Par Isabelle Dautresme, Marion Floch, mis à jour le 14 Octobre 2019
10 min

Comment fonctionne un conseil de discipline ? Qui doit être présent ? Comment la sanction est-elle décidée ? Peut-on la refuser ? Pour vous, nous avons assisté au conseil de discipline à huis clos d’un collège de la banlieue parisienne.

"Je ne sais pas pourquoi j'ai fait ça. Je le regrette, Je voudrais m'excuser auprès de mon professeur de physique-chimie", lâche d'une voix à peine audible, Yvan*, tête rentrée et épaules tombantes. À le voir, avec sa mèche bien mise et son visage encore poupon, on a du mal à l'imaginer "insultant un professeur qui lui demandait de sortir de classe", tel qu'il est écrit dans la convocation adressée par lettre recommandée à chaque participant du conseil de discipline.

Les faits

Ils sont une quinzaine à s'être retrouvés en cette fin d'après-midi d'hiver, en décembre 2015, autour de la table ovale de la grande salle de réunion d'un collège tranquille de l'ouest parisien. Les visages sont fermés, le silence pesant. "Le fait de réunir un conseil de discipline prouve que l'on a échoué dans notre mission éducative." C'est en ces termes que le chef d'établissement ouvre la séance, avant d'exposer dans les détails ce qui est reproché à Yvan, élève en classe de troisième : "insultes et menaces sur son professeur".

Les faits, tout le monde les connaît : ils ont été relatés en détail dans un rapport auquel les membres permanents du conseil de discipline ainsi que les "personnes invitées" – victime, témoins, professeur principal, l'élève accusé, ses parents et, le cas échéant, toute personne susceptible d'assurer sa défense – ont eu accès entre le moment où ils ont été convoqués et celui où se tient le conseil de discipline. 

La victime, professeur de physique-chimie au collège depuis cinq ans, raconte ce qui s'est passé dans la salle 302, ce jeudi 10 janvier entre 14 heures et 15 heures pendant son cours : "Depuis le début de l'heure, Yvan bavardait de façon intempestive, perturbant toute la classe. Je lui ai demandé à plusieurs reprises de se taire. Il faisait comme s'il ne m'entendait pas. Au bout d'un moment, j'en ai eu assez et lui ai demandé de sortir. Comme il refusait d'obéir, je me suis rapproché de lui. Là, il s'est levé et m'a dit : ‘D'accord, je sors. De toute façon, vos cours, c'est de la merde, et vous n'êtes qu'un pauvre con’ ", explique l'enseignant, rouge d'indignation.

"Et ensuite ?" relance le chef d'établissement. "Il a pris ses affaires et, au moment de sortir, il m'a regardé droit dans les yeux et a lancé : ‘Je vais vous casser’. Puis il a claqué la porte". Le chef d'établissement se tourne vers les élèves délégués de la classe, convoqués en qualité de témoin : "Vous êtes d'accord avec ce qui vient d'être dit ? C'est bien comme cela que ça s'est passé ?" interroge-t-il. Les élèves confirment.

"Je n'étais pas le seul à faire du bruit..."


C'est maintenant au tour de l'élève-accusé de s'expliquer. Yvan, mal à l'aise, les yeux rivés sur ses mains posées à plat sur la table, bredouille : "Oui, j'ai bien dit ça. Mais c'est tout le temps le bazar en cours de physique, personne n'écoute. On fait tous autre chose. Je n'étais pas le seul à parler tout fort..." explique-t-il maladroitement. Assis à ses côtés, ses parents restent muets, visiblement accablés. Commence alors la séance de questions.

Un représentant des enseignants prend la parole pour interroger Yvan : "Pourquoi as-tu dit ça, tu ne crois pas que ce n'est pas digne d'un élève de troisième ?" "Je ne sais pas", bafouille-t-il. Un parent ose une question aux délégués des élèves présents : "Ça se passe comment en cours de physique-chimie depuis une semaine qu'Yvan n'est pas là ?" Il faut savoir que, suite aux événements qui lui sont reprochés, Yvan a été immédiatement renvoyé du collège par mesure conservatoire jusqu'à ce que le conseil de discipline statue sur son sort. Les élèves se regardent. L'un d'entre eux explique qu'il y a toujours beaucoup de bruits en classe, que des gommes et des boulettes volent et qu'il faut se mettre au premier rang pour pouvoir suivre le cours.

Le dialogue se poursuit, une dizaine de minutes à peine. Très vite, les questions se font rares... Chacun semble pressé d'en finir au plus vite. "Madame, Monsieur, souhaitez-vous ajouter quelque chose à ce qui vient d'être dit ?" demande le chef d'établissement en s'adressant directement aux parents. Après une légère hésitation, la mère se lance, visiblement très émue : "On discute beaucoup avec Yvan, mais il ne nous écoute pas. Je ne sais pas ce qu'il a dans la tête en ce moment... Ce n'est pas un méchant garçon, pourtant. Il est gentil avec nous et ses frères et sœurs. Mais au collège, ça ne se passe pas bien, il est toujours de mauvaise humeur quand il rentre, c'est trop dur pour lui" explique-t-elle, osant à peine regarder son auditoire avant de poursuivre des sanglots pleins la voix : "Qu'est-ce qui va se passer..., qu'est-ce qu'il va devenir ?"

À ses côtés, Yvan et son père l'écoutent, sans bouger. "Tu vois ce que tu fais vivre à ta mère", lance la conseillère principale d'éducation. Yvan reste impassible, à peine un léger froncement de sourcils. "Bon, plus personne ne souhaite intervenir ?" demande le chef d'établissement, avant d'inviter les membres non permanents du conseil de discipline à quitter la salle et rentrer chez eux. Yvan et ses parents, eux, doivent attendre dans le couloir le temps de la délibération.

Les délibérations

Restés seuls dans la salle, les membres permanents du conseil de discipline commentent ce qui vient de se passer. "Voilà, c'est tout Yvan, ça. Il insulte un professeur et après, il n'assume pas. Il faut qu'il comprenne qu'il ne peut pas faire n'importe quoi", lance un des représentants des professeurs. Son collègue renchérit : "Ils ont beau jeu, ses parents, de dire que leur fils est gentil. Nous, il nous casse les pieds depuis la sixième, on n'en peut plus, il faut que ça cesse !" "Mais, on sait tous, ici, que le professeur a un problème avec ses classes, qu'il manque d'autorité..." tente un parent d'élève.

Les échanges se poursuivent, chacun tentant d'apprécier le degré de gravité des faits reprochés à l'élève. Le chef d'établissement n'intervient dans le débat que pour interrompre les digressions sur ces parents débordés par leurs enfants ou l'état de la société... "Bon, maintenant, on vote", ordonne le principal. "Qui est pour l'exclusion définitive ?" Vote à bulletin secret, cert ains répondent tout de suite, d'autres sont plus hésitants. L'urne circule, chacun y dépose son petit papier en silence. Sept oui, trois non et deux abstentions. Le sort de l'élève est scellé.

Résultat : une exclusion définitive

Yvan, encadré de ses parents, rentre dans la salle, tête baissée. "Le conseil de discipline a prononcé l'exclusion définitive d'Yvan. Vous avez 8 jours pour faire appel de cette décision auprès du rectorat. Comme il n'a pas 16 ans et qu'il est soumis à la scolarité obligatoire, la direction d'académie vous indiquera dès demain matin dans quel collège votre fils est affecté", explique le chef d'établissement d'une voix neutre, avant de poursuivre, le regard planté dans celui du jeune homme qui peine à contenir ses larmes : "J'espère que cette sanction vous fera réfléchir. Changer de collège peut être l'occasion de repartir sur de nouvelles bases. Là-bas, personne ne vous connaît".

Des questions en suspens

La salle s'est vidée. Quelques parents d'élèves poursuivent la conversation sur le parking plongé dans l'obscurité : "On a comme l'impression qu'Yvan était dans le collimateur de l'administration et que cette histoire d'insultes a été un prétexte pour le renvoyer", lâche d'une voix lasse, un des représentants d'élèves. Sa voisine, encore sous le choc d'avoir participé à ce qu'elle estime être une "mascarade de procès", approuve : "Visiblement, les professeurs ne le supportaient plus !"

* Le prénom a été changé pour des raisons de confidentialité.

fleche-rouge Comment se déroule le conseil de discipline ?
Le conseil de discipline doit respecter des règles formelles très précises, au risque de voir sa décision annulée.

fleche-rouge Qui siège au conseil de discipline ?

Le conseil de discipline est composé de quatorze membres : le chef d'établissement et son adjoint, le conseiller principal d'éducation, le gestionnaire, cinq représentants du personnel, trois élus des parents d'élèves et deux représentants d'élèves réunis pour statuer du cas d'un élève ayant commis une faute "grave".

L'élève, ses parents, ou son représentant légal s'il est mineur, sont convoqués par lettre recommandée au moins huit jours avant la date du conseil. Il peut se faire assister d'une personne de son choix (avocat, représentant des parents d'élèves).

La victime, c'est-à-dire la personne ayant demandé la comparution de l'élève, les témoins ou les personnes susceptibles d'éclairer le conseil sur les faits reprochés à l'élève sont également invités à participer au conseil de discipline.



fleche-rouge Assurer sa défense

Même accusé, l’élève doit pouvoir assurer sa défense et donc plaider sa cause. Comme dans tout procès, le conseil de discipline doit veiller à ce que chaque partie puisse présenter ses arguments dans les meilleures conditions possibles.

Il vaut donc mieux préparer sa défense, à l’oral ou à l’écrit. D'abord en reconnaissant les faits, s'ils sont avérés, en manifestant un minimum de regrets et en s'engageant à revoir son comportement. Ne pas hésiter également à présenter l'environnement dans lequel évolue l'élève, s'il a connu des ruptures, des chocs, si ses conditions de vie sont difficiles... 


Tous les éléments qui peuvent éclairer le conseil de discipline sur l'attitude d'un élève ont une importance. Ce qui se dit au conseil de discipline est confidentiel, chaque participant étant tenu à un devoir de réserve. On peut donc tout dire, même des choses très personnelles.


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Faire appel

Les membres du conseil de discipline votent ensuite à bulletins secrets et c’est la majorité des suffrages qui est exprimée.


Charge ensuite à la personne qui préside d'informer immédiatement l'élève et sa famille de la décision du conseil. S'ils ne sont pas d'accord avec le jugement, ils peuvent toujours faire appel auprès du recteur de l’académie dans un délai de 8 jours. Ce sera alors à lui de décider, après avis d'une commission académique d'appel, si la sanction est adaptée ou pas. Et si la famille n'est toujours pas d'accord, le juge administratif tranchera.



fleche-rouge Quelles sont les sanctions ?

Certains établissements convoquent régulièrement le conseil de discipline, d'autres à l'inverse, le font de façon exceptionnelle, lorsque les faits reprochés sont jugés extrêmement graves, du type violence physique. La plupart des conseils de discipline débouchent sur une exclusion définitive.


Alors même que l'éventail de sanctions est plutôt large : il va de l'avertissement à l'exclusion définitive, en passant par la mesure de responsabilisation (activités généralement d'intérêt général), l'exclusion temporaire de la classe et/ou de l'établissement (8 jours maximum).

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