"Le plus compliqué, c’est le stress de l’expulsion" : sans domicile fixe, ces collégiens vivent dans un squat
Alors que l’Unicef alerte sur l’explosion du nombre d’enfants à la rue, l’Etudiant a recueilli les témoignages de trois familles sans domicile fixe dont les enfants sont scolarisés au collège.
Aller à l'école la journée sans avoir de domicile fixe où rentrer le soir est une réalité qui touche de nombreux collégiens. "Il n’y a jamais eu autant d’enfants à la rue. Loin de s’améliorer, la situation s’aggrave", a alerté Adeline Hazan, présidente de l’Unicef France, lors de la présentation de leur sixième baromètre annuel. Selon cette étude parue en septembre 2024, 2.043 enfants sont restés sans solution d’hébergement après l’appel de leur famille au 115 dans la nuit du 19 août. Un chiffre en hausse de 3% par rapport à l’année dernière, et de 120% par rapport à 2020.
Des collectifs et associations tentent de pallier cette situation. Plus de 80 écoles ont par exemple été occupées pendant l’année scolaire 2023-2024 dans toute la France, mettant à l’abri 350 enfants, selon le collectif 'Jamais sans toit'.
"L’école publique doit être définitivement un sanctuaire pour tous les enfants. Mais les occupations d’écoles pour loger les enfants à la rue ne sont pas une solution : ce ne sont pas des logements, où les familles disposeraient d’un salon, d’une cuisine… Ces enfants ont aussi le droit à une scolarisation adaptée, et ce quelle que soit la situation administrative de leurs parents. Comment peut-on étudier sereinement quand on dort sous une tente, sur un bout de carton, dans un garage, dans un hall d’immeuble, dans une salle de classe ?" dénonce Abdelkrim Mesbahi, président de la FCPE .
Une situation qui pèse sur la scolarité
Zouleikha a ainsi été logée dans une école lyonnaise avec ses trois enfants de 3 ans, 7 ans et 11 ans. "Ce sont des conditions dures, car il faut quitter le lieu à 7 heures du matin et revenir après 19 heures", témoigne-t-elle.
Elle vit désormais dans un squat avec son mari et ses enfants, une épée de Damoclès au-dessus de la tête. La régie de l’immeuble l’a en effet sommée de quitter les lieux le 5 septembre, au lendemain de la rentrée scolaire. La famille a finalement obtenu de rester grâce au soutien de plusieurs associations, alors que l’appartement qu’elle occupe est vide depuis 2016. Mais elle vit toujours sous la menace d’une expulsion.
Une situation qui pèse sur la scolarité de sa fille aînée, actuellement en 6e. "En Algérie, elle était parmi les meilleurs, mais à son arrivée en CM2 en France, elle a eu du mal. Tout le monde se moquait d’elle à l’école, elle rentrait en pleurant", raconte Zouleikha.
"Je lui ai dit de garder son secret pour elle"
"Les autres enfants ne voulaient pas jouer avec moi parce que je ne parlais pas encore bien français", témoigne sa fille Nermine*, dont les résultats se sont améliorés au collège. Ses amis et ses professeurs ne sont pas au courant de sa situation, mis à part sa professeure principal.
"Je lui ai dit de garder son secret pour elle. Sinon, les élèves vont se moquer du fait qu’elle n’a pas de papiers et qu’elle vit dans un squat. Je ne veux pas qu’elle revive ce qu’elle a vécu l’année dernière, elle était très seule. J’essaie de la soutenir. Si nous sommes en France, c’est pour sa réussite scolaire", raconte Zouleikha.
Sekou John, 13 ans, cache également sa situation et essaie d’aller de l’avant. Il loge avec sa mère dans un squat lyonnais occupé par de nombreuses familles. "Il fait froid, alors on dort avec un drap sur nous. On peut aussi se laver car il y a de l’eau, qu’on verse sur nous. J’arrive à l’école très fatigué mais les profs ne me posent pas de questions", témoigne le garçon. Pour cet élève de 5e, le collège est une échappatoire, loin du squat. "Je préfère être à l’école. On rigole, j’ai beaucoup d’amis et j’aime aussi les profs", raconte-t-il.
Difficile de faire ses devoirs dans son habitation surpeuplée "où ça crie". Il s’installe donc dans le petit jardin en face. "On a besoin d’une maison", ajoute-t-il.
"Mon fils veut être un bon élément"
Amina* dort dans le même immeuble avec son fils Samy, 14 ans. Inscrit en 3e, il passera son brevet cette année. "Mon fils veut être un bon élément, mais c’est assez difficile pour lui", confie-t-elle. Pour lui donner plus de chances, elle a pu l'inscrire à l’aide aux devoirs de son collège et du Secours populaire.
Amina est arrivée d’Algérie il y a deux ans avec ses enfants, afin de leur offrir "une bonne scolarisation". Leur vie s’est effondrée lorsque son mari a commencé à la battre. Elle a quitté leur domicile et s’est retrouvée sans rien. "Mon mari a des papiers et le logement est à son nom", explique-t-elle.
Si le collège ne peut pas les loger, il leur permet de ne pas payer la cantine et de récupérer des fournitures scolaires et des vêtements de sport. "Nous avons eu de la chance avec des bons professeurs, qui sont compréhensifs de la situation. L’assistante sociale m’aide aussi de toutes ses forces", témoigne Amina.
Si la famille se sent soutenue par les équipes, les autres enfants ne sont pas aussi compréhensifs avec Samy. "Mon fils est timide, il a du mal avec cette situation. Mais le plus compliqué, c’est le stress de l’expulsion."
Des familles sous le coup d'une expulsion
Toutes ces familles risquent d'être mises à la rue dans quelques semaines. GrandLyon Habitat, propriétaire de leur immeuble, a en effet obtenu leur expulsion devant la justice, mais n'a plus que deux semaines pour demander l'intervention des forces de l'ordre avant la trêve hivernale, pendant laquelle ces familles ne seront plus délogeables.
"La décision du tribunal confirme la dangerosité de l'immeuble qui présente des risques forts pour la sécurité des occupants. D'importants travaux doivent être mis en œuvre, afin de réaliser une résidence sociale étudiante, pour offrir des solutions de logement à des jeunes de familles modestes", précise GrandLyon Habitat.
*Les prénoms ont été changés
Une situation qui s'aggrave
Selon l’Unicef, les chiffres présentés dans son baromètre sont en deçà de la réalité, puisque l'ONG estime à plus de 69% le taux de familles à la rue qui n’appellent pas ou plus le 115.
"Nous sommes en train de nous habituer à une situation inacceptable : on imagine la réalité d’avoir un enfant dormant dans la rue, avec ce que cela implique en termes d’insécurité réelle et psychique. Cette situation est à la fois le reflet de décisions politiques qui n’ont pas été prises, d’une grave crise du logement et d’un dysfonctionnement d’accès au service public", souligne Nathalie Latour, directrice générale de la Fédération des acteurs de la solidarité.
"Par rapport à l’an dernier, nous avons l’impression que le gouvernement a baissé les bras sur le sujet. Nous aurions pu espérer un budget débloqué, des actions, mais rien de tout ça n’a eu lieu", pointe Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé Pierre.
Des expulsions ont par ailleurs eu lieu dans plusieurs régions, aggravant la situation. La métropole de Lyon a par exemple "déclaré mettre fin aux nouvelles mises à l’abri des plus vulnérables dont elle est responsable (femmes enceintes et mères isolées avec leur enfant de moins de trois ans) en raison d’un manque de moyens", pointe l’UNICEF dans son baromètre. Ainsi, dans la métropole de Lyon, le nombre d’enfants à la rue a plus que triplé en seulement deux ans.