Crise économique : les universités américaines dans la tourmente

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Crise économique : les universités américaines dans la tourmente
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Les finances des universités américaines sont au plus bas. La prestigieuse université d'Harvard prévoit ainsi une diminution de son capital de 30%, soit près de 10 milliards d’euros. Avec elle, l'ensemble des universités américaines est touché de plein fouet par la crise financière et économique. Les frais d’inscription et de scolarité ont enregistré en octobre 2008 une hausse allant de 4,5 à 6,5% par rapport à la rentrée précédente. Endettés pour les deux tiers d'entre eux, les étudiants américains voient s'accumuler les difficultés. Retour sur le paysage complexe de l'enseignement supérieur américain en temps de crise, vu de l'ambassade de France aux Etats-Unis (Washington DC). Un texte signé Pascal Delisle, attaché culturel, et sa collègue Florence Barnier.

« Selon deux rapports annuels publiés par le College Board mercredi 29 octobre 2008,Trends in College Pricing 2008 et Trends in Student Aid 2008 , le coût de l'enseignement supérieur aux Etats-Unis a augmenté entre 4,5% et 6,5% en dollars courants l'an passé selon les catégories d'institutions concernées.

Un accès aux universités publiques et privées de plus en plus cher

Les frais d'inscription et de scolarité moyens dans les universités publiques offrant un cursus sur quatre ans ont enregistré une hausse de 6,4% par rapport à l'année universitaire 2007-2008, pour atteindre 6 585 dollars pour un étudiant résidant dans l'état où se situe l'université. Quant aux étudiants résidant en dehors de l'état, ils doivent s'acquitter en moyenne d'un montant de 14 .752 dollars pour l'année universitaire 2008-2009, ce qui représente une hausse de 5,2% par rapport à l'année précédente.

Les établissements d'enseignement supérieur offrant une formation en deux ans (community colleges), ont eux aussi vu leurs frais d'inscription et de scolarité augmenter par rapport à l'année 2007-2008. Ces frais sont passés de 2.294 dollars à 2 402 dollars en moyenne, soit une croissance de 4,7%. Les universités privées n'ont pas été épargnées par cette tendance à la hausse puisque les frais d'inscription et de scolarité s'élèvent en moyenne à 25.143 dollars, soit une augmentation de 5,9% sur un an.

L’inflation compense en partie cette augmentation des frais

Dans un contexte d'inflation largement non anticipée, ces augmentations de droits d'inscription se sont cependant révélées, contrairement à la décennie précédente - qui avait vu les droits d'inscription croître plus de trois fois plus vite que l'inflation- largement compensées par l'inflation.

Une fois corrigé de l'inflation, qui s'élève à 5,6%, le taux de croissance du coût des études pour l'année universitaire 2008-2009 est en effet bien plus modéré, voire négatif dans le cas des community colleges avec une baisse de 0,8% alors qu'ils ont augmenté respectivement de 0,7 et 0,3% dans les autres universités publiques et dans les établissements privés. Il faut également souligner que ces tendances générales masquent de nombreuses disparités entre les institutions d'une même catégorie ainsi qu'au sein d'une même institution selon les secteurs et les niveaux d'études.

Les bourses et prêts au secours des étudiants américains

L'année 2007-2008 a également vu l'aide financière (bourses et prêts) disponible croître sensiblement et limiter l'effet de ciseaux (droits d'inscription croissant plus vite que les revenus) dans lequel se trouvent les étudiants des milieux modestes, puisque après inflation, le montant total (prêts fédéraux et bourses d'études cumulés) accordé à un étudiant a augmenté de 5,5% pour l'année universitaire 2007-2008.

Ainsi, les frais d'inscription et de scolarité nets pour un étudiant inscrit dans une université publique s'élevaient à 2 900 dollars en moyenne l'an passé, soit une réduction de quelque 3.700 dollars par rapport au coût affiché. Les frais à la charge de l'étudiant passent en moyenne de 2.402 à 100 dollars pour les community colleges et de 25.100 à 14.900 dollars pour les universités privées.

Une inégale répartition des aides financières

Sur le moyen terme cependant, l'aide financière, bien que croissante, n'a pas compensé l'augmentation du coût des études au regard des revenus des ménages les plus modestes puisqu'en 2007, les droits d'inscription et de logement, une fois retranchée l'aide financière, représentaient 55% du revenu des 10% de ménages les plus pauvres contre seulement 39% en 2000.

Une analyse plus poussée des bénéficiaires de l'aide financière, tel que souligné par les rapports du College Board met de surcroît en lumière la répartition inégale de l'aide financière accordée aux étudiants et à leurs familles. En effet, de très nombreuses bourses d'études sont accordées aux meilleurs étudiants ou aux étudiants athlètes très majoritairement issus de familles aisées, ce au détriment des étudiants issus des familles à bas revenu.

Les ménages les plus modestes touchés de façon disproportionnée

Plus fondamentalement la question de l'inégal accès à l'université trouve sa source dans la répartition de plus en plus inégale des revenus dans la société américaine. Entre 1977 et 2007, le revenu moyen par famille a augmenté de 3% (+ 463$ en dollar constant) pour les 20% les plus pauvres de la population américaine, de 22% (+ 11.275$) pour les 20% appartenant à la classe moyenne, et de 86% (+ 146.650$) pour 5% les plus aisées.

Il va sans dire que la hausse de l'inflation l'an passée, puis la récession actuelle touchent de façon disproportionnée ces foyers à bas revenu et vont limiter plus encore leur accès aux études supérieures. En effet, ce ne sont pas seulement les frais d'inscription et de scolarité qui grèvent le budget des étudiants et de leurs familles mais aussi les innombrables et très onéreux coûts annexes (logement, fournitures scolaires, nourriture, etc.).

Côté université : une réduction substantielle des financements

Dans ce contexte économique difficile, la réaction des universités à la crise financière risque de rendre plus aigue encore cette question de l'accès à l'éducation supérieure, et ceci pour deux raisons. Tout d'abord, avec la récession, l'augmentation mécanique de la proportion d'étudiants provenant de familles en difficulté financière va entraîner l'augmentation de la demande d'aide financière à l'égard des universités, qui devront répartir cette aide entre davantage d'étudiants sauf à réévaluer leurs droits d'inscription pour faire face à la pression budgétaire.

Ensuite, les universités doivent faire face à une réduction substantielle de leurs financements privés et/ou publics, proportionnellement au total des coûts, réductions dont on commence seulement à voir l'ampleur. Ainsi, au-delà même de la réduction des donations faites aux universités privées comme publiques, les universités voient fondre les revenus de leur capital dans un contexte de crise financière aigüe, à l'image d'Harvard.

Capital d’Harvard : une baisse de 10 milliards en perspective

A l'été 2008, Harvard disposait d'un capital record de quelque 37 milliards de dollars, dont le taux de croissance était déjà passé de 23% pour l'année scolaire 2006-2007 à seulement 8,6% pour l'année 2007-2008. C'est aujourd'hui à une réduction de l'ordre de 30% (en valeur de marché) de son capital qu'elle s'attend, soit près de 10 milliards. Il en va de même des universités moins dotées. Quant aux universités publiques, si elles reçoivent des fonds publics de plus en plus élevés destinés à l'aide financière, les montants qu'elles peuvent octroyer par étudiant sont en baisse du fait de la hausse plus forte encore du nombre d'étudiants.

Au total, c'est donc à un resserrement de l'accès à l'enseignement supérieur que l'on peut s'attendre aux Etats-Unis ainsi qu'à l'aggravation de la situation financière des étudiants. La réduction de l'aide financière accordée à chaque étudiant, ajoutée à la hausse des droits de scolarité et du coût de la vie contraint les étudiants et leurs familles à s'endetter de plus en plus et sur une période de plus en plus longue.

Deux tiers des étudiants américains endettés

Selon un rapport publié par le Project on Student Debt (association à but non lucratif qui s'engage en faveur de l'accès à l'éducation supérieure) plus des deux tiers des étudiants sont aujourd'hui endettés au moment où ils reçoivent leur diplôme alors qu'en 1993, ils ne représentaient même pas la moitié des jeunes diplômés. Le montant moyen de la dette contractée est lui aussi en augmentation puisqu'il est passé de 9 250 dollars en 1993 à 22.000 dollars en 2007, soit une hausse de 63% après correction de l'inflation.

Une question est également posée pour les universités françaises ainsi que pour les autres institutions travaillant avec les Etats-Unis : dans quelle mesure les difficultés financières des universités et des étudiants américains limiteront leur capacité à développer des coopérations et programmes de mobilité avec leurs homologues étrangers ? Il est sans doute encore trop tôt pour l'évaluer mais cela est sans aucun doute une question à surveiller de près pour les responsables universitaires français. »

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