Reportage

Collège : des enseignants renversent la classe

Collège-classe inversée- Sami Cherif donne des consignes aux élèves.
Collège-classe inversée- Sami Cherif donne des consignes aux élèves. © Isabelle Dautresme
Par Isabelle Dautresme, publié le 05 janvier 2015
7 min

Et si plutôt que de passer l’heure de classe à écouter votre professeur faire cours et noter sur votre cahier, vous écriviez une lettre à un ministre, enregistriez un son pour accompagner une vidéo ou vous métamorphosiez en préfet d’une région sinistrée par une inondation ? Un professeur d’histoire-géographie de la région parisienne a fait le pari “d’inverser” sa classe : leçons à la maison, activités et autres exercices au collège. Reportage.

Collège-classe inversée- Le professeur donne les consignesLe professeur donne les consignes avant que chaque groupe d'élèves travaille sur son exposé. // © Isabelle Dautresme

"Bonjour, vous êtes 21 sur 26 à avoir visionné les vidéos sur les inondations en France et en Inde et répondu aux questions, comme je vous l'avais demandé. C'est bien". Il est 9h, au collège Jean-Moulin de Chaville (92) et les élèves de 5e ont cours d'histoire-géographie en salle informatique. Tous s'installent dans le calme, autour d'une grande table ovale, le temps que Sami Cherif, leur professeur, voix calme et sourire bienveillant, leur donne quelques consignes.

"Aujourd'hui, il y a 8 "exposés" : vous vous mettez par trois et choisissez celui que vous voulez. Un groupe de 4 peut travailler sur une vidéo. Agathe ? D'accord !" Et les élèves de s'installer en "îlot" derrière un ordinateur.

Des élèves mis à contribution

Partant du constat que la classe dite "classique", organisée autour d'un professeur qui dispense le savoir et des élèves qui notent ce qu'il leur dit, n'est plus adaptée à des jeunes hyper-connectés, Sami Cherif a revu ses pratiques. Une fois par semaine, il demande aux jeunes de visionner des vidéos, diaporamas sonores ou autres cartes commentées à la maison. Des documents qu'il a produits lui-même ou glanés sur Internet. Puis, les élèves doivent répondre à quelques questions rapides, essentiellement de compréhension. "Le tout prend une dizaine de minutes environ, parfois un peu plus si le thème l'exige", souligne l'enseignant.

Exit cahiers et copies ! Les réponses sont portées directement sur le forum dédié installé sur l'intranet du collège. "Cela me permet de savoir qui s'est connecté et surtout de repérer, avant le cours, les notions qui ont été comprises et celles qui posent problème", précise l'enseignant.

Collège-classe inversée- Les élèves rédigent leur synthèse directement sur l'intra net du collègeUn des avantages de la classe inversée : elle encourage le travail à plusieurs sur des projets communs. // © Isabelle Dautresme

À chaque exposé, une compétence

Romain et Hugo ont choisi "l'exposé n°4" : "Inondations en Inde et au Pakistan. Vous êtes journalistes. Vous décrivez les dommages provoqués par les inondations". "En temps normal, ils pourraient re-visionner la vidéo en ligne. Mais aujourd'hui, nous avons des problèmes de connexion. Comme ils les ont vues à la maison, ce n'est pas très gênant", note Sami Cherif. Chaque "exposé" vise une compétence. Pour certains, il s'agit de produire un texte descriptif, de 5-6 lignes maximum. Du type : "Rédigez le récit d'un journaliste décrivant les inondations dans le sud de la France". D'autres exposés font davantage appel à l'analyse : "Vous êtes un expert nommé par le gouvernement indien. Le Premier ministre vous demande de fournir des explications à la catastrophe".

Quelques exposés encore mettent l'accent sur l'oral. "En principe, les élèves sont libres de choisir l'exposé qu'ils souhaitent travailler, mais il m'arrive d'orienter le choix de certains. Je vais, par exemple, encourager un élève en difficulté à choisir un exposé descriptif alors que j'orienterai un autre, très à l'aise à l'écrit, vers des sujets qui font davantage appel à des capacités d'analyse ou d'expression orale", explique l'enseignant. L'avantage : permettre à chaque élève de progresser à son rythme. "Tout le monde y trouve son compte, y compris les très bons élèves qui ont tendance à s'ennuyer dans un cours classique, conçu pour la moyenne de la classe", affirme Sami Cherif.

Plus proches des profs

"Vous savez comment vous allez vous enregistrer ? Expliquez que vous êtes dans un pays pauvre". Sami Cherif passe d'îlot en îlot, lit les productions des élèves, commente, donne quelques indications... "C'est très bien mais la dernière phrase est peut-être un peu trop affirmative. Vous pouvez la nuancer ? N'oubliez pas que vous êtes préfet et que vous vous adressez au ministre", lâche l'enseignant avant de s'installer à côté d'un élève qui préfère travailler seul. Les "ms'ieur, "ms'ieur" fusent de toutes parts. "On n'a pas peur de poser des questions. On est beaucoup plus proche du prof, qu'en classe normale", commente Romain. Et Hugo d'ajouter : "Si on n'a pas compris quelque chose ou que l'on est très timide, on peut toujours poser des questions via le forum. C'est très pratique".

Autre avantage de la classe inversée, elle encourage le travail à plusieurs et par projet, ce qui n'est pas pour déplaire aux élèves. "Non seulement, les autres peuvent nous expliquer ce que l'on n'a pas compris mais en plus, cela permet de confronter nos arguments. Au final, c'est beaucoup plus enrichissant que de faire l'exercice seul dans son coin", analyse Axelle.

Collège-classe inversée- Sami Cherif dispense ses conseils à un élève qui préfère travailler seulLe professeur passe de groupe en groupe pour donner des conseils. // © Isabelle Dautresme.

Des cours plus intéressants

Trois jeunes filles se dirigent vers Sami Cherif, occupé à faire un petit point d'orthographe avec quelques élèves, et l'informent qu'elles quittent la salle. "Pour enregistrer le son, il ne faut pas de bruit", fait remarquer l'une d'elles. Un peu plus loin, Oveline, Clémence et Célia répètent, avant de s'enregistrer, le commentaire qui doit accompagner la vidéo sur les inondations en Inde. À les écouter, la classe inversée a tout pour plaire. "On n'est pas là à écouter le prof, c'est nous qui faisons le cours. Du coup, on avance plus vite et surtout on comprend et on retient mieux", s'enthousiasme Clémence.

"Il y a un côté ludique que l'on ne retrouve pas ailleurs. On n'a pas l'impression de travailler", ajoute de son côté Oveline, avec un grand sourire. Quant à Ambre, ce qui lui plaît surtout c'est de travailler sur des documents récents. Ça nous change des manuels", commente-t-elle.

Noter ce qui ne se voit pas

"Toute le monde a terminé ? Pensez à bien enregistrer", répète Sami Cherif. Le cours est bientôt fini, c'est le temps du rassemblement. Les élèves reprennent place autour de la table ovale. "Aujourd'hui, on a été pénalisé par l'absence de connexion Internet mais cela ne vous a pas empêché d'avancer", se félicite l'enseignant. "D'ici le prochain cours, je vais corriger et compléter vos productions. De votre côté, vous les relirez. On fera un débat".

"Ce sera noté ?", interroge un élève. C'est que classe inversée ou pas, le sujet importe beaucoup. "Surtout les bons, les plus scolaires", note le professeur d'histoire-géographie. Or, "ce qui est important dans cet exercice, ce n'est pas tant le résultat, la production écrite ou audio, que la manière d'y parvenir. L'évaluation porte sur tout ce qui ne se voit pas sur une copie : le travail en équipe, les échanges entre élèves, la manière dont ils sont parfois amenés à changer de point de vue", détaille Sami Charif. Et de conclure. "Ils vont tous avoir une bonne note, mais ce n'est pas là l'essentiel". La sonnerie retentit. Les élèves quittent la salle en ordre dispersé pour rejoindre "un cours classique". "Le temps va passer moins vite !", marmonne l'un d'eux.

La classe inversée : origine d'un phénomène
Venue des États-Unis et de l'université, la classe inversée gagne petit à petit ses lettres de noblesse en France dans l'enseignement supérieur, mais aussi, de plus en plus dans le secondaire.

Le principe est simple : à la maison, pluôt que de faire des devoirs, l'élève se familiarise avec le cours grâce à des ressources en ligne (vidéos, contenus interactifs). En classe, il fait des activités et des travaux de groupe. On parle de classe inversée dans la mesure où ce qui était fait en classe est maintenant fait à la maison et inversement. Le professeur peut alors davantage s'adapter aux attentes et aux besoins de chaque élève.

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