Casse-tête chinois : la méthode Kedge

Étienne Gless Publié le
Casse-tête chinois : la méthode Kedge
Kedge à Shanghai, cérémonie de diplomation du Global MBA fin 2014 // ©  Etienne Gless
Présente depuis 2002 en Chine, Kedge prévoit d'y réaliser un volume d'affaires de 7,8 millions d'euros en 2015. La business school française a commencé par proposer de l'"executive education" à Shanghai, avant de se lancer dans la formation initiale en partenariat avec des universités françaises. Retour sur la stratégie de l'école de management dans l'empire du Milieu.

"Be proud of your diploma !” Xijiao State Guest Hotel, Shanghai, 25 novembre 2014. Thomas Froehlicher, directeur de Kedge Business School, a revêtu sa toge rouge écarlate pour la cérémonie de diplomation des étudiants du Global MBA. Lancé par Kedge en partenariat avec Antai College of Economics & Management (la business school de l'université Jiao Tong de Shanghai), ce MBA figure à la 27e place du classement mondial du FT et à la première en Asie, où il compte déjà 760 diplômés : principalement des cadres chinois, prêts à débourser l'équivalent de 35.000 euros pour booster leur carrière.

La business school née de la fusion d'Euromed Marseille et de Bordeaux EM propose depuis plus de dix ans de la formation continue en Chine. Un marché très disputé. Dans un couloir de Jiao Tong University à Shanghai, le visiteur peut ainsi compter pas moins de cinq bureaux de business schools qui "chassent" les candidats à un MBA : ceux de Nanyang Technological University (NTU) de Singapour, University of Manchester (Royaume-Uni), UBC (University of British Columbia - Canada), University School of California (USC) et enfin de la française Kedge, qui a réalisé en 2014 un volume d'affaires en Chine de 6,9 millions d'euros (dont 5,5 millions d'euros avec ses programmes MBA) et prévoit d'en réaliser un de 7,8 millions d'euros en 2015.

Mais le marché prometteur est celui de la formation initiale. Kedge s'y est positionnée depuis 2010, sur le parc technologique de Suzhou. Située à 80 km de Shanghai, cette vitrine high-tech de la Chine du Sud accueille une centaine des 500 plus grandes multinationales et, côté enseignement supérieur, nombre d'établissements occidentaux : University of Liverpool (Royaume-Uni), Dayton University (États-Unis) ou Skema. Les deux business schools françaises nées de fusions ne sont distantes que de quelques carrés de pelouse et blocs d'immeubles à Suzhou. Mais leurs ambitions sont bien différentes. Skema a ouvert un campus pour dispenser des formations principalement à des étudiants de son programme grande école. Chez Kedge, au contraire, il s'agit principalement de former des jeunes managers chinois "à la française", même si certains élèves du programme grande école viennent ici passer un semestre de mobilité.

un partenariat avec montpellier 3 et paris 4

Depuis 2001 et son entrée dans l'Organisation mondiale du commerce, la Chine a ouvert son vaste marché de l'enseignement supérieur. En y mettant deux conditions : les écoles étrangères doivent s'associer avec un partenaire chinois et respecter des quotas d'étudiants. Pour faire sa place, Kedge s'est conformée à ces règles et a participé à la création d'un IFC (institut franco-chinois) sous l'égide de l'université du peuple de Chine de Pékin à Suzhou, avec les universités Montpellier 3 et Paris 4 - Paris-Sorbonne.

Les instituts franco-chinois de coopération universitaire sont des sortes de joint-ventures associant un consortium d'établissements d'enseignement supérieur français avec une université chinoise d'excellence : c’est-à-dire appartenant à la "liste 211" des 113 meilleures universités chinoises ou mieux à la "liste 985" des 38 meilleures universités du pays.

Ces facultés sino-françaises rattachées à des universités chinoises offrent des formations accréditées à la fois par l'État français et le ministère chinois de l'Éducation. Il existe cinq IFC aujourd'hui. "L'IFC Renmin de Suzhou est le seul qui ne soit pas dédié aux sciences de l'ingénieur", observe Jean-François Vergnaud, professeur des universités et doyen de l'IFC pour la partie française.

Ouvert à titre expérimental en 2010, accrédité par le gouvernement chinois en 2012, le campus de l'IFC de Suzhou accueillait fin 2014 quelque 734 étudiants chinois ainsi que 120 Français, dont une centaine d'étudiants de Kedge et une vingtaine d'étudiants de M1 des universités Montpellier 3 (master AES) et Paris 4 (master LEA).

"Ici les regroupements ça marche ! dit avec le sourire Jean-François Vergnaud. Nous avons su  associer deux universités et une grande école de commerce. Cet IFC prouve que la complexité de l'enseignement supérieur français ne se retrouve pas dans son action internationale à l'étranger."

 Cours de de sciences humaines à l'Institut franco chinois de Suzhou

L'IFC de Suzhou bénéficie d'un quota de 600 étudiants chinois par an, accordé par le gouvernement chinois, mais a volontairement limité son recrutement à 270 étudiants en 2014. Pour intégrer l'IFC, il faut être dans le 1% des meilleurs élèves au "gaokao", l'équivalent du baccalauréat. Et débourser près de 7.500 euros par an, contre près de 1.000 dans une université chinoise.

Vers un partenariat à Pékin dans les industries créatives

Fort de ses implantations en Chine, Thomas Froehlicher affiche déjà d'autres projets de développement : après Shanghai et Suzhou, le patron de Kedge s'apprête à signer un accord de coopération avec la prestigieuse École centrale des beaux-arts de Pékin dans le domaine des industries créatives. Probalement sous la forme d'un nouvel institut franco-chinois. Reste pour la business school à trouver de nouveaux partenaires universitaires français.

Cinq instituts franco-chinois
Le premier IFC, Centrale Pékin, a été créé en 2004 par le groupe des écoles centrales et l'université d'aéronautique et d'astronautique de Pékin (université Beihang). 

Trois autres IFC ont suivi, tous dédiés aux sciences de l'ingénieur. En 2007 ouvrait l'Institut sino-européen d'ingénierie de l'aviation de Tianjin (Siae), qui regroupe des écoles aéronautiques (Enac, Ensma, Isae) et l'université de l'aviation civile de Chine. En 2010, était créé à Canton l'IFCEN, dédié à l'énergie nucléaire : côté français, on trouve Grenoble INP, Mines Nantes, Chimie Montpellier, Chimie ParisTech, CEA-Instn ; et côté chinois, l'université nationale Sun Yat-sen (Sysu). En 2012, les établissements de Paris Tech (Polytechnique, Mines ParisTech, Ensta, Télécom ParisTech) se sont installés dans l'université Jiao Tong (SJTU) de Shanghai.

L'IFC Renmin de Suzhou, dont Kedge BS est partenaire, a été inauguré officiellement en 2012. Il est le seul dédié aux sciences humaines.

Étienne Gless | Publié le