"Bienvenue en France" : les experts de la concertation en quête de précisions

Pauline Bluteau Publié le
"Bienvenue en France" : les experts de la concertation en quête de précisions
Le gouvernement vise l'accueil de plus de 500.000 étudiants étrangers d’ici à 2027. // ©  plainpicture/Onimage/L.B. Jeffries
Exonération des doctorants, autonomie des établissements, définition d’une stratégie d’accueil… Le rapport de la mission sur le dispositif "Bienvenue en France", remis lundi 18 février 2019 à Frédérique Vidal, réaffirme les craintes des établissements, tout en soulignant l’importance d’une démarche nationale.

Après avoir été dévoilé par le Premier ministre, Édouard Philippe, le 19 novembre 2018, le plan "Bienvenue en France" n’a cessé d’essuyer les critiques. L’objectif : développer l’attractivité de la France en améliorant l’accueil et l’accompagnement des étudiants étrangers.

Une ambition qui impliquerait l’instauration de frais différenciés, à savoir 2.770 euros de frais d’inscription en licence pour les étudiants extra-communautaires contre 170 euros pour les étudiants européens, et 3.770 euros en master et doctorat, contre respectivement 240 et 380 euros aujourd'hui.

Le 8 janvier 2019, la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation, Frédérique Vidal, lançait une concertation. La mission, confiée à cinq experts, a permis de faire le point sur les attentes des principaux concernés : présidents d’universités, organisations syndicales étudiantes et enseignantes, doctorants, ministères, Crous, Campus France, AUF (Agence universitaire de la francophonie)… Le rapport, remis à la ministre le 18 février 2019, ne semble pourtant toujours pas faire l’unanimité.

Un rejet unanime des frais différenciés

"C’est une mission prétexte !" martèle Stéphane Leymarie. D’après le secrétaire général du Sgen-CFDT, le rapport ne change rien à ce qui avait déjà été annoncé.

Dans leurs communiqués, les organisations représentatives des étudiants et des membres du personnel et la CPU (Conférence des présidents d'université) demandent une nouvelle fois le retrait de la mesure sur l’augmentation des frais d’inscription pour les étudiants extra-communautaires. "On maintient notre position parce qu’aucun argument ne tient la route", confirme Orlane François, présidente de la Fage.

Certains établissements pourraient se dire que les ressources ne sont pas suffisantes et pourraient être tentés d'élargir la mesure.
(O. François)

Comme le mentionne le rapport dès les premières pages : "La vocation redistributive du plan ne convainc guère les acteurs auditionnés." Notamment par crainte que certains établissements utilisent ces nouvelles ressources "pour financer [leur] fonctionnement normal, dans une période de raréfaction des crédits publics".

Le ministère prévoit en effet de mettre 10 millions d’euros à disposition des établissements pour favoriser l’accueil des étudiants étrangers, et assure qu’il n’y aura pas de diminution des subventions.

Des inégalités grandissantes entre établissements ?

Autre élément à prendre en compte : la spécificité de chaque établissement. Toutes n’ont pas les mêmes capacités d'accueil des étudiants étrangers, dont les pays d’origine diffèrent fortement. La mise en place de frais différenciés pourraient favoriser certains établissements plutôt que d’autres.

Pour Orlane François, le risque serait aussi d'arriver, à terme, à une augmentation des frais d’inscription pour tous les étudiants. Même si le rapport préconise une stabilisation des frais pour les étudiants européens, la présidente de la Fage reste dubitative.

"Certains établissements pourraient se dire que les ressources ne sont pas suffisantes, et donc, qu’il faudrait élargir la mesure. La question des frais différenciés pour les étudiants étrangers ouvre donc une problématique plus large, qui est très inquiétante."

Une mesure contre-productive pour les doctorants

Les co-rapporteurs émettent tout de même des doutes au sujet des doctorants : "À tous égards, l’application de la mesure au doctorat présente des inconvénients majeurs et supérieurs aux avantages attendus. Elle serait contre-productive au regard de l’objectif de maintien et de développement de la position de la France en matière de recherche et d’innovation. La mission recommande donc instamment de ne pas inclure les doctorants dans le périmètre de la mesure des droits différenciés."

Une première étape pour le Sgen-CFDT, mais qui ne va pas assez loin. Les chercheurs étrangers représentent en effet 45 % des doctorants. "Quand on sait que la moitié d’entre eux ont également obtenu leur master en France, les effets seront certainement tout autant délétères à ce niveau-là", pointe Stéphane Leymarie. Des arguments qui semblent avoir été entendus par la ministre de l'Enseignement supérieur. Quelques jours plus tard, dans un entretien accordé au Journal du Dimanche, Frédérique Vidal annonçait l'abandon de cette mesure pour les doctorants.

Qu’en sera-t-il donc des étudiants en licence et en master ? Les auteurs du rapport se montrent confiants. Actuellement, les établissements peuvent légalement décider d’exonérer 10 % de leurs étudiants extra-communautaires. L’idée serait donc d’augmenter le pourcentage à 15 % à partir de 2020, puisqu’en 2019, seuls les néo-entrants sont concernés par les frais différenciés.

D’après les calculs de la Dgesip (Direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle), 6 établissements du supérieur sur 82 ne pourraient pas exonérer la totalité de leurs étudiants étrangers en 2022.

"Cela va engendrer des inégalités territoriales et sociales entre les établissements", craint Orlane François. Et Stéphane Leymarie d'ajouter : "C’est d’une hypocrisie totale, cela ne servira pas l’attractivité de la France".

Une stratégie d’accueil des étudiants à clarifier

C’est pourtant tout l’enjeu de cette mesure : accueillir plus de 500.000 étudiants étrangers d’ici à 2027. Conforme à ce qu’avait annoncé le gouvernement, le rapport recommande de fluidifier les procédures administratives, pour les demandes de visa et de cartes de séjours, grâce à des guichets d’accueil.

Les dispositifs d’accès au logement doivent être développés – plate-forme du Crous accessible en anglais, mise en place de garants, ouverture d’un compte en banque –, un meilleur suivi médical et une meilleure intégration des étudiants étrangers assuré, avec des programmes d’échanges, un accès aux formations en alternance dès la première année et des cours de français.

"Ce sont des revendications qu’on porte depuis longtemps à la Fage, cela va dans la bonne direction", assure Orlane François. "Qui pourrait être contre ? s’exclame Stéphane Leymarie. C’est du bon sens, ce sont juste des arguments pour faire avaler les droits différenciés."

Pour améliorer l'attractivité française, le secrétaire général du Sgen-CFDT estime que des "mesures comme favoriser la mobilité sortante, établir des conventions bilatérales entre les établissements, travailler sur les maquettes des formations et l’obtention des crédits qui ne sont pas les mêmes en France et à l’étranger… auraient un impact direct. Au lieu de cela, "de nombreux sujets ne sont pas évoqués dans ce rapport, ce qui n'aide pas à se faire une idée précise de la stratégie à adopter", déplore-t-il.

En conclusion, les experts listent d’autres pistes à explorer : un ticket d’entrée à payer lors de la première inscription, l'exonération des droits pour les étudiants ressortissants des pays les plus pauvres ou la latitude, pour les établissements, de fixer eux-mêmes les frais différenciés.

"Le modèle français repose sur une singularité : l’exonération des frais de scolarité. On peut travailler sur la stratégie d’attractivité sans pour autant toucher au coût des études", martèle Stéphane Leymarie. Quant à la CPU, elle suggère dans son communiqué de lancer "une réflexion plus large sur l’attractivité de l’enseignement supérieur en France [afin qu’elle] permette réellement d’accueillir mieux les étudiants extra-communautaires."

Pauline Bluteau | Publié le