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Cinq ans après emlyon, ICN Business School annonce l’ouverture de son capital

Sarah Nafti Publié le
Cinq ans après emlyon, ICN Business School annonce l’ouverture de son capital
ICN Business School, campus de Nancy // ©  ICN BS
ICN BS, école de commerce nancéenne, a annoncé cet été son entrée en négociation exclusive avec GEDU, un groupe d'enseignement privé britannique. Une décision motivée par un besoin d'investissements.

C'est une information estivale qui n'est pas passée inaperçue dans le monde des écoles de management. ICN BS, école de commerce située à Nancy, annonce son entrée en négociation exclusive avec GEDU, un groupe d'enseignement privé britannique, le 19 juillet.

"La situation de l'école est forte académiquement mais doit se renforcer économiquement", explique la business school, association de statut loi 1901 et liée à Mines Nancy et l’École nationale supérieure d’art et de design de Nancy dans l’alliance Artem, dans son communiqué de presse. L'offre de GEDU "est apparue comme portant le projet de partenariat le plus adapté aux besoins et ambitions d'ICN Business School".

Plusieurs axes de développement sont définis : création de nouvelles formations, développement des recrutements internationaux, renforcement de l'entrepreneuriat et des équipes "dont celles du marketing afin de pouvoir rivaliser avec la concurrence" et "commerciales, formation continue"…

Les raisons de l’ouverture du capital

Le choix d'ICN fait réagir les experts, même s'il intervient après le précédent d’emlyon, en 2019. Comme ICN, la plupart des business schools privées ont un statut associatif ou consulaire. Mais elles doivent répondre à des besoins d'investissement croissant, et ce, sans subvention publique.

"L'enseignement supérieur devient un métier capitalistique", constate Sébastien Vivier-Lirimont, fondateur et président du cabinet de conseil en stratégie Headway Advisory, qui conseille ICN.

Les institutions doivent à la fois répondre aux contraintes de l'entreprise - maîtrise des coûts, marketing - et à celles du domaine éducatif - excellence pédagogique, recherche, réglementation… 

"Certaines écoles de commerce misent sur l'expérience étudiante, en créant de nouveaux campus et on peut citer de belles réussites comme Skema à Suresnes ou Kedge à Marseille", détaille l'expert. Ces deux écoles, qui ont pu largement investir, sont également parmi celles comptant les plus importants effectifs étudiants.

Thomas Jeanjean, directeur général adjoint chargé de l'éducation à la CCI de Paris Ile-de-France et vice-président entreprises de la CGE (Conférence des grandes écoles), estime ainsi que la question de l'ouverture du capital se pose différemment selon la taille de l'établissement. Si les très grandes écoles ont des moyens d'investissement, "les écoles intermédiaires, elles, ont les mêmes coûts en termes de recherche, mais pas les mêmes ressources".

Pour grandir, elles doivent investir dans le corps professoral et atteindre la bonne taille critique. Car, "il va y avoir une lutte pour les candidats" au vu de la baisse démographique. "Quand le nom de l’école n'est pas très connu, il faut être identifié et donc avoir des moyens marketing". Voici l’opportunité que souhaite saisir ICN.

Le précédent de l'emlyon

Quand emlyon a ouvert son capital en 2019, sa principale motivation était de pallier la réduction importante des subventions de la CCI. Elle avait besoin de s'ouvrir à des investisseurs extérieurs "pour assurer le développement à l'international", explique son actuelle directrice générale, Isabelle Huault, en poste depuis septembre 2020.

À l'époque, le choix est innovant mais décrié. L’école prend le statut de société anonyme et accueille un premier investisseur, Qualium, qui a cédé ses parts à Galileo en 2022, permettant à l'école d'augmenter son capital.

Avec un budget de fonctionnement autour de 140 millions d'euros, l'arrivée de Galileo lui a permis de bénéficier d'une trésorerie de 50 millions d'euros supplémentaires. Emlyon a investi dans le numérique, l'immobilier et a aussi initié de la croissance externe, en acquérant, par exemple, une start-up britannique de l'éducation, la London Interdisciplinary School.

Maintenir la qualité académique et créer des partenariats

Pour Isabelle Huault, le succès de ce type d'opération "dépend de la nature de l'actionnaire qui entre au capital. Il faut le faire avec un partenaire qui partage votre horizon stratégique long terme, qui respecte votre singularité et votre ADN".

Car l'école doit conserver la valeur de sa marque, ce qui implique de promouvoir la qualité académique, les investissements en recherche, afin de maintenir toutes les accréditations et reconnaissances nationales et internationales. "Nous nous sentons soutenus dans notre stratégie où la priorité est l'excellence académique", précise-t-elle.

Cependant, cette stratégie a eu un coût important. En 2020, l'école s'était vue attribuer un grade master pour trois ans et non cinq ans, remettant en cause sa qualité académique. Un épisode aujourd'hui derrière elle, puisqu'elle a retrouvé son grade pour cinq ans à la rentrée 2023.

L'école de commerce lyonnaise estime aussi bénéficier d'autres avantages avec son actionnaire. L'école s'appuie ainsi sur l'expertise de Galileo sur certains métiers comme le marketing, la finance ou le digital, mais cet actionnaire est aussi "un levier pour hybrider" avec des écoles du groupe qui proposent des disciplines complémentaires. Cela permet d'ouvrir des doubles-diplômes comme cette année avec Strate, une école de design.

Parmi les priorités annoncées par ICN figure d’ailleurs "l'existence de synergies susceptibles de donner naissance à des doubles diplômes ou diplômes conjoints avec des universités ou écoles du groupe".

Reste que l'ouverture au privé soulève des inquiétudes, remarque Thomas Jeanjean de la CCI Paris Ile-de-France :  "Un fonds qui investit dans une école va vouloir toucher des dividendes ou revendre ses parts."

Le boom du privé lucratif

Le risque réside dans une possible "baisse de l'investissement dans la recherche" ou des choix "qui ne seraient plus dictés par la seule qualité pédagogique" mais dans le but d'augmenter un rendement. Avec l’émergence du privé lucratif, "c'est à l'État de réguler et de sanctionner les mauvaises pratiques- qui restent anecdotiques", estime Thomas Jeanjean.

Pour Sébastien Vivier-Lirimont de Headway Advisory, "ce n'est pas la nature de l'actionnaire qui est sujet à question mais son comportement". Or, "nous sommes à la fois dans un pays libéral et réglementé : c'est facile de créer un établissement, mais compliqué d'avoir l'autorisation de délivrer des titres ou des diplômes d'État".

Pour l'expert, "les agences [de l'État] font très bien leur travail de suivi et de contrôle". De quoi garantir la qualité des formations délivrées.

La question de la rentabilité des établissements

À emlyon, devenue une société anonyme de droit privée, la CCI conserve la majorité des parts (51%) mais, au conseil de surveillance, c'est Galileo qui dispose de la majorité des droits de vote.

"Les exigences de rentabilité sont très conformes à ce qui existe dans d'autres écoles de notre groupe stratégique, détaille Isabelle Huault. Nous devons assurer une bonne gestion pour dégager des marges de manœuvre qui permettent de réinvestir dans l'école".

Si les frais de scolarité ont augmenté comme dans beaucoup d'autres écoles, "c'est lié à l'inflation" et non au statut juridique. Dans les négociations menées avec GEDU, ICN a fixé comme priorités de garder "la liberté dans le choix des partenaires internationaux" mais aussi le respect et le maintien des équipes et "l'autonomie de gestion".

Sarah Nafti | Publié le