Reportage

Dans la jungle de Calais, une école de tous les possibles

La cour d’école a été construite par des volontaires, dans la Jungle de Calais.
La cour d’école a été construite par des volontaires, dans la Jungle de Calais. © Jess HURD/REPORT DIGITAL-REA
Par Bahija Kourisna, professeure de français et Pascal Delannoy, journaliste., publié le 26 février 2016
5 min

Calais. Depuis des semaines, des images, toujours les mêmes, et surtout des statistiques. Hommes, femmes, enfants, nationalités. Or, parcourir la Jungle commence par une surprise. On y entre comme dans n'importe quel village de France. Et d'ailleurs, ça en est un. Une communauté de toutes les nations. Et beaucoup plus qu'ailleurs, la chance de pouvoir si facilement écouter, parler, comprendre. Et puis ce lieu unique. L'école. Un monde à part. Celui de tous les espoirs.

Elle est là, au détour de cabanes et baraques qui s'enfoncent dans la boue de ce mois de février. L'école du Chemin-des-Dunes. Trois tentes et une cour pour que les enfants s'amusent quand le soleil s'invite. Un grand panneau “School” et des heures indiquées. En réalité, le lieu est ouvert 7 jours sur 7, à qui veut bien pousser la porte.

Si elle existe, c'est d'abord grâce à quelque 30 bénévoles mobilisés surtout depuis septembre 2015, même si l'histoire entre Calais et ces réfugiés a commencé il y a bien longtemps.

Yassin et Yahya, du Darfour à Calais

Un grand cahier quadrillé ouvert, un stylo, un dictionnaire Oxford… Yassin, la petite vingtaine, vient de s'assoir à une table d'écolier. Et il attend. À ses côtés, Yahya. Son frère ? son complice ? Son ami à coup sûr. Entre ces deux-là, de l'entraide, celle de deux destins entre Darfour et Calais.

Et puis cette île qu'ils ont tant de mal à situer sur la carte qu'on leur montre... Elle les attendait tout près sur les étagères qui recueillent tous les livres donnés depuis des semaines.

Une grande carte plastifiée du Royaume-Uni. United Kingdom, Scotland, Nothern Ireland, Wales, et celle qui fait tant rêver... England. Avec London, et son Big Ben, tel un phare. Et tout en bas une ligne blanche. Les blanches falaises de Douvres.

Cours de français donné par une volontaire dans une école de fortune.

Comme une école idéale, à la carte

On leur demande s'ils les ont déjà vues... Apres tout, face au port de Calais, quand le temps le veut bien, elles sont là. Yassin dans un très bon anglais me dit que non, depuis cinq mois il n'est jamais sorti de la Jungle. Même pas un "petit" tour en ville. Et pourtant l'objectif n'a pas changé. Traverser la Manche. Yahya, à ses côtés, ne dit rien... il approuve simplement de la tête.

Sous cette tente militaire flanquée de couvertures qui ont dû envelopper dans un profond sommeil des générations de conscrits, il ne fait pas très chaud en ce samedi de février pluvieux. Parka et bonnet de rigueur .

Au premier coup d'œil, impossible de distinguer profs et élèves, autrement dit bénévoles et migrants. Il y a bien un grand tableau et ses phrases : “Je sais… Je (ne) sais pas.” Ici, notre français est bien présent... mais en écho, de l'anglais surtout, celui des candidats au départ et des “british volunteers” si nombreux.

En fait tout sauf une classe unique. Table par table on apprend, on échange. 6, 7, ou 8 bénévoles… 20, 30 ou 40 élèves…

Yassin et Yahya y croient

Yassin et Yahya assis sur ces petites chaises attendaient. Il a suffi de les saluer et de leur proposer : “Voulez-vous qu'on parle ?” Et tout a commencé. Échange mélangé : anglais… français… Pour l’arabe et l’allemand, Bahija avec qui je partage cet après-midi, trouve les mots qui me font totalement défaut. Mais très vite l'anglais s'impose.

Dans leur téléphone portable du siècle dernier qui aurait tant à raconter, j'imagine des numéros magiques. Des codes d'entrée qui serviront une fois que…

Mais la suite, personne ne la connaît.

Loin de Calais, loin de l'Angleterre, loin de l'Europe, tout est là pour désespérer de cette année 2016, et pourtant ici, à l'école du Chemin-des-Dunes, tout est possible.

Marco : "I built this school"

Marco ouvre la porte de la classe des enfants. La classe est une pièce d'environ 20 m2, un poêle se trouve dans un coin, une ampoule éclaire au plafond, l'électricité est fournie par les six panneaux solaires derrière la cloison. Dans cet espace se tiennent un atelier de marionnettes, un coin lecture, des jeux d'éveil… Une dizaine d'enfants discutent avec les animatrices bénévoles. Ils écoutent, jouent, s'amusent et se chamaillent. Une classe ordinaire, même si les enfants gardent leur manteau.

Quand on demande à Marco s'il est enseignant, il sourit. Non, il n'enseigne pas. “I built this school.” Il a construit cette école. Il est d'origine kurde, naturalisé anglais depuis quelques années. Il est venu dans la Jungle pour apporter son aide.

Avec Zimaco, et trois amis, il a construit les trois salles de classe de l'école laïque du Chemin-des-Dunes. Parmi les enfants et les adultes, il fait également le lien entre les différentes langues : kurde, anglais, arabe.

Et si l'école laïque du Chemin-des-Dunes est détruite ? Il faudra tout reconstruire. Déplacer ce qui a été construit ne servirait à rien.

Les traits creusés, il explique qu'il a besoin d'une pause : après douze semaines dans la Jungle, sa femme et son fils en Angleterre lui manquent. Pour le moment il pense à rentrer chez lui… à Liverpool.

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