Rencontre avec un (mauvais) père qui cartonne en BD

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Publié le 07/02/2014 par TRD_import_SoniaDéchamps ,
À l'occasion de la sortie du 2e tome du "Guide du mauvais pere" le 22 janvier, l'auteur Guy Delisle (egalement auteur des Chroniques de Jerusalem) se livre sur son parcours, ses methodes de travail et les raisons pour lesquelles vous ne verrez plus vos parents comme avant...

Quelles études avez-vous suivies ?

Je viens du Québec, j’ai donc fait mes études au Canada. La BD n’existait presque pas encore là-bas. Je me suis donc dirigé vers une école de dessin animé à Toronto, un peu l’équivalent des Gobelins ( école de l’image à Paris ndlr ). J’ai trouvé du boulot tout de suite en sortant, à Montréal, puis je suis venu en Europe. Mes études ont été assez courtes. À 20 ans, je travaillais déjà.

Et vos expériences professionnelles ?

J’ai tout de suite obtenu un job d’été dans un studio d’animation. Ils m’ont rapidement embauché alors je n’ai finalement pas suivi ma 3e année d’études. Il n’y pas eu de période de creux, j’ai toujours travaillé : au Canada, puis en Allemagne et en France. À ce moment là, j’ai vu le métier d’auteur de dessin animé disparaître peu à peu, tout était sous-traité. Cela m’a amené à travailler dans des pays comme la Chine, où je représentais le client pour une production sous-traitée au Vietnam, en Chine, ou même en Corée du Nord. J’ai donc commencé à faire de la BD pour le plaisir, à côté. Et j’ai vu le « paysage » de la BD s’étendre, alors j’ai essayé de ne faire que ça et voir si ça pouvait marcher.

Et ça a marché !

Plutôt bien, oui.

Le goût de la BD, vous l’avez eu tôt ?

Oui. Au Québec, je lisais Spirou, Tintin, puis Pilote, Rubric-à-Brac… Ce genre d’humour a eu beaucoup d’influence sur moi. En arrivant en Europe, j’ai découvert les indépendants, ce que faisaient les petites maisons, en noir et blanc. L’Association ( maison d’édition indépendante ndlr ) débutait à l’époque. Ça me parlait, les gens avaient mon âge et faisaient de la BD pour des personnes de notre âge. J’en avais un peu soupé de la science-fiction et des trucs d’aventure, qui me correspondaient quand j’étais jeune, mais à 30 ans plus trop. Donc quand j’ai découvert le travail des indépendants, ça m’a beaucoup intéressé. J’ai écrit des histoires courtes pour eux, pendant 5 ou 6 ans, puis un premier album. Ce n’était pas payé, juste pour le plaisir. Pouvoir être publié, faire des albums, c’était déjà pas mal pour moi. J’en ai réalisé un, publié par l’Association, puis deux, trois, quatre… et ça a pris de l’ampleur, plus que je ne l’aurais imaginé.

Dans vos albums, vous vous mettez en scène, ça a été une évidence pour vous ?

Les gens autour de moi à l’Association ont commencé à le faire, Lewis Trondheim, David B., Jean-Christophe Menu… Je me suis dit que c’était un exercice intéressant. En revenant de Chine, j’ai écrit une histoire de 16 pages qui a été publiée dans le Lapin ( le magazine de l’Association ndlr ). Puis j’en ai fait une autre dans le numéro suivant. C’est un exercice de style qui m’a plu, j’ai donc voulu l’explorer. Cette forme narrative est très pratique en fait. Ça permet d’avoir plusieurs outils narratifs à sa disposition. Je trouvais ça parfait pour raconter des voyages.

Après « Schenzhen », « Pyong Yang », « Chroniques birmanes », « Chroniques de Jérusalem »… « Le guide du mauvais père», c’est un peu une récré non ?

Oui. Après les 330 pages des « Chroniques de Jérusalem », je me suis dit que j’allais écrire des histoires courtes, comme c’était le cas à mes débuts. J’ai fait ça pendant un an. Certaines histoires sont restées dans mes tiroirs, j’en ai mis d’autres sur mon blog. Une partie d’entre elles correspondaient à cette idée de guide du mauvais père. Je traînais cette envie de raconter le quotidien avec les enfants depuis longtemps, de faire quelque chose de léger. Je mettais quelques extraits sur mon blog et comme il y a eu beaucoup de retours, j’ai continué et ça s’est fait un peu tout seul.

Au quotidien, comment travaillez-vous ces histoires ? Vous prenez des notes quand une situation vous interpelle ?

Ce sont d’abord des notes oui. Il arrive une situation et moi, en tant que père, il y a des interdits que je ne vais pas franchir, des choses que je ne peux pas dire aux enfants. Je dois être l’exemple, puisque je suis le père, donc j’essaie de ne pas faire de conneries. Et là, je me demande quand même ce qui arriverait si je faisais ce à quoi je pense. Ce qui est drôle ensuite, c’est d’être devant sa page, de partir de la situation initiale et de voir vraiment ce qui pourrait arriver. C’est aller au-delà de la partie proprement autobiographique. Il y a des histoires qui le sont totalement, et il y en a d’autres où c’est tricoté autour de la réalité. Mais il peut arriver que ce que l’on imagine drôle ne fonctionne pas une fois dessiné.

Même avec une histoire courte, il faut une chute. Qu’est-ce qui est le plus dur dans cet exercice ? Comment fonctionnez-vous ?

Je pars d’une situation : par exemple, mon fils vient de s’acheter un hélicoptère téléguidé. C’est un objet assez fragile, qui des fois se casse un peu la gueule. Je l’essaie et le trouve très difficile à manier. Mon fils, lui, y arrive plutôt bien. Donc, j’ai un peu les boules. Je le laisse jouer, parce que c’est son jeu. Le soir, alors que je regarde l’hélicoptère se recharger, je me dit que j’aimerais bien m’entraîner, le soir, quand il n’est pas là, pour être aussi habile que lui. À partir de cette situation, j’ai imaginé que je cassais l’hélicoptère. Quand j’ai ce point de départ, je n’ai pas forcément la suite. Puis en dessinant la scène, des possibilités narratives surviennent et il y a comme une continuité de narration qui s’opère. À un moment, l’histoire se fait un peu toute seule et… boum, ça tombe. C’est drôle ou ça ne l’est pas. Il m’arrive de partir d’une situation, de dessiner beaucoup de pages, et que ça tombe à plat. Tant pis.

À force d’en faire, on n’arrive pas à la sentir ? À anticiper cette bonne ou mauvaise chute ?

Non. C’est flou quand on imagine, ça devient clair lorsqu’on met tout sur le papier. Ce qu’on imaginait drôle à partir d’une ambiance ou d’un petit mot, peut sonner bizarre. *Il arrive souvent que ce que l’on imagine drôle ne fonctionne pas une fois dessiné.

*

Vos enfants, Alice et Louis, ont-ils lu « Le guide du mauvais père » ?

Ma fille a 7 ans, elle est trop jeune je trouve. Mon fils en a 10 et il a lu les deux tomes. Au début, je ne voulais pas. Mais quand le premier tome est sorti, ses copains de classe lui ont raconté les histoires. Ça la foutait mal. On l’a lu ensemble et j’ai essayé de lui expliquer du mieux que je pouvais ma façon d’imaginer ces histoires. Ça lui a beaucoup plu, surtout le passage où je lui dis d’imaginer que le punching-ball… c’est sa sœur.

Ce sont vos histoires, mais cet album a un caractère universel…

C’est l’éducation, savoir élever son enfant pour qu’ensuite il puisse s’épanouir en société. Les parents lisent très bien entre les lignes de ce que je raconte : ils savent très bien qu’il ne faut surtout pas appeler son fils Bouboule, comme je le fais dans l’album, alors qu’il essaie de faire un régime. On sait tous très bien les dégâts peut faire. Donc c’est sympa de faire une pause de temps en temps…

Le mauvais père, c’est aussi celui qui se sert de ses enfants comme prétexte pour quitter une soirée où il s’ennuie…

Tous les parents ont fait ça. J’en suis persuadé. C’est l’excuse parfaite ! Il y a des soirées où on se dit qu’on aimerait bien rentrer sauf que parfois on est obligé de rester un peu. Mais avec les enfants, on peut rentrer ! On dit que les enfants sont fatigués et ciao. Ça fonctionne très bien. Les enfants n’arrivent pas à connaître leur fatigue. Ils peuvent tenir jusqu’à minuit, mais le lendemain, la journée est horrible parce qu’ils sont ronchons, capricieux.

On parlait de récré avec ces petites histoires, vous travaillez sur autre chose ?

Oui. Un travail beaucoup plus long : le récit d’une personne que j’ai rencontrée dans l’humanitaire, qui s’est faite kidnapper. Je raconte son expérience. C’est un challenge de mise en scène puisque c’est l’histoire d’un gars, dans une pièce, pendant trois mois. Ce qui se passe dans la tête de quelqu’un de kidnappé est assez fascinant.

Retrouvez toute l’actu de Guy Delisle sur son blog.