Reportage

Pas de notes au collège : ça change quoi ?

Par Isabelle Dautresme, publié le 17 décembre 2014
1 min

Des contrôles et des devoirs maison non notés, des bulletins sans moyennes... Inimaginable pour vous à qui l'on demande si souvent : “Quelles notes t'as eues ?” Pourtant, de plus en plus de collèges sautent le pas. Mais sur quoi êtes-vous alors évalué ? Est-ce encore possible de vous situer dans la classe et de jauger vos progrès ? Reportage au collège Georges-Clemenceau à Paris.

Collège_Collège sans note-Auto-évaluation avec Oihandi BordonabaSéance d'atelier "Carnet de bord" au collège George-Clemenceau de Paris, pendant laquelle les élèves apprennent à s'autoévaluer. // © Isabelle Dautresme

Au collège Georges-Clemenceau à Paris, fini les notes en 6e et 5e. N'allez pas pour autant en conclure que les élèves échappent aux contrôles. "La grosse différence avec ce qui se pratique habituellement, c'est qu'ici, les élèves ne sont pas notés mais évalués sur leurs compétences, c'est-à-dire sur ce qu'ils savent faire précisément", explique Pascal Delhom, principal de l'établissement. "Une note en soi ne veut rien dire. Un élève peut avoir 9/20 en français sur une fiche de lecture non pas parce qu'il n'a pas compris ce qu'il a lu mais parce qu'il éprouve des difficultés d'expression", renchérit son adjoint, Pascal Odin.

"Très proche des 'Vu', 'B' et 'TB' de l'école primaire"

Pour Laura Gouiran, professeure d'anglais, "l'évaluation par compétences est beaucoup plus fine et permet de mieux cibler les difficultés". Le principe ? Lors d'un contrôle, l'enseignant évalue différentes compétences, comme "savoir vérifier l'orthographe d'un mot dans un dictionnaire". S'il estime que vous maîtrisez cette compétence, il vous gratifie d'un "réussite totale" (RT) ou d'un "réussite partielle" (RP) ; d'un "à renforcer" (AR) s'il reste des choses non comprises ; d'un "non acquis" (NA) si tout est à revoir. "Finalement c'est très proche des 'Vu', 'B' et 'TB' de l'école primaire", poursuit Oihandi Bordonaba, coordinatrice du niveau 6e.

Mais à la fin du trimestre, au moment des conseils de classe, des bulletins sans moyennes, c'est possible ? "Bien sûr que oui, répond sans hésiter Pascal Delhom, et ils sont souvent plus riches d'enseignements. À chaque matière correspond, un nombre de RT, de RP ou de NA... Les élèves s'y retrouvent très bien, c'est pour les parents que c'est plus compliqué." Une remise de bulletins est organisée après les conseils : l'occasion d'expliquer à des adultes parfois sceptiques le fonctionnement du dispositif et surtout son intérêt.

"Les élèves s'y retrouvent très bien, c'est pour les parents que c'est plus compliqué"


Autre changement : dans ce collège du XVIIIe arrondissement, l'évaluation n'est pas du seul ressort des professeurs, les élèves s'y collent aussi. L'objectif ? "Les aider à prendre conscience de leurs acquis et de leurs difficultés, préalable indispensable à un travail de remédiation", explique Laura Gouiran. "Ce qui est intéressant, c'est quand un élève se gratifie d'un RT à une compétence alors que l'enseignant considère qu'elle est encore à renforcer ou l'inverse. S'ensuit un débat extrêmement riche sur les raisons d'un tel décalage."

La situation, la plus fréquente : l'élève qui pense ne rien savoir d'une notion alors qu'en réalité, il en a une maîtrise au moins partielle. "Les collégiens sont extrêmement sévères avec eux-mêmes. C'est important qu'ils prennent conscience qu'ils ne sont pas nuls, qu'ils savent des choses", insiste Oihandi Bordonaba. " D'autant qu'on ne peut pas apprendre si on n'a pas un minimum confiance en soi, en ses capacités", renchérit le principal.

Un atelier "Carnet de bord" pour apprendre à s'autoévaluer

Pour les aider à s'autoévaluer, les élèves sont réunis par petits groupes, toutes les trois semaines environ, en atelier "Carnet de bord". "Qu'avez-vous appris ces dernières semaines ? À quelles difficultés avez-vous été confrontées ? Qu'est-ce qui vous a semblé facile ? Notez tout ça dans votre carnet", questionne, à l'occasion d'un tel atelier, Oihandi Bordonaba. Huit collégiens de 6e sont venus y participer. Chacun réfléchit un moment puis se lance.

La coordinatrice passe dans les rangs, jette un œil sur les carnets et conseille : "Tu dis que tu as appris beaucoup des choses en anglais, mais précise s'il te plaît. De quels mots te souviens-tu exactement ? Et en français, quels sont tes points faibles ? La grammaire ? Explique et donne des exemples."

Après un petit moment au cours duquel chacun s'évertue à tirer "un bilan" de son travail scolaire, ceux qui le souhaitent lisent à haute voix ce qu'ils ont écrit, les autres écoutent puis posent des questions, apportent des précisions ou commentent...

"L'idée, c'est que l'élève prenne conscience de là où il en est, de ce qu'il doit faire pour progresser et des points sur lesquels il peut s'appuyer. L'évaluation n'est pas une sanction mais un moyen de se situer et l'occasion de mesurer ses progrès", explique l'enseignante d'anglais. De quoi mettre fin aux contestations au moment de la remise des copies !

Collège_Collège sans note-Auto-évaluation "Qu'avez-vous appris ces dernières semaines ? À quelles difficultés avez-vous été confrontées ? Qu'est-ce qui vous a semblé facile ? Notez tout ça dans votre carnet", conseille Oihandi Bordonaba, coordinatrice du niveau 6e. // © Isabelle Dautresme

Au collège Georges-Clemenceau, ce n'est qu'en classe de 4e que les notes font leur apparition. "En vue du DNB [diplôme national du brevet] qui repose en partie sur le contrôle continu et pour lequel il faut des notes", explique le principal. L'adhésion à cette forme d'évaluation, que certains expérimentent pour la première fois de leur scolarité, ne va pas de soi. À écouter ces collégiens, les notes seraient trop réductrices. "L'évaluation par compétences permet de mieux repérer nos difficultés ", remarque Nefissetou, en classe de 4e. "Les notes ne me donnent aucune information sur ce que je n'ai pas compris et comment je peux m'améliorer", déplore Ilyés, 4e.

Oumaïma, dans la même classe, approuve : "Ça sert juste à savoir si on est nul ou bon." Pour elle, seule la note lui donne une information sur son niveau, les commentaires qui l'accompagnent ne l'intéressent pas, comme en attestent les copies qui se retrouvent en boule au fond de son sac. Pourtant, la même raconte qu'en 6e et 5e, elle conservait ses évaluations précieusement, histoire de s'y reporter au moment de travailler les compétences non acquises.

"Avec l'évaluation par compétences, c'était moins décourageant, je voyais que je n'étais pas nulle en tout"


Autre reproche fait aux notes ? Elles seraient stressantes et feraient perdre confiance aux élèves, particulièrement les plus fragiles. En témoigne, Nefissetou : "En français, j'accumule les très mauvaises notes car je fais plein de fautes d'orthographe. Avec l'évaluation par compétences, j'avais sur la même copie NA en orthographe, mais RT à d'autres compétences comme celle de 'retrouver la règle de grammaire qui s'applique'. C'était beaucoup moins décourageant, je voyais que je n'étais pas nulle en tout." Laura Gouiran confirme : "Un élève qui a un zéro peut penser qu'il ne maîtrise aucune compétence, or ce n'est jamais le cas."

Les collégiens de 6e et 5e que l'Etudiant a rencontrés se disent moins stressés au moment des évaluations. "Comme il n'y a pas de notes, on n'a pas peur des contrôles, on n'a pas l'impression d'un couperet qui tombe", affirme Nathan. N'allez pas en conclure pour autant qu'ils ne fournissent pas d'efforts. "L'idée selon laquelle les élèves ne travaillent que pour la note est fausse", insiste Pascal Delhom. Tous les jeunes ont envie de réussir et d'apprendre. Ici, on part de ce que l'élève a réussi plutôt que de ses échecs. Ce qui est très motivant. Nos collégiens nous démontrent chaque jour qu'ils savent travailler pour eux-mêmes."

La notation : pas à rejeter en bloc pour autant

Si les élèves de 4e du collège Georges-Clemenceau se disent dans l'ensemble plutôt contents d'avoir échappé aux notes les deux premières années de leur scolarité au collège, ils s'y sont pour la plupart plutôt bien adaptés à leur entrée en 4e. L'échéance du brevet approchant, ils n'estiment pas totalement inutile la notation. "C'est plus facile pour se situer. Si on a plus que la moyenne, c'est que ça va", reconnaît Ilyés.

Oumanïa confirme : "Au moins, quand j'ai 13 en maths, je me dis que je suis bonne. Avec les compétences, j'avais de RT mais aussi des RP (réussites partielles), et au final je ne savais pas si c'était globalement bien ou pas." "Et puis, c'est normal d'être noté", lâche Nefissetou, un brin philosophe. À condition toutefois de ne pas vivre chaque mauvaise note comme si c'était la fin du monde.

Facile à dire... Et pourtant, si ce retour d'expérience de classe sans notes doit vous enseigner une chose à vous qui ne l'avez jamais connue, c'est bien celle de relativiser les notes. Pas de les ignorer bien sûr, mais de les comprendre comme un moyen de savoir où vous en êtes dans la maîtrise des compétences attendues au collège. Que vous sachiez repérer par vous-même ou avec l'aide d'un adulte vos points forts et vos points faibles, préalable indispensable à tout progrès.

Même si vous êtes dans un collège où les notes tiennent la dragée haute, sachez que lors des conseils de classe et au moment des décisions de passage, vos professeurs ne se basent pas uniquement sur vos moyennes. Tout compte : les résultats certes, mais aussi le comportement face au travail, la progression, le sérieux, l'attitude en classe. Alors prenez du recul et travaillez, faites des efforts, car notes ou pas, la clé de la réussite se trouve bien là !

Disparition des notes : une idée qui fait son chemin
En novembre 2014, le ministère de l'Éducation nationale a lancé une conférence nationale sur l'évaluation. À cette occasion la ministre Najat Vallaud-Belkacem a rappelé que "l'évaluation devait être positive et bienveillante". La conférence doit rendre ses recommandations mi-janvier 2015.

Pour l'heure, d'après le ministère de l'Éducation nationale, plus de 350 collèges réfléchissent à l'évaluation : 86 ont fait le choix de ne plus noter les élèves et 265 établissements, sans aller jusqu'à supprimer de façon systématique la note, expérimentent d'autres modes d'évaluation.

Vous aimerez aussi

Contenus supplémentaires

Partagez sur les réseaux sociaux !