Bernard Belloc : "C’est une hypocrisie de penser que notre système est uniforme sur le territoire"

Sophie Blitman Publié le
Bernard Belloc : "C’est une hypocrisie de penser que notre système est uniforme sur le territoire"
Belloc - L'ACADEMIE AU PAYS DU CAPITAL - COUV // © 
A l’occasion de la sortie de leur livre L’Académie au pays du capital, Bernard Belloc , conseiller au cabinet du président de la République pour l’enseignement supérieur et la recherche et Pierre-François Mourier, directeur général adjoint du Centre d’analyse stratégique (CAS) ont livré leur vision du système universitaire américain, jeudi 24 février 2011, lors d'une rencontre à la Fondapol (Fondation pour l'innovation politique). Se posant la question de savoir si la France pourrait, en la matière, s’inspirer des Etats-Unis.

Analysant le système universitaire californien, Bernard Belloc, qui s'exprimait en tant que président honoraire de Toulouse 1, se dit tout d’abord "frappé par l’osmose qui existe entre le développement de la nation américaine et celui de son université", alors qu’en France, les grandes écoles et les universités ne sont, selon lui, "pas suffisamment liées à l’évolution profonde de la société". Et de mettre en avant, de manière étonnante, l’existence d’un "service public" de l’université américaine, notion que Pierre-François Mourier reprend à son compte, parlant d’un "pacte entre l’université et la société" : aux Etats-Unis, explique-t-il, "il y a cette idée que tout le monde a le droit à l’enseignement supérieur, mais qu’on ne peut pas accéder à toutes les universités de la même manière".

Diversifier notre système universitaire

C’est cette diversité assumée du système universitaire américain, que le conseiller de Nicolas Sarkozy appelle de ses vœux en France, soulignant que, d’ores et déjà, "c’est une hypocrisie de penser que notre système est uniforme sur le territoire : il y a des établissements qui, de fait, sont meilleurs que d’autres en formation", tandis que d’autres sont meilleurs en recherche. Et quand on lui reproche de préconiser une université à deux vitesses, Bernard Belloc rétorque : "non, à 84 vitesses ! Et mêmes plus en incluant les écoles…".
Tel est, pour lui, le sens de la politique menée par Nicolas Sarkozy : depuis 2007, les réformes mises en œuvre "visent à expliciter cette diversification du système". A commencer, bien sûr, par la loi LRU (Libertés et responsabilités des universités) : "c’est la première fois, souligne Bernard Belloc, que l’on ne fait pas la même loi pour tous à l’heure h et au jour j !", puisque les universités sont passées à l’autonomie en plusieurs vagues. Dès lors, "c’est un succès, affirme le conseiller spécial du Président, dans la mesure où, en toute liberté, 90 % des universités ont décidé de le faire avant le 10 août 2012".
Quant aux critiques que peuvent engendrer les transformations induites par la loi, Bernard Belloc les estime dues au fait que les universitaires ne sont "pas tout à fait débarrassées des miasmes du pilotage centralisé"…

Quid de la sélection ?

Assumée aux Etats-Unis, la sélection fait partie des questions récurrentes qui taraudent la communauté universitaire française. Pour Pierre-François Mourier, "l’acceptabilité sociale de la sélection" présente outre-Atlantique est liée au fait qu’il existe "de vraies passerelles, des passerelles en dur" entre les formations et entre les établissements. Culturellement, cela s’explique, analyse le directeur adjoint du CAS, par "un mélange de philanthropie et d’utilitarisme".
De telles possibilités semblent en effet manquer en France. Bernard Belloc reprend ainsi le terme de "passerelles en dur au sens où il y a des barèmes", où les passages d’un cursus à l’autre ne sont pas "soumis à une décision plus ou moins arbitraire", à l’approbation d’une commission ou la signature d’un président. D’où, peut-être aussi, les réticences françaises quand on parle de sélection. Cependant, lance Bernard Belloc, "la sélection au tout début de l’enseignement supérieur, elle existe massivement. Arrêtons cette hypocrisie !"
Contre une "sélection malthusienne" à l’entrée de l’université, qui serait selon lui contre-productive dans la mesure où elle ne ferait que réduire le nombre d’étudiants, l’ancien président de Toulouse 1 se dit en revanche favorable à "des licences un peu plus exigeantes que d’autres" qui répondrait aux attentes de certains étudiants, le public à l’université étant très largement hétérogène.

Rapprocher universités et entreprises

Enfin, les deux auteurs de L’Académie au pays du capital considèrent que la France pourrait s’inspirer du modèle américain pour ce qui est des relations entre universités et entreprises. Aux Etats-Unis, "il n’y a pas de solution de continuité entre ces deux mondes", souligne Pierre-François Mourier. Pour autant, "ce n’est pas l’entreprise qui dirige le campus". L’université est plutôt vue, selon lui, comme "un parc de recherche sur lequel peuvent s’implanter des entreprises". Celles-ci permettant à des chercheurs, mais parfois aussi à des étudiants comme dans le cas de Google, d’aller jusqu’au bout de leur recherche.
Si cette "composante culturelle" n’est "pas encore totalement implémentée en France", estime le directeur adjoint du CAS, les évolutions sur le terrain vont dans ce sens, avec notamment l’emblématique campus de Saclay. Et les deux auteurs de prôner, pour notre pays, une aventure similaire, "à la fois intellectuelle et entrepreneuriale".


L’Académie au pays du capital. Points de vue sur deux systèmes universitaires aux Etats-Unis : la Californie et le Wisconsin, par Bernard Belloc et Pierre-François Mourier, PUF, 15 €.

Sophie Blitman | Publié le