Delphine Gassiot-Casalas : "Le risque de recours lié à Parcoursup nous paraît limité"

Laura Taillandier Publié le
Delphine Gassiot-Casalas : "Le risque de recours lié à Parcoursup nous paraît limité"
Lors de ses Journées nationales le 12 septembre dernier, le réseau des responsables des affaires juridiques de l’enseignement supérieur Jurisup s’est penché sur les conséquences et risques de contentieux que Parcoursup fait courir aux universités. // ©  plainpicture-masko
Parcoursup a-t-il engendré un surcroît d'activité au sein des services juridiques des universités ? Alors que la réforme a marqué le déplacement de la responsabilité du rectorat vers les établissements, la présidente de Jurisup, Delphine Gassiot-Casalas, dit ne pas craindre de recours massif de la part des étudiants.

Comment le réseau Jurisup fonctionne-t-il ?

Notre réseau de professionnels existe depuis plus de treize ans déjà. Il a été créé par la signature de conventions cadres entre l'université qui l'héberge et ses membres. Nous comptons aujourd'hui 147 membres, toutes les universités mais aussi des grandes écoles, des grands établissements, des Comue…

Delphine Gassiot-Casalas, directrice des services juridiques de l'université de Bordeaux et présidente de Jurisup
Delphine Gassiot-Casalas, directrice des services juridiques de l'université de Bordeaux et présidente de Jurisup © Delphine GASSIOT CASALAS

La mise en place de ce réseau est venue répondre à un besoin des juristes dans l'enseignement supérieur. À l'époque, il n'y avait pas de service juridique dans les universités et quand il y avait un juriste, ce dernier était très isolé, sans formation idoine pour lui permettre de mettre le pied à l'étrier. L'objectif a donc été de créer un réseau pour partager les bonnes pratiques.

Notre forum compte aujourd'hui plusieurs centaines de questions sur notre activité au quotidien ou des réponses du ministère. Nous avons aussi constitué une base contentieuse il y a trois ans, en lien avec la CPU (Conférence des présidents d'université). Les décisions des tribunaux ne se trouvent nulle part.

Nous assurons aussi tout un panel de formations, en lien avec la Dgesip (Direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle), l'ESENESR (École supérieure de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche), l'Amue (Agence de mutualisation des universités et établissements) ou encore l'IGAENR (Inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche).

Le 12 septembre, vos journées nationales se sont ouvertes par une table-ronde sur Parcoursup. Quelles sont les conséquences de cette réforme sur les services juridiques des universités ?

Il y a quatre ans, il n'y avait pas de sélection à l'université, et depuis, tous les ans, une nouvelle réforme rajoute une pierre à l'édifice : en M2, en M1, puis maintenant en première année de licence. Nous sommes passés à une université qui sélectionne "ou oriente fortement" à tous les étages.

Pour les services juridiques, Parcoursup signifie un déplacement de la charge de la gestion de l’affectation des lycéens. Si, auparavant, c'était le rectorat qui gérait ce type de contentieux, cette responsabilité est aujourd'hui celle des universités, qui auront également à traiter ces recours portés par les étudiants.

Nous sommes passés à une université qui sélectionne ou 'oriente fortement" à tous les étages.

Craignez-vous un nombre important de recours ?

Le principal point d'attention qui ressort de nos journées nationales est effectivement une inflation des contentieux. Même si, à ce jour, le risque de recours lié à Parcoursup nous paraît tout de même limité, il n'est pas impossible que les établissements comptant un grand nombre de filières en tension ou ceux déjà habitués à traiter beaucoup de contentieux connaissent un accroissement de leur volume de recours liés à la plate-forme.

Et ce, d'autant plus que certains avocats se sont spécialisés sur ce créneau… Nous n'y couperons pas, mais difficile de dire dans quelle mesure. Nous le découvrirons cette année.

Dans les universités, qui est chargé de répondre aux demandes de justification des refus par les candidats ? Quel encadrement les services juridiques apportent-ils ?

Classiquement, les services de scolarité sont en première ligne. Les services juridiques interviennent auprès d'eux en amont et à leur demande pour la préparation des modèles de décision.

L'objectif est que les unités de formation disposent d'un argumentaire sur le droit applicable, et notamment sur son application au cas précis de l'étudiant. Les réponses apportées aux candidats doivent être bien motivées : c'est notamment sur ce point que les avocats s'appuient pour attaquer.

La sélection en master a-t-elle généré beaucoup de recours ? Quels enseignements en tirez-vous ?

Il est vrai que la sélection en master a généré des contentieux, mais ceux-ci ont été bien anticipés et gérés avec l'appui des services juridiques, qui rédigent les mémoires en défense et qui représentent l'université devant le tribunal administratif.

Nous sommes rôdés, mais ça ne veut pas dire que l'on gagne toujours. En revanche, ces recours nous auront permis de sensibiliser les établissements sur l'importance de motiver leurs refus dans le cadre de Parcoursup. Tous les acteurs universitaires ont été sensibilisés au risque juridique.

Ces recours nous auront permis de sensibiliser les établissements sur l'importance de motiver leurs refus dans le cadre de Parcoursup.

La seconde partie de vos journées était consacrée à la réforme de la politique de site. Quel regard portez-vous sur le projet d'ordonnance ?

Nous ne sommes pas entrés dans l'analyse détaillée du projet, mais nous n'avons aucune crainte particulière sur la rédaction du texte en lui même. Le projet est très audacieux et ouvre la voie à un changement culturel dans les établissements.

Au cours de notre colloque, les échanges ont fait émerger l'importance d'associer les directions juridiques à la rédaction des projets des établissements dans le cadre de l'application de cette ordonnance, dont nous n'avons pas encore la certitude qu'elle ne sera pas encore modifiée.

En revanche, les établissements qui iraient "loin" dans l'utilisation des marges de manœuvre offertes vont certainement s'exposer à des contentieux... qu'ils ne perdront pas nécessairement. Certains syndicats communiquent déjà sur le risque pour la démocratie universitaire. Le projet d'ordonnance permet à "un établissement de regrouper en son sein d'autres établissements composantes".

La réaction des instituts et écoles de type L.713-9 va être intéressante à cet égard. Les contentieux peuvent surgir de partout : représentants du personnel, organisation étudiante… Comment, localement, les présidents d'université mettront-ils en avant les intérêts de la réforme afin d'éviter les levées de bouclier ? C'est ce que nous observerons attentivement.

Néanmoins, si les projets sont bien préparés, en collaboration avec les services juridiques et la DGESIP, il n'y a pas de raison de craindre ces contentieux. D'ailleurs, le rôle du service juridique n'est pas d'éviter le contentieux mais de bien préparer le terrain en amont pour gagner en cas de recours.

Laura Taillandier | Publié le