Classes prépa et l'X : l’enfer du décor

Séverine Tavennec Publié le
Classes prépa et l'X : l’enfer du décor
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« Classé X, Petits secrets des classes prépa ». Un ancien taupin passé par Polytechnique, Teodor Limann, en "repenti", revient avec ironie sur son expérience de la filière gagnante « Maths sup, Maths spé, Polytechnique ». Une réussite qu'il considère comme « un poison autant qu’une bénédiction ». Son livre, publié à la Découverte, sort en librairie le 2 avril 2009. Présentation et extrait.

« Mon histoire est des plus classiques. Fils de profs, bon élève, fort en maths, la question de savoir ce que je voulais faire de ma vie ne s’est jamais vraiment posée. « Maths sup, Maths spé, Polytechnique » disaient mes parents en plaisantant à demi lorsque j’étais au lycée »… Ainsi débute cet essai de Teodor Limann, destiné à devenir polytechnicien.
 
Certains élèves présentent des troubles maniaco-dépressifs

Ancien cadre dirigeant dans une grande entreprise, l’auteur âgé de 33 ans, revient donc dans cet essai, sur son parcours d’études. Il y pose plusieurs questions : « Pourquoi s’infliger l’épreuve de la prépa, le stress des concours ? », « Est-il normal de sacrifier ses meilleures années à la poursuite d’un diplôme, fût-il prestigieux ? »… Il nous fait ainsi entrer dans les coulisses du Lycée du Parc, à Lyon, où il intègre la classe de maths sup en septembre 1993. Il décrit notamment la dure période des concours où certains deviennent « brutalement taciturnes, insomniaques, ou obsessionnels ». D’autres présentent « des troubles maniaco-dépressifs ». Et d’ajouter que « chaque taupin connaît au moins un cas de suicide ou de tentative de suicide dans sa classe ou son lycée ».
 
« Tout ce qui peut concourir à diversifier le profil social des élèves est une bonne chose »

Dans cette description assez effrayante de ce milieu clos, l’auteur, avec le recul, s’autorise malgré tout quelques notes d’humour : « Chers parents, si vous croisez au milieu de la nuit votre enfant nu dans la cuisine, occupé à graver des équations avec un couteau de boucher sur la table à manger, dites-vous que la prépa n’est peut-être pas ce qu’il lui faut ».

Les mesures d’égalité des chances, comme l’ouverture d’une classe prépa réservée aux publics défavorisés à l’entrée notamment de l’ENA ? : « Tout ce qui peut concourir à diversifier le profil social des élèves est une bonne chose. Il faut sortir de cette puissance symbolique du concours et développer de plus en plus les voies parallèles. »

« En rentrant à Polytechnique, j’épousais un mythe »

La deuxième partie de son essai porte sur ses années à Polytechnique : « En rentrant dans cette école, j’épousais un mythe et le savais bien », raconte l’auteur. La vie y est plus sereine qu’en classes prépas. « Pendant deux ans, les élèves se voient offrir sur un plateau une vie pleine, faite d’escrime ou de plongée sous-marine, de relativité générale et de linguistique, de dîners chez Lasserre à moitié prix… Rien ne vient brider l’appétit intellectuel, social, sportif des étudiants ».

Les Polytechniciens cherchent en vain le mode d’emploi de l’existence

Et l’auteur de constater : « l’X livre sur le marché des gentilshommes généralistes, ignorant tout d’Excel mais dotés, comme le soulignent les recruteurs, d’un bon esprit d’analyse et de synthèse et d‘une soif d’apprendre… Ils deviennent ainsi de bons salariés, mais pas nécessairement de grands entrepreneurs ni de grands fauves des affaires et cherchent en vain le mode d’emploi de l’existence. »

« Je n’assumais pas réellement ce titre » 

Aujourd’hui, que reste-t-il à l’auteur, de toutes ces années d’études ? « La puissance de travail, la capacité à s’atteler à une tâche même quand elle est un peu ingrate », avoue-t-il. Mais de penser tout de même que « le prix à payer est trop fort ». Il nous confie qu’il a mis beaucoup de temps avant de pouvoir dire, sans craindre d’être outrecuidant, qu’il sortait de Polytechnique : « Dans l’imaginaire, l’X a une telle force que l’on porte cette étiquette. Je n’assumais pas réellement ce titre ». Avec ce diplôme, je me suis retrouvé à la direction financière d’un grand groupe en me demandant bien ce que j’étais venu y faire. »

Déjà auteur d’un ouvrage intitulé « Morts de peur. La vie de bureau », Teodor Limann, cadre dirigeant dans une grande entreprise pendant huit ans, s’offre depuis un an une parenthèse et aimerait continuer à écrire et à en vivre. Pour reprendre une citation du livre, comme disait de Gaulle : « Le plus difficile, ce n’est pas de sortir de Polytechnique, c’est de sortir de l’ordinaire. » 

Quiz : êtes-vous fils de prof ?

Extrait, en avant-première, de « Classé X, Petits secrets des classes prépas » de Teodor Limann.

« Quelle est donc cette culture « profs », à laquelle leurs enfants se reconnaissent immédiatement, reniflant les phéromones indubitables de l’Éducation nationale ? En exclusivité, voici un petit quiz qui vous permettra de découvrir si vous êtes, ou non, fils de profs :

1. Bien que déçu, vous continuez à voter PS ;
2. À choisir, vous préférez passer vos vacances dans le Finistère plutôt que sur la Côte d’Azur ;
3. Vous écoutez le plus souvent France Inter, rarement Europe 1, jamais RTL ;
4. On trouve dans votre discothèque le dernier album de Vincent Delerm, mais pas celui du Roi Soleil ;
5. Vous savez ce que signifient les sigles CAMIF, MAIF, RECTEUR, SGEN et PSU ;
6. Vous êtes déjà allé au moins une fois dans le Massif Central ;
7. Vous estimez qu’une voiture sert avant tout à se déplacer ;
8. Vous ne dites pas Le Nouvel Observateur, mais L’Obs, et pensez que Le Figaro est un opéra de Mozart ;
9. En deçà de dix semaines de vacances par an, vous êtes mal ;
10. Même si vous dites le contraire, vous seriez contrarié si votre enfant arrêtait prématurément ses études.

Si vous avez dix réponses positives, vous êtes la perle, mais aussi le cas le plus chargé : le double fils de profs par le père et par la mère. Entre huit et dix réponses positives, vous avez l’un de vos deux parents dans l’Éducation nationale, étant précisé que celle-ci se transmet, comme la judéité, davantage par la mère (l’institutrice compte double). En dessous de huit réponses positives, il faut vous rendre à l’évidence : vos parents n’étaient pas professeurs.

En ce qui me concerne, j’appartiens à la première catégorie. Mère institutrice, père professeur de mathématiques, devenu proviseur. L’Éducation nationale était une invitée permanente à table, alimentait nos conversations, les émaillait de ses acronymes. Sans pour autant qu’elle soit clairement exprimée, je ressentais l’importance capitale de l’école, que notre mode de vie contribuait à sanctifier encore davantage.

Les fils de profs ayant grandi à la campagne se reconnaîtront probablement dans ce portrait, sur lequel plane la tutelle symbolique de l’école, de manière d’autant plus écrasante que les autres influences de la vie sociale se font plus rares. L’école m’était tout, avec ma famille, et les deux se rejoignaient, se confondaient presque.

L’école entrait à la maison et la maison entrait à l’école. Comme cela arrive parfois dans les petites villes de province, je passai mon année de CE2 dans la classe de ma mère et, au lycée, manquai de peu mon père comme proviseur. Bref, j’étais perdu pour l’insouciance… »

Séverine Tavennec | Publié le