Christophe Michaut : "À l'université, 50 % des facteurs de réussite restent inexpliqués"

Laura Taillandier Publié le
Christophe Michaut : "À l'université, 50 % des facteurs de réussite restent inexpliqués"
Pour Christophe Michaut, une évaluation scientifique doit être adossée à la mise en place du Plan étudiants. // ©  Ian HANNING/REA
Quelle est aujourd'hui la réalité du taux d'échec en licence ? Comment expliquer le cap difficile de la première année ? Christophe Michaut, enseignant-chercheur et codirecteur du Centre de recherche en éducation de Nantes, décrypte les résultats de la recherche sur les facteurs de réussite à l'université.

Beaucoup de chiffres différents sur le taux d'échec en licence sont communiqués, selon que l'on regarde uniquement la première année ou le parcours global de l'étudiant… Quelle est, aujourd'hui, la réalité du taux de réussite à l'université ?

Difficile, en effet, de s’y retrouver. Tout dépend ce qu’on observe : les taux de réussite en première année, les taux d’obtention d’une licence ou d’un autre diplôme. Si l'on regarde le taux de réussite en première année, 40 % des nouveaux inscrits en licence accèdent en deuxième année, 30 % restent en première année et 30 % quittent l'université. Ensuite, tout dépend si l'on prend en compte la durée théorique d'obtention du diplôme ou si l'on s'intéresse aux parcours des étudiants sur quatre ou cinq ans. C'est une affaire d'appréciation.

Christophe Michaut, enseignant-chercheur et co-directeur du Centre de recherche en éducation de Nantes
Christophe Michaut, enseignant-chercheur et co-directeur du Centre de recherche en éducation de Nantes © DR

On peut avoir une vision pessimiste et retenir un premier chiffre : en France, 36 % des étudiants entamant une formation en licence réussissent à obtenir leur diplôme dans le délai théorique de trois ans, contre 40 % dans la moyenne de l'OCDE. On peut aussi être plus optimiste, en tenant compte des réorientations par exemple, et en considérant qu'il y a réussite quand l'étudiant décroche un diplôme, même si ce n'est pas forcément celui visé. Ainsi, 73 % des bacheliers 2008 inscrits en licence à l'université en sont sortis avec un diplôme de l’enseignement supérieur (un tiers de niveau bac +5 et un autre tiers de niveau bac +3).

Les taux de réussite sont-ils différents selon les disciplines ?

Au final, il y a peu de disparités selon les licences, même si l'on constate quelques écarts dans certaines filières, comme en AES (administration économique et sociale). Ces différences s'expliquent notamment par la composition scolaire de cette formation, où beaucoup d'étudiants viennent de baccalauréats technologiques et professionnels. Or, ces étudiants réussissent moins bien à l'université.

Le taux de réussite en licence n'évolue pas depuis de nombreuses années. Cela veut-il dire que rien n'a été fait pour l'améliorer ?

Effectivement, si l'on regarde les taux de réussite en licence dans une perspective historique, ceux-ci évoluent peu. Selon l'historien Didier Fischer, à la fin des années 1940, déjà moins de 30 % des inscrits en licence l'obtenaient. C'est difficile à expliquer : pourquoi, alors que les universités ont installé un certain nombre de dispositifs et de programmes, la réussite des étudiants ne s'améliore-t-elle pas ?

À la fin des années 1940, déjà moins de 30 % des inscrits en licence obtenaient leur licence.

On voit que le Plan réussite en licence de la ministre Valérie Pécresse a produit assez peu d'effet. Cela tient sûrement au fait que les dispositifs mis en place sont assez marginaux avec quelques heures seulement d'accompagnement des étudiants.

Cela signifie que le Plan étudiants, qui prévoit la mise en place de parcours adaptés, va dans le bon sens ?

Il faudra juger de la réalité de ces parcours. Certaines universités ont déjà instauré des dispositifs et ont pris de l'avance, quand d'autres le sont beaucoup moins. Il y a également un certain flou sur les moyens pour les mettre en place… Il devrait donc y avoir une grande variété de situations. On peut néanmoins imaginer que ces parcours devraient produire un certain effet. Il y a quelques années, des universités ont proposé à leurs étudiants de refaire, en cas d’échec, leur premier semestre dans la foulée. Ces licences en trois ans et demi ont produit quelques effets, mais seulement pour les étudiants qui n'étaient pas trop éloignés de la moyenne.

En revanche, ces dispositifs sont basés sur le volontariat et l'engagement des élèves. Et si j'ai bien compris le sens de la réforme, pour certains étudiants, l'entrée en licence sera conditionnée au suivi de ces dispositifs… Or, les recherches montrent que l'engagement des étudiants, qui se manifeste par une assiduité et un travail personnel conséquent, est un des facteurs de réussite.

Quel est le facteur de réussite le plus important : l'implication des étudiants ou le parcours du lycéen – notamment le type de baccalauréat préparé ?

On ne peut pas tirer de généralité. Tout dépend de la filière dans laquelle on s'inscrit. En Paces, les étudiants issus de bacs techno ou pro échoueront massivement. C'est un concours et le parcours est très sélectif… Mais ailleurs, les choses sont différentes. En sciences humaines et lettres par exemple, les chances de réussite des bacheliers technologiques sont plus élevées qu'en sciences. Sans doute parce qu'il y a moins de prérequis.

Mais les manières d'étudier jouent aussi un rôle. La part d'engagement personnel dans le domaine des sciences humaines et sociales a plus de conséquence qu'en sciences où c'est la scolarité antérieure qui est déterminante. En santé, non seulement il faut avoir un bac scientifique, mais mieux vaut avoir également décroché une mention.

Ce constat n'appuie-t-il pas, de ce fait, la mise en place d'attendus pour chaque formation ?

Oui, dans certains domaines. Le problème des attendus, c'est qu'une grande partie d'entre eux reposeront sur les résultats scolaires. Dans les faits, peu d'universités devraient sélectionner les étudiants sur leur investissement dans leur travail au lycée. La recherche n'a pas encore mis en lumière tous les facteurs de réussite des étudiants. 50 % d'entre eux restent aujourd'hui inexpliqués. Cette part manquante, importante, ne permet pas de tirer toutes les leçons de l'échec en première année. On pourrait par exemple se pencher sur les pratiques de notation des enseignants…

La recherche n'a pas encore mis en lumière tous les facteurs de réussite des étudiants.

On parle également beaucoup d'étudiants qui échouent faute d'avoir les codes de l'université. Qu'en est-il ?

Cet implicite est difficilement mesurable. Il a été mis en avant par des études qualitatives et non quantitatives, montrant une part de "non-dit", perturbante pour certains étudiants. Il peut s'agir d'un enseignant considérant que la dissertation est acquise au lycée alors que beaucoup ne sont pas encore à l'aise avec l'exercice. Ou un professeur de statistique qui considérerait que tous les élèves maîtrisent la règle de trois. En réalité, ce n'est pas le cas pour une partie des étudiants.

Comment expliquer les écarts de réussite dans le taux de passage en deuxième année entre les universités ? Y a-t-il un facteur "établissement" ?

On peut formuler deux hypothèses : soit les universités qui ont les meilleurs résultats sont celles qui ont mis une politique spécifique de lutte contre l'échec des étudiants, soit il s'agit d'universités davantage sélectives dans certains domaines. Il est très difficile de trancher. Il faudrait mettre en place un certain protocole s'appuyant sur les programmes, des tests standardisés… Or, les universités ne proposent pas les mêmes… Aujourd'hui, il n'existe pas d'enquête mettant en avant un effet "établissement".

Avec la mise en place du Plan étudiants, n'est-ce pas le bon moment pour réaliser de telles évaluations scientifiques ?

Cela me paraît indispensable. Le problème, c'est que les évaluations sont souvent pensées a posteriori alors qu'elles devraient l'être dès le départ afin de faire un suivi en continu des étudiants. Le retour que l'on demande aujourd'hui aux universités tient plus d'une évaluation administrative que scientifique. Des taux seront produits, mais sans forcément pouvoir les expliquer.

Vous évoquiez précédemment la stagnation du taux d'échec en licence. Les établissements accueillent aujourd'hui davantage d'étudiants au profil de plus en plus hétérogène. Finalement, la situation ne s'améliore-t-elle pas dans les universités ?

C'est vrai qu'il y a une plus forte hétérogénéité. Au final, on pourrait en effet considérer que l'université a réussi à éviter que la situation ne se dégrade pas.

Laura Taillandier | Publié le