Bientôt un rectorat par grande région académique

Laura Taillandier Publié le
Bientôt un rectorat par grande région académique
Jean-Michel Blanquer et Frédérique Vidal ont tracé les grandes lignes de la réforme des rectorats. // ©  ©DENIS/REA
La réforme territoriale est lancée. En 2020, les régions académiques ne compteront plus qu'un rectorat. Cette annonce de taille en pleines vacances scolaires ne passe pas du côté de certains syndicats, qui voient rouge.

De 30 à 13. Le gouvernement a rendu ses arbitrages sur la réforme territoriale : il n'y aura en 2020 plus qu'un rectorat par région académique. Après une réunion des recteurs à Matignon le 16 juillet, les ministres de l'Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, et de l'Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, ont choisi d'esquisser, dans une interview à l'agence de presse professionnelle AEF, les grandes lignes de cette révolution qui aura lieu "par étapes successives en fonction de la maturité des projets et du dialogue avec les élus locaux".

Le tempo des annonces passe mal

Une annonce tardive qui passe mal chez les syndicats. "Une réforme pareille présentée en plein mois de juillet quand tout le monde est en vacances. Le moins que l'on puisse dire, c'est que c'est un peu cavalier", glisse Jean-Rémi Girard, le président du Snalc. "En termes de communication, cela passe mal. Il n'y a aucun respect pour le dialogue social, lâche excédé Jean-Marc Boeuf, le secrétaire général d'A&I-Unsa. On nous a reçus au ministère en mai mais on a l'impression d'avoir été menés en bateau. Cela met les syndicats réformistes en difficulté. À un moment, comment fait-on ?" Même amertume du côté du Sgen-CFDT. "À aucun moment, les ministres n’évoquent la question du dialogue social ou même de consulter les usagers. Cela soulève de sérieuses inquiétudes pour la construction de la réforme dans les académies", regrette Catherine Nave-Bekhti, co-secrétaire générale du syndicat.

Ces organisations attendent de pied ferme une réunion pour y voir plus clair et envisagent une réaction commune à la rentrée. "Nous attendons aussi de voir le positionnement des élus locaux sur le sujet. Certains ne seront pas enchantés que leur ville perde un rectorat...", ajoute Jean-Rémi Girard. C'est justement cette réaction politique qui a amené le gouvernement à jouer la prudence sur ce sujet. "Le dossier a été retardé car, du point de vue des élus, on a quand même quelques sujets, certains territoires sont délaissés, comme Limoges ou Amiens. Il y a un traitement politique de la question à faire avant les annonces", expliquait-on il y a quelques semaines au ministère de l'Éducation nationale.

Des élus que Jean-Michel Blanquer a tenu à rassurer dans l'entretien. "Certaines fonctions des rectorats pourront être positionnées dans des villes qui ne sont pas capitales régionales. Il pourra y avoir par exemple un rectorat d’académie dans une ville et la chancellerie des universités dans une autre. Il n’y aura ni perdants ni gagnants", assure-t-il.

L'essentiel du rapport suivi par le gouvernement

Pour mener sa réforme, le gouvernement choisit de suivre l'"essentiel" des préconisations du rapport Weil. Pas de modèle unique. Les recteurs de région académique sont chargés de rendre leur copie d'ici à janvier 2019. "Les Dasen [directeurs académiques des services de l'Éducation nationale] ont vocation à avoir un rôle accentué dans le pilotage des écoles et des établissements scolaires. À l’exemple de ce qui se passe dans certaines académies, un Dasen pourrait aussi avoir la compétence sur les écoles, les collèges et les lycées", propose le ministre de l'Éducation nationale. Du côté de l'enseignement supérieur, "cela implique de repenser la mission des chanceliers des universités par rapport à ce que sont les universités", précise Frédérique Vidal.

Des pistes qui ne rassurent pas les syndicats, opposés à la fusion des académies. "Est-ce que l'on s'oriente vers 13 vice-ministres qui vont faire chacun leur politique régionale ? On doute que des recteurs à ce niveau de fonction n'aient pas une certaine liberté de manœuvre avec des budgets énormes à gérer", observe Fabienne Bellin, du Snes-FSU. Question finances, "les académies pourront tester beaucoup de choses, y compris une délégation de budget, a prévenu Jean-Michel Blanquer. Certaines ont déjà des fonctionnements intéressants, comme Versailles. Ces initiatives peuvent inspirer d’autres académies, pour voir comme appliquer un principe de subsidiarité dans la gestion de l’Éducation nationale."

"Est-ce que l'on s'oriente vers 13 vice-ministres qui vont faire chacun leur politique régionale ? (Fabienne Bellin)

Quelle GRH de proximité ?

La gestion des ressources humaines de proximité est également au cœur des préoccupations des acteurs syndicaux. "On voit derrière cette annonce l'idée politique d'avoir un interlocuteur unique pour la région, mais en termes de gestion géographique c'est totalement aberrant. Comment cela va-t-il se passer à Bordeaux, Limoges et Poitiers ? Ou à Lyon, Grenoble et Clermont-Ferrand ?", interpelle Jean-Rémi Girard. "On a déjà du mal avec les académies rurales pour gérer la circulation des personnels. Comment cela peut-il se passer dans des académies à taille inhumaine ? Au moment où on parle d'aller vers une gestion des ressources humaines de proximité, quel sens ont ces fusions ?", interroge Valérie Sipahimalani, co-secrétaire générale du Snes-FSU.

Jean-Michel Blanquer s'est voulu rassurant sur ce point : "Nous allons accentuer l’action départementale et infradépartementale pour encourager des formules de gestion du système scolaire au plus près du terrain. Car la première conséquence de la régionalisation doit être d’avoir une vision stratégique à l’échelle de chaque grande région et des compétences renforcées à l’échelle de chaque département pour prendre des décisions pragmatiques au quotidien."

Restent des interrogations particulièrement fortes autour de la région Île-de-France. "Cela va être très compliqué quand même. Versailles, Créteil sont des académies très importantes en termes de volumétrie. C'est important d'avoir une gestion de proximité très forte. Et on a déjà un vice-chancelier en charge de l'enseignement supérieur...", relève François Germinet, vice-président en charge de la formation de la CPU (Conférence des présidents d'université). "Le Siec [service interacadémique des examens et concours] est compétent sur l'ensemble de la région. Comme quoi les choses peuvent se gérer avec trois académies différentes et trois recteurs. Si l'on mène cette réforme uniquement car les recteurs n'arrivent pas à s'entendre et qu'il faut un chef...", pointe Fabienne Bellin.

Fortes inquiétudes sur le mouvement enseignant

Parmi les inquiétudes en termes de ressources humaines : une économie de postes de personnels administratifs et des mobilités forcées. "Il y a de quoi s'inquiéter, nous n'avons aucune garantie concrète. Et avec l'abandon du projet Sirhen [système d'information de gestion des ressources humaines et des moyens] par le ministère de l'Éducation nationale, des questions vont se poser", souligne Jean-Marc Boeuf. "L'essentiel des interrogations côté Éducation nationale reste le mouvement enseignant. Cela pose d'énormes questions : quelles conséquences pour les mutations dans ces académies géantes ? La gestion du remplacement ? À chaque étape, on nous dit qu'on n'ira pas plus loin et finalement c'est le cas. Comment calmer les inquiétudes ? Est-ce qu'on harmonisera les premier et second degrés ?", interroge ainsi Jean-Rémi Girard.

Les syndicats espèrent que les ministres suivront la préconisation du rapport Weil de ne pas toucher dans un premier temps au périmètre d'affectation des enseignants. "Pour le mouvement, on pourra trouver des solutions avec un barème ou des vœux mais comment le recrutement va-t-il se passer ? Sera-t-il régionalisé ?", questionne Fabienne Bellin. Une véritable boîte de Pandore pour les ministres de l'Éducation nationale et de l'Enseignement supérieur.

Laura Taillandier | Publié le