Pour contrer le bizutage, Arts et Métiers met fin à la "période de transmission des valeurs"

Laura Makary Publié le
Pour contrer le bizutage, Arts et Métiers met fin à la "période de transmission des valeurs"
Cette tradition, censée souder les promotions d'Arts et Métiers, est désormais interdite. // ©  Stefan Meyer
La direction de l'école d'ingénieurs a décidé de mettre fin définitivement à la période d'intégration appelée PTV. Cette décision intervient alors que des sanctions disciplinaires ont été prises à l'encontre d'élèves, suite à des dérives constatées sur le campus d'Angers à l'automne dernier.

La nouvelle est tombée vendredi 12 janvier 2018 : la direction générale d'Arts et Métiers a annoncé avoir pris "la décision de mettre fin définitivement à la période de transmission des valeurs". Cette période d'intégration, également appelée "usinage", censée rapprocher et souder les élèves ingénieurs fraîchement intégrés, est désormais interdite. Notamment à la suite d'un événement datant d'octobre 2017, et rapporté par la presse deux mois plus tard : sur le campus d'Angers, lors d'une soirée, 16 étudiants de première année ont été tatoués de chiffres sur les bras, à vif, avec des cuillères brûlantes.

Des sanctions disciplinaires pour les élèves fautifs

La direction de l'école explique aujourd'hui que le conseil de discipline "a sanctionné à l'unanimité l'ensemble des élèves concernés", allant "de l'avertissement jusqu'à six mois d'exclusion". "Malgré les mesures d’encadrement prises par mon prédécesseur au cours des trois dernières années, cette période donne lieu à des dérives potentiellement dangereuses et qui ne sont pas admissibles dans notre établissement", déclare Laurent Champaney, directeur général de l'école, dans le communiqué transmis par Arts et Métiers.

L'établissement estime, dans ce même document, que ses valeurs "ne peuvent plus être transmises dans un cadre daté et occulte, mais dans un cadre de vie étudiante partagé, articulé avec son projet de formation et résolument ouvert au service de la société". Reste à voir comment la Société des ingénieurs Arts et Métiers, sa puissante association des anciens, réagira à cette interdiction. Contactée par EducPros, l'association d'alumni n'a pas encore répondu à nos sollicitations.

Des rapports de l'IGAENR depuis vingt ans

Cette décision est l'issue d'un feuilleton qui dure depuis plusieurs années. Dès 1999, un rapport de l'IGAENR (Inspection générale de l'administration de l'Éducation nationale et de la Recherche) est consacré au sujet. Alors dévoilé par “Libération”, le document constate que, malgré la loi de 1998 interdisant le bizutage, celui-ci a survécu à Arts et Métiers, à l'époque encore appelée l'Ensam.

Seize ans plus tard, en 2015, l'Inspection publie de nouveau un "Rapport sur la période dite de 'transmission des valeurs' et sur les manifestations étudiantes à l'ENSAM". Le document, d'une centaine de pages, détaille le déroulement de la "PTV" sur les différents campus de l'école publique. Il liste alors six recommandations à l'égard de la direction d'Arts et Métiers, dans le but de restreindre dans le temps et d'encadrer davantage cette période de transmission des valeurs.

L'année suivante, l'IGAENR rédige un nouveau rapport, dévoilé par EducPros en février 2016. L'inspection estime alors que la direction a fait des efforts pour appliquer ses recommandations, mais met surtout en avant le poids hégémonique de la société des anciens, la Soce, dans le fonctionnement et la gouvernance de l'école.

Un chantier délicat sur la puissance des anciens

Alors ministre de l'Éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, estime, toujours dans les colonnes de “Libération” qu'il "n'existe pas de bizutage bon enfant" : "Être réveillés en pleine nuit, alignés dans la cour, hurler des chansons paillardes, rester accroupis sous les hurlements des anciens… On a du mal à voir ce que ces activités peuvent véhiculer comme valeurs ou en quoi elles contribuent à former un ingénieur", déclare-t-elle au quotidien.

Se lance dès lors un chantier délicat à Arts et Métiers, dont l'objectif est de réduire le poids de ses anciens dans son conseil d'administration. À l'issue de longues tensions entre direction et société des anciens, les nouveaux statuts de l'établissement sont publiés en juillet 2016. Quelques mois plus tard, en février 2017, l'école d'ingénieurs change de direction : Laurent Champaney succède à Laurent Carraro, ce dernier n'ayant pas souhaité briguer un second mandat.

Alors que le climat semblait plus apaisé depuis quelques mois au sein de l'école, cette volonté de la direction générale risque de créer de nouvelles tensions en interne, tant la PVT est inscrite dans les ADN de l'école et du corps des Gadzarts. Au-delà de la déclaration d'intention, reste donc à savoir comment et quand cette décision va se traduire sur le terrain.

Laura Makary | Publié le