Ces entreprises qui ne veulent plus recruter en alternance

Sandrine Chesnel Publié le
Ces entreprises qui ne veulent plus recruter en alternance
Apprentissage : formateur et apprenti // © DR // © 
Qu’est-ce qui explique que certaines entreprises ne souhaitent pas, ou plus, s’investir dans les formations en alternance ? C’est la question qu’EducPros a posée aux développeurs de l’apprentissage. Il en ressort un kaléidoscope de justifications, parmi lesquelles le manque d’apprentis sérieux et motivés mais aussi la crise économique.

Crise, manque de temps et de personnel, mauvaise expérience : voilà quelles seraient donc les raisons avancées par les entreprises, petites ou grandes, qui ne font pas ou plus d'alternance. Un argumentaire qu'il n'a pas été possible de vérifier auprès des recruteurs puisque nous n'avons pas trouvé d'entreprise qui accepte de témoigner sur son absence de recrutement en alternance... Alors que l'actualité apporte chaque semaine son lot d'entreprises qui ferment, avouer qu'on ne recrute pas ou plus en alternance serait-il politiquement incorrect ?

Les chiffres de la DARES (Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques) confirment en tout cas la frilosité des entreprises. Sur l'année 2012, le nombre de nouveaux contrats s'est établi à 456.052, contre 468.229 en 2011, soit une baisse de -2,6%, tout types de contrats confondus.

Une mauvaise expérience fatale

"Une mauvaise expérience avec un apprenti, et c'est une entreprise qui ne veut plus entendre parler de formation en alternance pendant quelques années...". Pour Nathalie Charvet, coordinatrice emploi à l'AFT-IFTIM, c'est l'évidence : quand une entreprise ne veut plus recruter en alternance, c'est souvent parce qu'elle a eu à faire à un alternant trop dilettante ou pas suffisamment motivé. "C'est un argument que nous entendons nous aussi", confirme Estelle Bossé, chargé des relations entreprises dans l'Essonne pour la CCI Paris Ile de France. "Les recruteurs dénoncent le profil "zappeur" de certains jeunes d'aujourd'hui, leur manque d'investissement, et les libertés qu'ils se donnent, ajoute Mme Bossé. Autant de raisons qui expliquent le désamour de l'alternance dans certaines entreprises - notamment les plus petites -, dans lesquelles le fait de prendre un apprenti a un impact indéniable sur le rendement du salarié qui aura en charge le jeune, parce qu'il doit y consacrer du temps qui n'est pas directement 'rentable'".

Les recruteurs dénoncent le profil "zappeur" de certains jeunes d'aujourd'hui, leur manque d'investissement. (E. Bossé)

Le temps, c'est de l'argent

Le manque de temps et son corollaire, le manque de professionnels disponibles pour encadrer les jeunes alternants, voilà deux autres raisons qui expliquent pourquoi certaines entreprises ne vont pas ou plus recruter en alternance. "Accueillir un apprenti suppose un investissement en argent, mais aussi en temps, rappelle Rachid Hanifi, chef du département Formation et compétences de la CCI de Paris Ile de France. Dans les grands groupes adeptes de l'alternance, c'est une démarche naturelle. Dans les plus petites entreprises c'est plus compliqué".

Il faut prévoir du temps pour encadrer et accompagner le jeune, mais aussi du temps pour former le futur maître d'apprentissage, et aussi, avant même que le jeune soit dans l'entreprise, du temps pour le recruter. C'est ce coût en temps qui explique que certaines grandes entreprises "s'exonèrent" des alternants comme l'explique Estelle Bossé : "Elles font la balance entre le coût de l'encadrement et le montant de la pénalité à payer si elles n'atteignent pas leur quota d'apprenti. Et parfois arrivent à la conclusion qu'il est plus intéressant pour elles de payer une plus grosse pénalité". 

Dans le cas des entreprises artisanales, le départ à la retraite du maître d'apprentissage "habituel", ou la reprise de l'entreprise par un "jeune" qui n'a pas cette culture de l'alternance peuvent aussi expliquer un désinvestissement de l'entreprise de ce mode de formation.

La lourdeur administrative, une fausse excuse ?

Autre argument qui revient souvent aux oreilles des développeurs de l'alternance : la lourdeur organisationnelle et administrative liée à l'embauche d'un apprenti. "On peut les comprendre, justifie Stéphane Gouret, directeur du CFA de l'école du design, à Nantes. Quand une entreprise n'a jamais formé en alternance, elle peut être effrayée par la procédure pour qualifier le maître d'apprentissage, ou par les pièces qu'elles pensent avoir à fournir pour enregistrer le contrat". "Une fausse excuse" tranche Rachid Hanifi, pour qui le système d'enregistrement des contrats a été considérablement simplifié ces dernières années : "L'enregistrement en ligne simplifie la vie des petites entreprises qui n'ont pas de vrai service des ressources humaines. Et surtout les responsables d'entreprise doivent savoir qu'ils peuvent contacter les chambres de commerce et d'industrie, ou les chambres de métiers, pour les guider pas à pas dans cette démarche".

"C'est la crise"

Reste un argument que les jeunes à la recherche d'un contrat en alternance et les développeurs de l'apprentissage ont bien du mal à contrer : celui de l'absence de visibilité sur le carnet de commande et sur l'activité de l'entreprise. Un frein d'autant plus fort dans le cas de contrats en alternance longs, de 24 à 36 mois. "C'est vrai, la conjoncture économique actuelle fait que beaucoup d'entreprises ont du mal à s'inscrire dans le long terme" reconnaît Rachid Hanifi. La peur de s'engager auprès d'un jeune sans être certain de pouvoir le garder pendant toute la durée du contrat serait d'ailleurs, d'après tous nos témoins, la première raison évoquée par les recruteurs qui ne forment pas en alternance.

Sandrine Chesnel | Publié le