquoi est-ce aujourd’hui si difficile de renoncer ?
L’entrée dans l’âge adulte est une période de la vie où les adolescents doivent faire des choix : d’identité, de partenaire sexuel, d’orientation professionnelle… Chaque choix, par essence, est difficile parce qu’il faut d’abord faire face à l’illusion de la toute puissance qui est caractéristique de l’enfance, ce temps de la vie où l’on peut imaginer que l’on peut tout faire et qu’on peut être tout. Or, si on veut tout avoir tout le temps, on sera forcément malheureux. Et ce qui ne facilite pas ce travail de renoncement c’est que la société actuelle propose tout un champ des possibles. Il y a un siècle, votre destin était tracé d’avance en fonction de votre naissance. Aujourd’hui, chacun aimerait s’imaginer tous les destins possibles. Seulement on ne peut en choisir qu’un.

De là viennent les difficultés liées aux choix d’orientation…
Oui. Un des problèmes majeurs de la jeunesse, entre 18 et 22-23 ans, c’est ce moment de doutes, de flottements et de grande vulnérabilité sociale. C’est l’âge des choix. Nombre de jeunes qui n’avaient pas de difficultés scolaires se retrouvent dans l’échec au moment où il s’agit de choisir ce qu’ils veulent faire. Ils sont tentés de retarder l’échéance mais quand elle finit par tomber c’est encore plus violent. Il y a des questions existentielles auxquelles on n’échappe pas. Et plus on se les pose tard plus cela risque de créer un effondrement grave.

La jeunesse renvoie souvent à l’idée d’autonomie. Mais c’est quoi l’autonomie ?
L’adolescence est en effet le moment où l’on revendique une autonomie, où l’on choisit ses propres liens, notamment parmi ses pairs. Ce « travail » consiste non pas à se dégager mais à se désengager des liens parentaux. Dégager ou foutre le camp c’est la rupture alors que se désengager c’est la séparation nécessaire et progressive. Cela implique donc de se séparer de son milieu familial pour aller chercher son bonheur ailleurs et trouver de nouveaux liens d’amour qui ne sont pas ses parents. Pour se désengager, il faut parfois arracher, insulter, dévaloriser ses parents. Car des parents merveilleux on ne peut pas s’en séparer facilement… Et, une fois désengagé, l’adolescent est censé être autonome. Mais il se rend compte alors qu’il dépend du désir de l’autre : de la liberté de choix de l’autre. Avant d’accepter d’être dépendant du désir de l’autre, l’adolescent traverse une phase de nudité relative et de fragilité affective.

Etre autonome dans ses choix de vie mais dépendant, notamment financièrement, vis-à-vis des parents, comment est-ce compatible ?
C’est intéressant de voir qu’être dépendant de ses parents, de son patron, de la volonté de Dieu ou de la nature… c’était, il y a un siècle, la normalité. L’être humain s’est construit sur ce lien de dépendance. La dépendance c’est ce qui caractérise l’humanité. Plus les espèces animales sont dépendants à la naissance, plus elles évoluent. Plus les petits sont dépendants de leur parents, plus il y possibilité de transmissions. Or, depuis deux siècles on a érigé l’indépendance et l’autonomie comme des vertus et des valeurs centrales. Et la dépendance est désormais considérée comme une pathologie. L’individu, terme relativement récent, c’est quelqu’un dont on ne sait pas d’où il vient, ni où il va. On dit qu’il est libre. Mais cela crée un profond sentiment de solitude.

Un conseil pour affronter cette solitude qui n’est d’ailleurs par propre à l’adolescence ?
Dans une société de gavage sensoriel, notamment par les technologies (ordinateurs, jeux vidéos…) qui amènent à une dissolution du fonctionnement autonome, l’acte civique et politique que je conseillerais c’est de se débrancher par moments. Je plaide pour que l’adolescent soit capable de rêver. D’ailleurs on ne dit plus rêver, on dit s’ennuyer. L’ennui ou la rêverie est une manière libidinale de se faire plaisir avec sa tête et d’être autonome. On ne dépend plus de la consommation. Seulement si tous les jeunes se mettaient à rêver il n’y aurait pas d’augmentation du PIB (produit intérieur brut)...


Propos recueillis par Emmanuel Vaillant

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