J’arrive jamais à me décider, je dois m’inquiéter ?

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Publié le 09/09/2015 par TRD_import_MariaPoblete , mis à jour le 02/10/2023
Vous vouliez vous inscrire en lettres et puis non, ce sera en histoire… Vous prevoyiez des vacances avec votre meilleure amie, ce sera finalement avec vos copains du lycee ? Ce pull noir achete hier ne vous plait plus, vous le rapportez au magasin… Une vraie girouette ! C'est grave docteur ?

Je n’arrive jamais à me décider, ou plutôt si, je me décide mais ça ne dure pas : je change d’avis aussitôt, ça concerne les gens avec lesquels je compte sortir en soirée, mes fringues – je passe des heures devant ma penderie – et mes études évidemment ! En février, je n’étais pas fixée sur mes options de première, pire, ma prof principale commençait à en avoir marre de me voir. »

Clara, 15 ans, en seconde au lycée Sophie-Germain à Paris, se définit comme une « indécise pathologique » qui n’arrive pas à se décider et va où le vent la mène. « Je m’énerve sur moi-même, je suis grave, soupire-t-elle, on dirait une gamine indécise pour choisir les parfums de sa glace ! »

« Il ne s’agit pas de cela, rectifie Gilles Dubois, psychiatre à la Fondation santé des étudiants de France, c’est l’inverse d’un caprice, c’est précisément parce que les adolescents cherchent à découvrir qui ils sont, ce qu’ils pensent, comment ils se situent dans ce nouveau corps, qu’ils semblent hésiter. »

Se chercher pour mieux se trouver

Ces « sautes d’humeur, ces montagnes russes de l’émotion » ont longtemps angoissé Solal, 19 ans, en L2 d’histoire de l’art à Rennes. « Au lycée, j’avais toujours une opinion tranchée, mais elle changeait radicalement, j’étais capable de soutenir l’inverse de ce que j’avais défendu la veille , raconte-t-il. Je me sentais nul, j’avais honte, je me disais que les gens me trouveraient bête. Jusqu’au jour où j’ai compris que ce que je considérais comme une manie ou un truc bizarre était en fait un moteur. » Et Solal d’expliquer que « les opinions politiques, sa place dans le monde et la société, les valeurs, ça se discute, c’est mouvant et, peu à peu, on se fait une idée. »

Changer pour se construire

Caroline, 17 ans, en terminale L au lycée La-Martinière à Lyon, résume ainsi ce processus de construction, puis d’affirmation de soi : « L’une de mes phrases préférées, c’est : ‘rien n’est définitif' ».

« Beaucoup de choses sont entre nos mains, poursuit-elle. À un instant T, des choix peuvent nous satisfaire, puis plus du tout ; et à l’instant Z, d’autres idées prennent le relais. Rien n’est figé, on se construit en changeant. L’important, c’est d’être honnête avec soi.  » Changer d’avis ne signifie donc pas ne pas avoir d’ancrage. « J’avais une opinion tranchée sur certains sujets, comme les mères porteuses – j’étais contre –, raconte Soraya, 19 ans, en L1 de droit à Paris 10. On en a débattu en TD, j’ai entendu tous les points de vue et je me suis fait une opinion, avec des arguments cette fois. D’ailleurs, ne dit-on pas qu’il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis ? »

Prendre son temps pour se connaître

Cette maxime, Valérie, 24 ans, étudiante en dernière année de Sciences po à Aix-en-Provence, ne la renierait pas. « J’ai commencé par des langues car je n’avais pas de voie tracée, c’était une étape qui s’est poursuivie par Sciences po et c’est très positif ; je me suis créée un parcours qui m’a permis de me prouver que je pouvais faire des choses différentes et prendre ma vie en main, malgré les avis mitigés de ma famille. Ces changements de voie m’ont appris à me donner les moyens et à réaliser que j’étais indépendante. »

Souvent, les changements d’orientation peuvent être mal interprétés, voire jugés. Parents ou professeurs les considèrent comme un manque de maturité. Ce fut le cas pour Coline, 19 ans, élève à l’école d’éducateurs Parmentier à Paris. Elle raconte, aujourd’hui apaisée : « Oui, je changeais d’avis, c’est vrai, et ça angoissait tout le monde, même moi ! J’ai laissé la seconde après un trimestre pour aller en lycée professionnel section pâtisserie, puis j’ai arrêté pendant six mois pour travailler dans une boutique. Enfin, j’ai réussi à entrer dans un lycée pro en photo, je viens de passer le bac… mais j’ai aussi passé le concours pour être éducatrice, et c’est le métier dont je rêve ! » Coline a épuisé les adultes autour d’elle… qui l’ont malgré tout soutenue.

« Il fallait la suivre ! Elle changeait d’avis tout le temps parce qu’ elle essayait des tas de choses ! » , soupire sa mère.

Laisser dire pour avoir la paix

Comme beaucoup de parents, la mère de Coline a cru à plusieurs reprises que sa fille avait enfin fait un choix jusqu’à ce qu’elle reparte dans une autre direction. Louisa Grenet, professeure principale dans un collège du Vaucluse, assure que les adolescents ne changent pas d’avis sur leur orientation, mais qu’ils se protègent. En inscrivant des vœux au hasard, ils espèrent être tranquilles. « On les embête tellement, nous les adultes, pendant toute leur scolarité sur leurs projets, leurs études supérieures, que c’est le seul moyen qu’ils aient trouvé pour avoir la paix ! Le professeur principal est rassuré, les parents aussi. Quand viendra le moment décisif de l’orientation, ils diront ou feront autre chose. Nous induisons et provoquons nous-mêmes ce qui peut parfois déranger… ». Avis aux parents ! Et pour les jeunes, son conseil ? « Rien n’est gravé dans le marbre, ils ont le droit de découvrir des formations et des métiers différents, de bifurquer. Le monde a changé, mais certains adultes continuent de fonctionner comme si on allait garder un seul métier toute sa vie. » Parfois, il arrive aussi que l’influence des pairs ne soit pas toujours négative. À condition de savoir faire la part des choses. Et ne pas devenir dépendant du désir (ou de l’amour) des autres.

« Quand j’étais jeune, en seconde, je rêvais d’être populaire, qu’on m’aime. Je voyais des gens au lycée qui étaient tout le temps entourés alors que j’étais seul, raconte Tanguy, 21 ans, en L2 biologie à Toulouse. Je me souviens d’avoir essayé plein de groupes. J’étais un caméléon, je changeais non seulement d’amis mais aussi d’avis dans les conversations et même de look ! En l’espace de deux ans, j’avais adopté le style gothique, baba cool, très propre sur moi… jusqu’à devenir comme maintenant ! »

S’assumer pour se sentir bien

Fort de son expérience, Tanguy n’aurait qu’un conseil à donner : « Être soi, c’est tellement plus intéressant ! En se calant sans cesse sur les autres, en étant dépendant de leur regard, on devient prisonnier, c’est pire parce qu’on est malheureux. Dès que vous vous sentez bien, assumez vos choix et tenez bon ! »

Pour vous aider, suivez les traces de Caroline, 17 ans, en terminale L au lycée La-Martinière à Lyon. Elle a une méthode imparable : les listes. « Je vois toujours le pour et le contre pour tout, constate-t-elle. Je prends une décision, puis je change d’avis parce que je n’arrive pas à savoir si une chose est plus importante qu’une autre. Ça touche tous les domaines de ma vie, relations amicales, choix de vêtements, d’orientation, vie amoureuse, même les lieux de rendez-vous… Depuis que je fais des listes écrites, j’y vois plus clair. Je prends une grande feuille, avec deux colonnes, le « plus », le « moins », et je rédige. Puis, je relis au calme. Et un avis l’emporte en général sur les autres. »

S’écouter pour prendre confiance

Pour elle, l’avis qui se dégage est souvent le premier, celui qui venait du fond du cœur, qui se dégageait d’entre tous, bien avant d’avoir commencé le listing. C’est probablement sa petite musique intérieure. On l’appelle l’intuition, la confiance. Psstt ! Psstt ! Écoutez-la, elle vous parle.

Avis d’expert : « À l’adolescence, chacun cherche son soi »

Gilles Dubois, psychiatre à la Fondation Santé des étudiants de France à Sablé-sur-Sarthe (72)

« Les adolescents ont beaucoup de chantiers à mener. À commencer par le changement lié à l’image du corps. Ils grandissent très vite, on dit qu’ils sont comme des personnes aveugles dans une pièce dont les dimensions changeraient ; ils pensaient avoir des repères, puis tout est constamment remanié. Ils tâtonnent.

Pour l’environnement social, c’est le même phénomène. Ils s’éloignent des parents et rompent avec le monde de l’enfance. C’est déstabilisant. Oui, ils changent d’avis et il n’y a rien de grave à cela. Évidemment, pour les parents, c’est toujours un peu compliqué parce qu’ils doivent s’adapter à ces sables mouvants, voire faire face à des provocations et des oppositions. D’ailleurs, je conseillerais de ne pas rentrer dans le schéma de l’opposition ni dans l’intransigeance, mais au contraire continuer à échanger, ne pas rompre la communication. »