“Je ne peux pas m’empêcher de me comparer aux autres”

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Publié le 28/05/2015 par TRD_import_MariaPoblete ,
“Ma note en maths, elle est plutôt dans la moyenne ?” “Pourquoi je suis parmi les plus petits de la classe ?” “Toutes les autres ont de la poitrine, sauf moi”… “Suis-je normal(e) ?” : voilà la grande question qui vous titille, et vous amène à vous comparer aux autres… où vous trouvez forcément quelque chose qui ne va pas ! Voici comment le faire avec recul pour ne pas inutilement vous faire mal.

« On se compare tout le temps entre nous au lycée. D’abord physiquement, pour savoir si on est comme il faut, si on entre dans les codes de normalité d’une fille d’aujourd’hui, des fringues correctes, des cheveux entretenus, une taille de guêpe, un maquillage à la mode ; ensuite psychologiquement, il faut être parfaite dans sa tête, à l’aise, sans gros problèmes ; enfin socialement, on doit être populaire, entourée d’amis, jamais seule… Le pire, c’est déjeuner seule à la cantine, c’est très mal vu ! » Coline, 16 ans, en 1re section photographie au lycée professionnel Saint-Joseph-La-Salle du Mans (72), trouve cela « épuisant » !

 » La dictature de la norme est omniprésente. J’essaie de résister et de me rebeller, mais c’est difficile. Moi, je m’en sors parce que j’ai mon copain et que je sais que le lycée est bientôt terminé, mais c’est dur quand même. »

« Bien de se mesurer aux autres, mais il ne faut pas être dans la compétition »

Que signifie être « normal » ? Qu’y a-t-il derrière cette question existentielle ? « Les adolescents, tout en cherchant à s’éloigner des parents pour s’émanciper et devenir autonomes, cherchent d’autres modèles, qu’ils trouvent dans le groupe de pairs, explique Olivier Revol, pédopsychiatre à Lyon (69), auteur de ‘On se calme !’ (éditions Jean-Claude Lattès). Ils ont besoin d’un sentiment d’appartenance à un groupe, qui les rassure. Cette question de la normalité est importante, elle les conforte dans l’idée qu’ils ont raison d’évoluer comme ils le font. »

La difficulté peut advenir lorsque le décalage est trop important et que l’on ne se sent pas à sa place, voire exclu. Sans compter que l’actualité joue un rôle catalyseur : le monde est instable, l’actualité démontre que la vie ne tient qu’à un fil. Voyez le phénomène YOLO [You Only Live Once, NDLR]. « Maintenant et tout de suite est leur credo, poursuit Olivier Revol. Les jeunes sont pressés d’être heureux parce qu’on ne sait pas de quoi demain sera fait… » Bonjour la pression !

Vous êtes souvent préoccupé par les résultats des autres ? Cela vous rassure… lorsque vous constatez que vous n’êtes pas en difficulté. C’est le cas de Didier, 16 ans, en 1re S au lycée Victor-Hugo à Carpentras (84) : « C’est toujours bien de se mesurer aux autres, mais il ne faut pas être dans la compétition, dit-il. Au niveau des notes, on se compare entre copains, mais le regard de l’autre est amusant, il m’intéresse comme un jeu. Si j’étais nul et si je n’y arrivais pas, ces regards m’importeraient plus, sans doute, mais ce n’est pas le cas. Me comparer aux autres, c’est me dire que ça va, que, côté études, je vais réussir, c’est important… En même temps, je suis en S, c’est-à-dire sur l’autoroute, et j’ai pu y entrer sans problème. »

« Ce qui m’intéresse, ce sont les infos que ces moyennes donnent sur mon travail »

Comme Didier, Violaine, 20 ans, en L3 de droit à Paris 1–Panthéon-Sorbonne, n’a cessé, au cours de sa scolarité, de se mesurer aux autres.  » Depuis que je suis au collège, je regarde les résultats de mes amis. Pas pour faire mieux ou pour arriver en tête – même si j’aime bien gagner –, ce qui m’intéresse, ce sont les informations que ces moyennes donnent sur mon travail, sur mes progrès et mes marges de manœuvre, pas sur ceux des autres. Les classements permettent de se situer par rapport à des demandes, des exigences du système. Je ne suis pas naïve : lorsque tu commences à avancer dans les études supérieures et que tu veux, par exemple, passer des concours, ta position, ton niveau dans la masse ont du sens. Les questions viennent rapidement, elles sont en relation avec les méthodes de travail, l’efficacité personnelle, le bien-être, l’espace de liberté et de jeu que tu peux garder pour avancer. »

« J’ai vu énormément de jeunes en comparaison constante, qui pouvaient aller jusqu’au dénigrement »

Mais, attention, se rassurer, vouloir avancer peut parfois être un prétexte qui masque un besoin constant de réassurance. La question « suis-je normale ? », sous-entendu « suis-je comme les autres ? », en appelle plein d’autres sur soi, sur sa place dans le groupe, la société. « J’amenais mes élèves à réfléchir à tout cela, se souvient Brigitte Calame, professeure d’espagnol à la retraite. J’ai vu énormément de jeunes en comparaison constante, qui pouvaient aller jusqu’au dénigrement de celui qui ne se trouvait pas dans le clan. Heureusement, il y a toujours des électrons libres qui ne souhaitent pas choisir de clan et affirment leur différence. « 

Pour Olivier Revol, ces électrons-là ont raison : « Ils mangent d’abord leur pain noir, ils ont besoin d’être patients parce qu’ils ne sont pas tendres entre eux, mais, en avançant dans la vie, les études, cela ira de mieux en mieux. Ils vivent ensuite comme ils l’entendent, en jeunes responsables, avec des choix de vie. »

« N’ayez pas peur d’être différent »

Léo, 17 ans, qui est en 1re STI2D [sciences et technologies de l’industrie et du développement durable] au Lycée d’altitude, à Briançon (05), se sent « différent » et… normal. Une équation qu’il a mis des années à résoudre. « Lorsque j’étais au collège, c’était plus compliqué, j’avais moins de personnalité, je voyais bien que je n’étais pas tout à fait dans le moule, témoigne Léo. Je suis baba cool et on est peu nombreux. Je me sentais décalé et je me demandais si je n’avais pas un problème. Puis, avec le temps, ça s’est imposé, j’assume de ne pas penser comme la masse… Je conseillerais aux jeunes de ne pas avoir peur d’être différent. Essayez, vous verrez, vous ne risquez rien, il ne va rien se passer de grave, le monde ne va pas s’écrouler ! Au moins, vous serez fiers de vous et des valeurs que vous assumez. »

Même message de la part de Lola, 14 ans, en 3e au collège de Pernes-les-Fontaines (84). Elle s’est crue inférieure aux autres filles pendant des années. Elle se sent désormais à sa place. « Je sais que les autres filles sont plus belles que moi et ont de meilleures notes, elles sont plus intelligentes. Moi, je suis l’avant-dernière de la classe. J’ai des difficultés car je n’ai pas fait ce qu’il fallait. Je me suis toujours comparée aux autres et, même si je parle à beaucoup de filles dans ma classe, je me sens rejetée par une grande majorité d’entre elles. En primaire, elles m’insultaient car je n’étais pas comme elles. En même temps, je n’essaie pas de leur ressembler, ni de m’habiller de la même manière. Je suis comme je suis et mes amies m’acceptent telle quelle. « 

« J’ai pris de la distance, grâce à des copines avec qui j’ai beaucoup parlé »

La patience est la meilleure des alliées. L’amitié et le collectif aussi. C’est la philosophie de Rebecca, en terminale L au lycée Colbert à Paris. Après avoir passé des années à vouloir ressembler aux autres, elle a compris qu’elle se débattait pour rien. « Je luttais contre le regard des gens, parce qu’il avait trop d’importance, je prenais la mouche et j’étais un peu agressive. L’année dernière, j’ai pris de la distance, grâce à des copines avec qui j’ai beaucoup parlé. J’en ai tiré une leçon personnelle : la force, c’est d’être entourée. Ensemble, on assume davantage ce sentiment d’exclusion que l’on peut ressentir. »

Même conseil de Jean-Pierre Hadad, professeur de philosophie, qui répète à ses élèves qu’ils sont tous… normaux ! « Je leur dis que l’originalité est dans l’action et les idées. Ce qui compte, c’est s’approprier sa vie, construire sa personnalité, en étant soi-même et en suivant son désir !  » Alors… êtes-vous normal(e) ? Eh oui !

Kenza, 16 ans, en 2nde au lycée Pierre-Gilles-de-Gennes, à Digne (04) : « À trop s’attacher à ce qu’on raconte, on peut en souffrir »

« Nous, les adolescents, voulons tous être ‘normaux’, pour appartenir à un groupe, être pareils, bien rangés. Moi, j’essaie de ne pas penser à ce que les autres peuvent dire de moi. Je passe par-dessus. À trop s’attacher à ce qu’on raconte sur soi ou à trop vouloir ressembler à la masse, on peut en souffrir. J’ai une copine gothique qui a enduré des moqueries. Nous sommes parfois très crus entre nous. Dès que tu t’écartes du moule, du groupe, tu te fais rejeter. Il faut apprendre à résister. Je crois que l’essentiel est de réussir à trouver quelques personnes qui nous aiment comme on est, notre personne réelle, pas notre apparence ! C’est quoi, être normale ? C’est être habillée comme il faut, mince, grande ? Moi, je m’insurge contre cela. Cela ne produit rien de bon. Nous sommes tous comme il faut ! »