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Dans les universités de la vague E, les évaluations du Hcéres suscitent des réactions

Malika Butzbach Publié le
Dans les universités de la vague E, les évaluations du Hcéres suscitent des réactions
Le Hcéres a émis des avis négatifs pour de nombreuses formations universitaires de la vague E. // ©  Frederic MAIGROT/REA
Les pré-évaluations du Hcéres concernant les licences et masters des établissements de la vague E comportent plus de 25% d’avis négatifs. Alors que l’institution plaide une mauvaise compréhension, des questions demeurent quant au processus d’évaluation des formations.

C’est une institution peu habituée à la médiatisation. Pourtant, le Hcéres (Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur) est dans la tourmente depuis plusieurs semaines.

Mi-février, les universités de la vague E ont reçu les pré-rapports d’évaluation et les personnels ont été choqués par la proportion d’avis défavorables ou réservés pour leurs formations de licence et master. "Il est difficile d’avoir un taux précis, mais l’on sait qu’il est supérieur à celui des autres vagues", explique Caroline Mauriat, co-secrétaire générale du Snesup-FSU.

Selon France Universités, plus de 25% des formations évaluées auraient reçu un avis défavorable. Ce taux monte à 80% pour les BUT et licences professionnelles.

De son côté, la présidente du Hcéres, Coralie Chevallier, nommée début mars, après le début des polémiques, plaide une mauvaise compréhension, insistant sur les effets d'une simplification mise en place pour cette vague.

"Le mot 'avis' n’aurait pas dû être employé, reconnaît-elle dans Mediapart. Pour les autres vagues, entre le moment où l’on donnait le point d’alerte (ou d’attention) et l’avis, les choses ont bougé dans l’immense majorité des cas. Pour cette vague-ci, c’est certain que cela va bouger aussi. Des choses n’ont pas été comprises, et nous avons notre part de responsabilité."

L’évaluation est une étape nécessaire dans le processus d’accréditation des diplômes nationaux : tous les cinq ans, les formations des établissements sont évaluées par le Hcéres, une instance indépendante. Les universités sont réparties par vagues, la vague E comprend les établissements d’île-de-France (hors Paris), ceux du Nord de la France et ainsi que l’université de Mayotte et celle de La Réunion.

"Il y a une inquiétude des collègues sur le fait que ces avis négatifs impactent l’existence des formations", explique Caroline Mauriat.

Dans Le Monde, plus de 300 enseignants-chercheurs en philosophie ont signé une tribune, le 6 mars, dénonçant la remise en cause de leurs formations."Cela signifie que, si rien n’est fait, et si le ministère et les présidences des universités suivent cet avis du Hcéres, la quasi-totalité des diplômes nationaux de philosophie délivrés depuis des décennies par les universités situées sur le quart nord de la France auront disparu en septembre 2026", écrivent les signataires.

Entre critères inadéquats et soupçons de fraude

En réaction à ces pré-rapports, des questions se posent quant aux critères retenus pour l’évaluation, note Stéphane Bonnery, enseignant chercheur en sciences de l’éducation à Paris-VIII. "On nous parle de taux de réussite, sans parler de la plus-value. Et on évoque la mobilité internationale, sans prendre en compte que pour les étudiants accueillis, qui sont le plus souvent issus de milieux populaires, cela implique un trop gros effort financier."

Cette absence de prise en compte de la spécificité des formations est également évoquée par l’Adiut (Assemblée des directeurs d'IUT) dans un courrier adressé au Hcéres. L’association constate également que des "écarts significatifs" dans les évaluations sont apparus en fonction des comités d’experts et regrette "que le Hcéres ne se soit pas suffisamment assuré de l’homogénéité des évaluations".

Des membres de la communauté universitaire évoquent également des soupçons de fraudes concernant cette vague d’évaluation. Alors que les rapports sont rédigés par des experts, souvent des enseignants-chercheurs missionnés par le Hcéres, la synthèse et l’avis final sont rédigés par les présidents de chaque comité.

"On a vu des rapports nuancés, avec beaucoup de positif, donner lieu à des avis défavorables. Ce qui interroge", explique Caroline Mauriat du Snesup-FSU. "Plus largement, c’est l’absence de transparence du processus et de l’institution qui choque les collègues". Si des questions peuvent se poser, " je ne crois pas en une volonté politique ou un scandale caché. Mais il faut s’en assurer", indique Gilles Roussel, président de l’université Gustave Eiffel et porteur de la parole des présidents d’établissements de la vague E.

France Universités demande un moratoire sur les avis de la vague E

Dans un courrier du 4 mars, France Universités demande à la présidente du Hcéres de "ne pas publier ces avis en l’état afin de permettre aux établissements de répondre de façon précise aux observations qui leur sont faites". De plus, "au-delà de la vague E, une réunion de travail s’impose pour préparer l’avenir", écrit Lamri Adoui, président de l’université de Caen et membre du bureau.

Des discussions ont d’ores et déjà lieu entre l’association et l’institution. Pour Gilles Roussel, il faut maintenant travailler "pour sortir de cette crise par le haut". "Sans remettre en cause le fait qu’il faille évaluer les formations des universités, il faut s’interroger sur le processus global". Le président de l’université Gustave Eiffel avance l’idée d’accréditer les établissements par grands domaines en laissant une plus large auto-évaluation des formations, "afin que les universités s’emparent et s’approprient cette évaluation".

Car c’est sans doute ce qui a le plus manqué dans cette procédure : la dimension humaine. "Le plus dommageable dans cela, c’est que les avis du Hcéres ont réellement heurté des enseignants-chercheurs et des personnels qui s’impliquent énormément dans leur travail, pour leurs étudiants et leurs formations", observe Gilles Roussel.

Une réflexion que partage Caroline Mauriat du Snesup-FSU : "les évaluations ont été perçues comme punitives par les collègues qui, malgré le sous-financement chronique de l'enseignement supérieur public, s’investissent corps et âme pour que fonctionnent les universités." Cette blessure, encore à vif, risque de mettre longtemps à cicatriser.

Malika Butzbach | Publié le