«Bologne show» en Belgique pour les dix ans de l’harmonisation européenne des études

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«Bologne show» en Belgique pour les dix ans de l’harmonisation européenne des études
©Université de Louvain, UCL // © 
Le processus de Bologne a 10 ans. Les 46 pays associés ont célébré cet anniversaire, les 28 et 29 avril 2009, à Louvain puis Louvain-la-Neuve, en Belgique. Derrière les avancées surtout symboliques d’harmonisation européenne des études, les difficultés sur le terrain et les insatisfactions des acteurs demeurent.

Célébré sous haute sécurité (quartier bouclé, barbelés, policiers et survol d’hélicoptère), le dixième anniversaire du processus de Bologne a débuté par une séance d’auto-congratulations dans la splendide bibliothèque universitaire de Louvain (en photo). Les délégations ministérielles des 46 pays associés ont jugé leur bilan globalement très satisfaisant. L’objectif de départ était de faire converger les différents systèmes d’enseignement supérieur et de créer un espace européen commun en la matière.

Un modèle… en dehors de l’Europe

Un succès qui en ferait même un modèle de coopération, pour d’autres régions du monde comme l’Amérique latine ou l’Afrique, comme les cite Jan Sadlak, «consultative member » pour l’Unesco. La participation d’une vingtaine de pays invités (de l’Australie aux Etats-Unis en passant par le Maroc, le Japon et le Brésil) à venir dialoguer lors de la conférence est un autre signe de cet intérêt manifeste des pays extra-européens. Mais le sommet interministériel est passé rapidement en revanche sur les limites ou échecs du processus. Car, comme le rappelle l’un des speakers, «ici, c’est le Bologne-show !».

Entre deux sessions, Jean-Marc Rapp, le président de l’Association européenne des universités (EUA), enfonce le clou. « Il est étonnant que le processus de Bologne soit un tel succès. Imaginez que 29 pays puis 46 collaborent ensemble sur la base de la seule volonté, et réussissent à réformer un système d’études qui concernent onze millions d’étudiants. D’ailleurs, les réactions les plus positives viennent hors d’Europe, par exemple des Etats-Unis. Il est peu probable que les gouverneurs des cinquante Etats américains arriveraient à un tel accord. »

ECTS, mobilité : des pratiques mal aisées

Au-delà du rapprochement des systèmes (convergence sur trois cycles, traduite dans le LMD en France, généralisation des crédits ECTS, etc.), sur le terrain le processus de Bologne semble beaucoup plus complexe à réaliser.

Comme le fait remarquer le sociologue Jean-Emile Charlier, professeur à l’université de Mons et spécialiste de Bologne, « si d’un point de vue idéologique, les objectifs sont atteints à 100 %, on en est encore loin pour les objectifs techniques» (interview dans La Libre Belgique, 28 avril 2009).

Tassement de la mobilité étudiante, difficulté à faire reconnaître des périodes d’études à l’étranger, grande diversité dans la définition des crédits ECTS d’un même pays (qui rend difficilement comparable le contenu des diplômes nationaux…) sont quelques uns des problèmes à régler.  

Bologne : cache-sexe des Etats ?

«Aucun pays n’a tenu de vrai débat national avec les ministres de l’Education sur le contenu et les objectifs du processus » dénonce l’un des étudiants qui participe au contre-sommet et manifeste sur le parvis de l’université de Louvain-la-Neuve. Pour Ligia Deca de l’European Student Union (ESU), les craintes de ces quelque 300 manifestants sont justifiées. «Certains pays utilisent le processus de Bologne pour faire passer leur propre agenda politique qui n’a pas grand chose à voir avec ses principes. Il y a une tendance forte à la privatisation de l’enseignement en Europe. »

Pour Monique Fouilhoux, secrétaire générale adjointe de l’Internationale de l’education (rassemblant 400 organisations nationales d’enseignants et personnels), « il y a une grosse insatisfaction des personnels qui ont fait beaucoup d’efforts sur le terrain et qui ne se sentent pas reconnus, ni au niveau personnel ni au niveau institutionnel.» La déléguée pronostique même un risque de désengagement des personnels, déjà visible par le recul des échanges Erasmus dans les grands pays européens. Face à ces difficultés, plusieurs participants insistent sur le fait de renforcer le système actuel plutôt que de commencer de nouveaux chantiers ou d’ouvrir le processus à de nouveaux partenaires.

20 % d’étudiants mobiles à l’horizon 2020

L’objectif de 20 % de mobilité d’ici à 2020 figure dans le communiqué final (à lire en anglais). Il apparaît comme l’un des engagements les plus emblématiques pour l’avenir du processus. Mais certains pays ont déjà exprimé leurs réticences. Le représentant russe déclare par exemple que si cet objectif est  très important « pour les universités et le système de transport » (sic), il n’est pas sûr que ce soit l’intérêt des entreprises et du marché.

De même, l’Estonie insiste sur la nécessité d’une mobilité « équilibrée », craignant de voir se développer de grands pôles d’attractivité aux dépens des petits pays. Ces derniers redoutent une fuite de leurs cerveaux, leurs jeunes partant étudier à l’étranger et restant après leur formation. Le représentant estonien estime donc préférable que chaque pays définisse son propre objectif de mobilité.

La dimension sociale (accès équitable à l’enseignement), la démarche qualité et le financement sont les autres points clefs du projet de communiqué final, ceux qui feront l’objet de la plupart des débats, de même que l’insistance sur la formation tout au long de la vie (lifelong learning). Par deux fois, le communiqué final mentionne que l’investissement public dans l’enseignement supérieur doit être la première des priorités des gouvernements. Une déclaration symbolique, à remettre dans le contexte de crise financière généralisée. Un petit écho aux doléances des étudiants manifestants ?


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