Interview

Annabelle Kremer-Lecointre : "On va avoir besoin de beaucoup de scientifiques"

"La démarche scientifique est un outil intellectuel pour structurer sa pensée", affirme Annabelle Kremer-Lecointre.
"La démarche scientifique est un outil intellectuel pour structurer sa pensée", affirme Annabelle Kremer-Lecointre. © Jean Daniel, Editions Delachaux et Niestlé
Par Clément Rocher, publié le 11 février 2023
7 min

À l'occasion de la Journée internationale des femmes et des filles de science, ce samedi 11 février, l'Etudiant a rencontré Annabelle Kremer-Lecointre, enseignante agrégée en SVT et auteure de plusieurs ouvrages de vulgarisation scientifique. Elle encourage les jeunes et les scientifiques à se rencontrer pour créer des vocations.

Ingénieure de formation, Annabelle Kremer-Lecointre est aujourd'hui enseignante agrégée en SVT et auteure de plusieurs ouvrages de sciences à destination du grand public et de la jeunesse. Elle vient de publier La science à l'épreuve des mauvaises langues, son quatrième livre, aux éditions Delachaux & Niestlé.

"La science à l'épreuve des mauvaises langues" vient décrypter les idées reçues pour bien comprendre la démarche scientifique. Pouvez-vous nous donner quelques exemples ?

Parmi les clichés, il y a celui qui dit que la théorie scientifique n’est qu’une idée. Ce n’est pas vrai : une théorie scientifique, c'est vraiment ce qu’il y a de plus solide et de plus étayé en sciences.

Autre idée reçue : le fait que les scientifiques se trompent et qu’on ne peut donc pas leur faire confiance. Or, se tromper en sciences fait justement partie du processus normal de la construction du savoir. La science progresse avec ses erreurs et ses tâtonnements, elle est ouverte à la critique et accepte de se laisser déstabiliser.

Certaines idées reçues sont plus répandues chez les jeunes...

Les collégiens ont du mal à faire la différence entre une croyance, un savoir et une opinion. C’est une grosse difficulté.

Il faut les aider à avoir un raisonnement critique et à faire le tri face à tout type d’information, notamment avec les fausses informations qui circulent vite et facilement. La démarche scientifique est un outil intellectuel pour structurer sa pensée.

Justement, une étude IFOP pour la fondation Jean Jaurès montre que beaucoup de jeunes adhèrent à des contre-vérités scientifiques. Comment expliquer cette défiance de la jeunesse envers la science ?

Ils sont dans une période où ils construisent leur identité et parfois, c'est fun d’adhérer à une communauté idéologique. En classe, ils peuvent avoir tendance à vouloir remettre en question certains savoirs, comme l’évolution des espèces, ou le fait que l’humain est un animal. Ils confondent les faits avec des valeurs.

J’étais quand même étonnée de voir dans le sondage que des jeunes (16%, NDLR) pensent que la Terre est plate.

Les preuves scientifiques sur la rotondité de la Terre ne manquent pourtant pas au cours de l’Histoire, d'Ératosthène (astronome grec à l'origine de la découverte de la circonférence de la Terre, NDLR) jusqu’à aujourd’hui avec les observations satellites.

Cette défiance de la jeunesse envers la science est-elle accentuée par les réseaux sociaux ?

En dehors de l’école, le premier moyen d’information, c'est souvent Internet et les réseaux sociaux. Mais paradoxalement, ce n’est pas tellement là qu’on va trouver le plus de savoirs : les jeunes y sont beaucoup plus confrontés à des opinions, des croyances. Ils vont chercher une vision simpliste du monde parce que sa complexité peut angoisser.

Je ne pense pas que ce soit un rejet de la science, mais simplement, il y a une facilité à se laisser glisser dans les théories du complot, les idéologies, les croyances ésotériques. C'est à nous, enseignants, d’aiguiser leur jugement et de leur apprendre à avoir un regard critique sur les choses.

La jeunesse s'inquiète du réchauffement climatique. Parler de ce sujet en classe, est-ce un moyen de réconcilier les jeunes avec la science ?

Les jeunes sont sensibles au réchauffement climatique. Cela les préoccupe, tout comme l'immobilisme des politiques. Il faut leur expliquer que la science produit des savoirs et des connaissances, qu'elle peut guider nos choix, mais que c’est la collectivité qui en dispose.

Personnellement, je suis assez contente de cette mobilisation des jeunes. On voit une partie de la jeunesse se prendre en main, essayer d’engranger des connaissances pour argumenter.

Comment les encourager à poursuivre des études scientifiques ?

Les jeunes sont préoccupés par le changement climatique, mais plus globalement par les grands défis sur l’énergie, la santé. Et on aura besoin de beaucoup de scientifiques pour les résoudre. Il y a vraiment de la place dans ce domaine. Mais c’est vrai aussi que c’est beaucoup de travail et d’abnégation et qu’il faudra être patient.

Pour faire aimer la science aux jeunes, il faudrait aussi l'incarner.

Ce qui marche bien, ce sont les rencontres avec les scientifiques, les chercheurs, les techniciens, qui parlent avec passion de leur métier et de la science. Il faut qu’il y ait un contact plus fréquent entre ceux qui produisent les connaissances et ceux qui les entendent à l’école. Les scientifiques se prêtent de plus en plus à l’exercice, ils ont compris qu’il faut aller à la rencontre de ce public.

Comment dire aux jeunes filles qu’elles ont toutes leur place dans des parcours scientifiques ?

Il y a eu de tout temps des femmes scientifiques. Mais il y a tout un tas de stéréotypes, hérités de bien avant l’Antiquité, sur le mythe des sexes faibles, sur l’infériorité intellectuelle des femmes en mathématiques, en sciences. On finit par intérioriser ces stéréotypes sans avoir conscience qu’ils sont là. Il faut montrer qu’ils n’ont pas lieu d’être. Les jeunes filles réussissent même un peu mieux dans toutes les filières, tous les chiffres le montrent. Il faut se donner confiance.

Un jour, une fille est venue me voir et m'a demandé si le métier de chercheuse existait. Et je me suis dit que si elle se pose la question, c’est qu’elles n’ont effectivement pas suffisamment de modèles féminins. Il n’y en a pas assez dans les manuels scolaires. À part Marie Curie, c’est assez terrible de ne se pas se saisir des portraits féminins qui ont effectué un travail scientifique remarquable.

La science à l'épreuve des mauvaises langues, Annabelle Kremer-Lecointre, éditions Delachaux & Niestlé, 208p., 22,90 €.

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