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Bac L 2015 : corrigé d'un sujet de commentaire de texte en philosophie

publié le 08 avril 2014
8 min

SujetExpliquez le texte de Kant, extrait de la Critique de la faculté de juger.

"Dans tous les jugements par lesquels nous déclarons une chose belle, nous ne permettons à personne d'être d'un autre avis, quoique nous ne fondions point notre jugement sur des concepts, mais seulement sur notre sentiment ; mais aussi ce sentiment n'est point pour nous un sentiment individuel : c'est un sentiment commun. Or ce sens commun ne peut pas être fondé sur l'expérience, car il entend prononcer des jugements qui renferment une nécessité, une obligation ; il ne dit pas que chacun sera d'accord, mais devra être d'accord avec nous. Ainsi le sens commun au jugement duquel mon jugement de goût sert d'exemple, et qui m'autorise à attribuer à celui-ci une valeur exemplaire, est une règle purement idéale, sous la supposition de laquelle un jugement qui s'accorderait avec elle, ainsi que la satisfaction attachée par ce jugement à un objet, pourrait justement servir de règle pour chacun : car le principe dont il est ici question, n'étant il est vrai que subjectif, mais étant considéré comme subjectivement universel, comme une idée nécessaire, comme un principe objectif, l'assentiment universel aux jugements portés d'après ce principe, pourvu seulement qu'on fût bien assuré de les y avoir exactement subsumés."

Kant, Critique de la faculté de juger.

La connaissance de la doctrine de l'auteur n'est pas requise. Il faut et il suffit que l'explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.

Introduction


Un proverbe populaire affirme que "des goûts et des couleurs, ça ne se discute pas". Chacun posséderait ses propres préférences esthétiques et il n’existerait pas d’avis unanime en la matière. Certains aiment la couleur orange, d’autres la détestent. Dans ces conditions, personne ne pourrait convaincre autrui que son goût est le bon, au point de devoir l’imposer à celui qui aurait un goût contraire. Pourtant, quand nous trouvons qu’une chose est belle, nous avons tendance à vouloir partager notre jugement. Si autrui trouve que cette même chose est laide ou indifférente, nous ne comprenons ni n’admettons sa position, considérant notre goût non comme strictement personnel, même généralisable. Dès lors, le beau est-il une valeur purement individuelle et subjective, ou l’objet d’un jugement universel ? Dans ce texte extrait de la Critique de la faculté de juger, Kant soutient une position qui pourrait sembler inédite : selon lui, le beau est un jugement de goût à la fois subjectif et universel. Le raisonnement de Kant se développe en quatre points. D’abord, il énonce son idée générale : le beau n’est pas l’expression d’un sentiment uniquement personnel, mais aussi celui d’un "sentiment commun". Kant précise ensuite le fondement de ce sens commun du beau : il repose, non sur une expérience – qui est par définition personnelle – mais sur une obligation – qui est générale : tout le monde devrait trouver beau ce que je trouve beau. Dès lors la valeur de mon sens du beau prend valeur d’exemple, dans la mesure où celui-ci est représentatif du jugement des autres. Enfin, Kant effectue une récapitulation de son idée à travers cette formule : le beau est "universellement subjectif".

Plan du développement (votre développement suit les étapes du raisonnement de Kant) et indications d’explications (éléments à expliquer en priorité)

1. Du début à "[…] sentiment commun" :

– Expliquer et définir le concept de "jugement" : façon dont notre esprit évalue les choses (donne une valeur aux choses).

– Préciser que le jugement porte ici sur le beau seulement. Le beau est un jugement de goût esthétique (on se reportera à son cours sur l’art).

– De là, Kant observe une tendance humaine au fond irrésistible : ne pas accepter que le jugement d’autrui soit différent du nôtre.

– Relever une difficulté : Kant affirme que notre jugement repose non sur un concept (idée synthétique de la raison, possédant une dimension générale), mais sur un sentiment, c’est-à-dire une émotion personnelle. Comment, si le beau est un jugement général, peut-il reposer sur un sentiment particulier ? C’est que ce sentiment du beau est à la fois individuel (il se manifeste en moi) et "commun" : il existe identiquement chez les autres.

2. De "Or ce sens commun" à "[…] d’accord avec nous" :

– Se poser la question : quel est le fondement de ce "sens commun" du beau ?

– Préciser que "sens commun" désigne la manière semblable dont nous éprouvons le beau. Comment ?

– Expliquer pourquoi Kant rejette une première piste : l’"expérience". Définir l’expérience (voir le cours) comme la façon unique, strictement personnelle, de vivre un événement et d’en tirer des leçons pour soi-même. Le sens commun du beau ne peut relever d’une expérience, qui demeure toujours uniquement mon expérience.

– Expliquer pourquoi Kant admet une seconde piste : l’"obligation", assimilable à un devoir moral. Quand je trouve qu’une chose est belle, je me dis que tout le monde devrait trouver belle cette même chose.

3. De "Ainsi le sens commun au jugement" jusqu'à "[…] pour chacun" :

– Poser une question : à quel titre mon jugement existe-t-il ? Le statut de mon jugement sur le beau est un statut d’"exemple".

– Expliquer "exemple" et "exemplaire" : ces mots ne désignent pas un modèle, ou un diktat du beau qui s’imposerait autoritairement à tous, mais un exemple au sens d’un exemplaire non unique, parmi d’autres, identiques ; "exemplaire" est à prendre au sens de ce qui est représentatif : mon jugement est représentatif de tout jugement.

– Expliquer "norme simplement idéale" : à renvoyer à l’"obligation" ; c’est ce qui en théorie ("idéal" = une idée, au sens de "supposition", ce qui n’est pas concret) représente le normal, le commun.

– Expliquer aussi que le jugement sur le beau est attaché à une "satisfaction" : le sentiment du beau est aussi un sentiment de plaisir, autre "règle" générale, un critère.

4. De "[…] car le principe" jusqu’à la fin :

– Préciser que Kant propose une récapitulation de son idée tout en expliquant cette difficulté : comment un jugement pourrait être à la fois subjectif – individuel – et universel – valable pour tout homme.

– Préciser que cette récapitulation s’articule autour de la formule "universellement subjectif" : le beau est un jugement à la fois subjectif et universel. Le concept d’intersubjectivité qui aura été vu en cours permet d’expliquer que le sujet pensant a la capacité de considérer le jugement d’autrui dans son propre jugement, jugement qui, par extension, peut être vu comme commun.

– Préciser que "subjectif" ne désigne donc pas ici un jugement faux ou biaisé, mais qu’il renvoie à la notion de sujet, et même de "sujet jugeant". Le beau n’est pas dans les choses, mais constitue une valeur de l’esprit humain, du "sujet jugeant". Elle ne peut se manifester que dans la subjectivité, tout en se manifestant identiquement chez chaque sujet.

– Expliquer les termes qui expriment cette universalité supposée : "unanimité", "assentiment", "comme un principe objectif", en insistant ici sur le "comme", qui désigne un principe admis, et "subsumés", c’est-à-dire opération du jugement qui classe telle chose, que nous trouvons belle, dans la catégorie du beau.

Conclusion


La singularité de la thèse de Kant tient en deux points forts. D’abord, l’idée même, appliquée au beau, d’une subjectivité universelle. La formule constituerait de prime abord un oxymore. Mais l’auteur explique comment il dépasse cette apparente contradiction : le beau, en tant que valeur de l’esprit, naît forcément chez le sujet, et en théorie pareillement chez tout sujet. De plus, il semblerait que si, pour Kant, le beau soit une valeur qui fasse l’unanimité par "obligation", cette dernière s’opère cependant dans une forme d’égalité : Kant ne dit pas que telle personne ou telle classe sociale fait autorité en matière de goût au point d’imposer aux autres sa loi du beau, son diktat esthétique, mais que le beau est un sentiment qui existe identiquement, au même moment, en quelque sorte, chez tous. Toutefois, le principe de subjectivité universelle que Kant dégage serait-il extensible à d’autre notions que le beau ? Le bien, par exemple. Le bien, et ce d’autant plus que Kant insiste sur le caractère d’obligation inhérent au beau, serait-il aussi l’objet d’un jugement à la fois du subjectif et universel ?
 

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