A. Loridan-Baudrier : "Le quantique n’est pas suffisamment présent dans les cursus en ingénierie"

Muriel Florin Publié le
A. Loridan-Baudrier : "Le quantique n’est pas suffisamment présent dans les cursus en ingénierie"
Plain picture // ©  Deepol/Plainpicture
Audrey Loridan-Baudrier, directrice adjointe de la Fondation Mines Télécom, a coordonné le dernier cahier de veille et de prospective de la Fondation Mines-Télécom consacré à "L’avantage quantique" qui dresse le panorama des enjeux industriels et de formation d’ingénieurs sur ce sujet.

On parle souvent du Graal de l’ordinateur quantique. Quels sont les autres domaines dans lesquels "l’avantage quantique" est un enjeu de taille ?

Il y a bien d’autres Graals en effet ! Le calcul n’est qu’un pan de la recherche. Cet avantage quantique est important dans le domaine de la cryptographie, en particulier la façon de protéger les données, les informations bancaires. Il joue aussi sur la métrologie, en permettant d’utiliser des instruments de mesure extrêmement puissants et fins. On peut aussi citer le champ de la simulation, où nous avons un champion français Atos, qui propose des solutions hybrides permettant de concevoir de nouveaux équipements. Si la Chine, les Etats-Unis et l’Europe se livrent à une course pour conserver le leadership, c’est parce qu’il y a de nombreux enjeux industriels.

Peut-on évaluer les besoins des entreprises ?

Nous avons du mal à le faire précisément mais nous avons des indicateurs. Thierry Breton, ex-PDG d’Atos et désormais commissaire européen, estime qu’il faut former 5.000 ingénieurs quantiques dans les cinq prochaines années. Je suis pour ma part convaincue qu’on est sur le même ordre d’idée que pour le développement de l’intelligence artificielle.

Vous plaidez donc pour former rapidement beaucoup d’experts… Aujourd’hui, où en est-on ?

Nous avons en effet besoin de jeunes spécialistes du quantique, qui auront des connaissances transdisciplinaires, notamment en mathématiques fondamentales, en physique et en sciences de l’information, ce qui leur permettra de réaliser l’ingénierie des puces, des capteurs, des réseaux de demain, de proposer de nouvelles solutions. Sans faire d’état des lieux, car ce n’est pas le rôle de notre fondation, nous pouvons dire que l’Institut Mines-Télécom Paris est pionnier en ayant proposé dès 2015 une formation au niveau master dans ce domaine (1). La formation à Mines-Télécom draine chaque année une petite dizaine d’étudiants qui sont tous recrutés très rapidement. Il y a encore très peu de concurrence à ce niveau, même si cela bouge un peu du côté de Grenoble, Montpellier et à Paris intra-muros.

Le flux est donc encore faible. Qu’est-ce qui fait défaut ?

Nous constatons que le quantique n’est pas suffisamment présent dans les cursus, que ce soit au niveau du secondaire ou du supérieur. Différentes disciplines comme la chimie, la biologie, les sciences des matériaux devraient pourtant intégrer le quantique… Il faudrait une acculturation plus précoce et plus poussée pour irriguer la formation. Cela passe aussi par une politique affirmée et financée. Les universités et les écoles ont besoin de moyens pour développer la formation initiale et la formation par la recherche.

A l’échelle européenne, le Quantum Flagship se présente comme un programme de financement des technologies émergentes, dont le quantique, et promet un milliard d’euros pour stimuler la recherche. Quel est son impact sur la formation ?

En effet, l’Europe a conscience que la formation est un enjeu clé et l’a donc inscrit comme un pilier transversal avec les programmes de recherche. Mais cette prise de conscience est récente. Il faut du temps pour que les équipes de recherche internationales se constituent, pour que des programmes structurants donnent des résultats. Soyons optimistes, plusieurs éléments se conjuguent aujourd’hui pour stimuler les candidatures et l’offre de formation. Il y a la feuille de route du Quantum Flagship, mais aussi, le quantique sort de l’ombre où il est longtemps resté et les jeunes commencent à se dire que c’est intéressant.

Avec une particularité française ?

En France, nous sommes très bons sur la recherche fondamentale, mais cette recherche a besoin de s’associer à des entreprises pour se traduire par des innovations qui vont porter des marchés. Le quantique est un sujet d’avenir qui nécessite des investissements pour traduire la recherche fondamentale en applications et en services pour la société dans son ensemble.

(1) Télécom Paris propose une option Quantum Engineering au niveau Master 2. Cette formation s’étend sur un an : six mois de formation intensive complétés par six mois de stage en Recherche et développement
https://www.fondation-mines-telecom.org/news/lavantage-quantique-enjeux-industriels-et-de-formation/

Muriel Florin | Publié le