Reportage

Reportage : 200 collégiens à Auschwitz-Birkenau pour ne pas oublier la Shoah

mis à jour le 15 juin 2011
8 min

Le 27 janvier 1945, les Russes entraient dans le camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz-Birkenau et libéraient les prisonniers qui avaient survécu. Le 20 janvier 2011, une délégation de 200 collégiens des Alpes-Maritimes a fait sur place le voyage de la mémoire. Pour toucher du doigt l’inimaginable et témoigner à leur retour.

Ils s’appellent Charlotte, Camille, Allan, Olivia, Sophie, Thomas ou Mohammed. Jeudi 20 janvier 2011, ces élèves de 3e du collège Saint-Hilaire de Grasse (06) attendent leur avion à l’aéroport de Nice, accompagnés par deux professeurs. Destination : la Pologne. Avec quelque 200 autres de leurs camarades issus de 9 établissements des Alpes-Maritimes, ils participent à un « voyage de la mémoire », au camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz-Birkenau, organisé par le Conseil général du département. Ils ont 14 ans. Si on les avait menés au même endroit il y a 70 ans, ils n’en seraient probablement jamais revenus. Les nazis exterminaient la plupart des enfants et adolescents de moins de 15 ans dès leur arrivée au camp.

Des arrière-grands-parents déportés

Mais à 6 heures du matin, ce jeudi-là, les collégiens (qui se sont levés 3 heures plus tôt) n’en ont pas vraiment conscience. Enjoués, ils expliquent ce qui les a poussés à participer au voyage. « J’ai lu le journal d’Anne Frank. Cela m’a donné envie de venir », indique Camille. « Mon arrière-grand-père a été déporté parce qu’il avait planqué un fusil », raconte Allan. « Le mien s’est échappé du camp de Buchenwald », lance Thomas. « Une amie est allée à Auschwitz et elle est rentrée bouleversée. Je voulais voir par moi-même. Je suis excitée et déterminée », confie Claire. Ces élèves (3 ou 4 de chaque classe de 3e du collège) ont été sélectionnés sur lettre de motivation. Bien entendu, leurs enseignants les ont préparés en amont. « Nous venons de finir le programme sur la Seconde guerre mondiale en classe. Nous avons visionné 2 ou 3 vidéos sur la libération du camp d’Auschwitz. Lorsque nous avons annoncé le voyage, tous voulaient y aller sauf un ou deux qui pensaient ne pas supporter. Ils s’imaginaient des cadavres, déclare Nathalie Pernotte, professeur d’histoire-géographie. Au retour, ils auront à faire des exposés photos ou écrits à présenter en classe ».

« Ça ne te fait pas bizarre d’être là ? »

Après un voyage en avion jusqu’à Cracovie, les collégiens grimpent dans un bus, direction le site. Ambiance décontractée. Lorsque la guide indique son prénom, Violetta, ils pouffent de rire. Sur la route, elle délivre des infos sur la géographie et l’histoire de la Pologne, leur apprend quelques mots de polonais, improvise des quiz. Puis présente le camp d’Auschwitz, où 1,1 millions de personnes (au minimum) sont mortes. « J’attends d’avoir plus de détails par rapport au cours. On va voir où les déportés ont vécu », déclare Sophie. « Moi, je m’attends à voir des horreurs. Mes parents m’ont dit que cela m’apporterait beaucoup de venir ici », confie Adeline. Une heure de route plus tard, lorsque les portes du bus s’ouvrent devant Birkenau, Charlotte marque un temps d’arrêt : « Eh, Sophie, ça ne te fait pas bizarre d’être là ? ».

Pause photo

Les collégiens passent l’entrée du camp, construit en 1941 lorsqu’Auschwitz 1 (ouvert un an plus tôt) n’a plus suffi aux Allemands. Baraquements en bois, cheminées, rails… à perte de vue. Des filles se prennent en photo, comme sur un lieu touristique. « On ne réalise pas trop pour l’instant », acquiescent Claire, Olivia et Camille. Un guide les rejoint. Il les salue d’un « aujourd’hui, il y a un peu d’herbe. Autrefois, les prisonniers l’aurait déjà mangée ». « Il met la pression dès le début », souffle Mohammed, pour qui compte « le respect de toutes les religions ».

 

Dégoûtés

Dès le début de la visite, le guide explique la sélection des déportés : la plupart sont envoyés dans les chambres à gaz dès leur arrivée. Les autres deviennent prisonniers. Les visages se font plus graves. Quand il évoque les expériences du docteur Mengele sur les enfants, notamment les jumeaux, ils échangent des regards. Dans les latrines, quand il raconte les quelques secondes – matin et soir – dont disposaient les prisonniers pour leurs besoins, sans censurer les anecdotes les plus terribles, le silence devient plus pesant. À la sortie du bâtiment, Charlotte marche seule. « Cela m’a choquée ce que le guide a raconté sur l’hygiène… Et la façon calme dont il le raconte ! ». Un peu plus loin, Sophie essaie « de s’imaginer comment cela pouvait être de ne jamais se laver ». « Le nettoyage des latrines à la main, cela m’a dégoûtée », avoue-t-elle.

« SS, cela signifie « sans âme » »

La visite du camp continue avec les dortoirs. À l’évocation des prisonniers, entassés et malades, qui se soulageaient dans le lit, des bruits d’écœurement se font entendre. « On leur donnait de la nourriture que même un chien n’aurait pas mangé. En moyenne, les hommes pesaient 30 kg, les femmes 23 kg. Ils n’étaient pas atteints par une mais par 10 maladies chacun », explique le guide. « Je ne pensais pas que les Allemands avaient été aussi cruels. SS, cela signifie « sans âme ». En cours, les profs essaient de plus imager », réagit Thomas en aparté. Sur la route des chambres à gaz, en ruines, les collégiens se plaignent du froid. « Aujourd’hui, il fait 0°. Imagine, à l’époque, quand il faisait -30° et qu’ils étaient en pyjama », réalise une fille du groupe. Les plus grandes chambres à gaz pouvaient exterminer 1.400 personnes par jour. Un « putain ! » horrifié sort du groupe. « On sentait l’odeur de la chair humaine brûlée à 40 km à la ronde », révèle le guide. On la sent encore aujourd’hui.

Comme un poids sur les épaules

À la mi-journée, les 200 collégiens se retrouvent pour une cérémonie de recueillement autour du mémorial. Chants et lectures sont au programme. Puis tous remontent dans leur bus pour aller déjeuner. Moment de répit. Allan, assis à l’avant, médite. « Le guide a donné tellement d’anecdotes horribles, j’ai du mal à tout stocker. (Silence). Mon arrière-grand-père a eu beaucoup de chance… (Silence). En entrant dans le camp, j’ai senti comme un poids sur mes épaules. Je ne sais pas ce que c’est, j’ai du mal à décrire… (Silence). C’est vraiment dommage tout ce qui est arrivé à ces gens. Savoir que des millions de personnes sont mortes ici, cela fait bizarre… J’aurais aimé savoir ce que les Allemands avaient dans la tête ». Et la professeur d’histoire d’expliquer : « Sur la dizaine d’heures de cours consacrées à la Seconde guerre mondiale, on en passe 2 à 3 sur les camps. On doit aller vite. On survole les détails. Mais il faut également traiter les ghettos et les rafles ».

« Je pensais voir des visages »

Après le repas (soupe, escalope panée et purée de pommes de terre), direction Auschwitz 1. C’est là que se trouve le musée du camp. Jusqu’ici, Julien a réussi à gérer son émotion. « Je pensais que ce serait bien pire. On a vu des bâtiments, je pensais voir des visages ». Le groupe de Saint-Hilaire rejoint Charles Gottlieb, résistant juif rescapé du camp, qui, à 85 ans, accompagne tous les voyages de mémoire organisés par le Conseil général des Alpes-Maritimes. Avec ses souvenirs très personnels, il pique la vedette au guide. « C’est super intéressant de l’avoir avec nous. Il est attendrissant. Cela rend tout cela réel alors que j’avais l’impression de rêver », avoue Charlotte. Une photo de groupe est prise sous la grille d’entrée et sa célèbre inscription « Arbeit macht frei » (« Le travail rend libre »).

 

 

Quand l’horreur devient réelle

Pour les jeunes, l’horreur va prendre tout son sens dans les bâtiments en brique rouge d’Auschwitz 1. Derrière les vitrines, ils découvrent les amas de cheveux, de valises marquées du nom des déportés, de lunettes enchevêtrées, des brosses à dents, des poupées d’enfants… Tout devient concret. Des filles portent leur main à leur bouche. Les yeux s’embuent de larmes. Bouleversée, la professeur d’histoire-géographie s’éclipse. Les élèves commencent à poser des questions : « mais les Alliés, pourquoi ils n’ont rien fait ? ». Plus tard, les photos de déportés, cheveux courts, costume rayé, œil vide, d’enfants sortis du convoi ou décharnés et des fours crématoires marqueront probablement leur esprit, même si, à la sortie du camp, la vie reprendra le dessus.

Texte et photos :

Virginie Bertereau
23 janvier 2011

 

 

Les voyages de mémoire des Alpes-Maritimes

Le Conseil général des Alpes-Maritimes a organisé son premier voyage de mémoire à Auschwitz-Birkenau le 18 décembre 2003, dans le cadre de la commémoration du 60e anniversaire de la Shoah. Depuis, 9900 personnes dont 9000 collégiens de 3e et 900 accompagnateurs ont participé à un déplacement similaire. Objectif : sensibiliser les jeunes aux horreurs commises par les nazis pour qu’ils deviennent des « ambassadeurs de la paix » en transmettant ce qu’ils ont vu à leurs proches et à leurs pairs. De quoi endiguer les racismes émergents… En 2010-2011, 5 voyages ont été prévus, impliquant la moitié des collèges du département (45 sur 90). Chacun coûte 65.000 €. Au total, cela revient au prix d’un rond-point pour le département… pour la bonne cause.

 

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