Didier Kling (CCIP-IDF) : "Nous allons proposer à des acteurs privés de rentrer au capital de nos écoles"

Cécile Peltier - Mis à jour le
Didier Kling (CCIP-IDF) :  "Nous allons proposer à des acteurs privés de rentrer au capital de nos écoles"
Sur les 19 écoles de la CCI-IDF, 5, dont HEC, ne sont pas à l’équilibre. // ©  HEC
Face à la raréfaction de ses ressources, la chambre de commerce et d’industrie Paris-Île-de-France a voté le 5 juillet 2018 un plan de réorganisation de ses missions. Avec, en matière de formation, l’ouverture du capital de ses écoles, transformées en filiales, à des acteurs privés. Détails avec son président, Didier Kling.

La CCI Paris-Île-de-France, réunie en assemblée générale extraordinaire, a adopté le 5 juillet 2018 une délibération visant à "déterminer un nouveau modèle d’intervention stratégique". Quel est le statut de ce texte, et pourquoi intervient-il maintenant ?

Nos écoles, pensées à l’origine avec une mission de service public, puis une mission d'intérêt général, relèvent quasiment aujourd’hui du secteur marchand. Nos chambres n’ont cessé, ces dernières années, de voir leurs ressources fiscales s’amenuiser. Plutôt que de subir chaque année un nouveau coup de rabot, nous avons décidé de prendre les devants et de nous organiser.

Didier Kling, président de la CCI Paris-Ile-de-France
Didier Kling, président de la CCI Paris-Ile-de-France © F. Daburon / CCIP

Dans chaque domaine, nous allons redéfinir nos missions et diversifier nos sources de revenus, en allant chercher des ressources d’ordre privé, avec l’objectif de découpler l'activité enseignement de la ressource fiscale.

Quelles seront les conséquences à court terme pour vos établissements d’enseignement supérieur ?

Sur nos 19 écoles, 5, et pas des moindres, ne sont pas à l’équilibre : HEC, l'Essec, l’ESCP Europe, l’Esiee et Ferrandi. Les trois grandes écoles de management parce qu’elles recrutent sur le marché international des enseignants-chercheurs aux prétentions salariales élevées. Dès la fin de l’année 2017, nous nous sommes mis d’accord avec elles sur un plan de sortie à trois ans : la chambre va leur verser 30 millions d'euros de subventions en 2017-2018, 20 millions en 2018-2019, 10 millions en 2019-2020 et zéro à l’horizon 2021-2022.

Nous nous sommes assurés que cette diminution ne porterait pas atteinte au développement de ces écoles, qui, pour compenser, vont devoir augmenter leurs droits d'inscription.

Une hausse de quel ordre ?

Le montant des droits, sera, comme chaque année redéfini à l’automne, en fonction des contraintes d'exploitation des établissements et des tarifs pratiqués par la concurrence. En parallèle, nous allons continuer à développer les établissements en élargissant la cible des formations, à l’instar du Bachelor lancé l'année dernière par l'ESCP Europe. Le Bachelor est un marché très rentable.

À quand un Bachelor pour HEC ?

Ce sera au conseil d’administration d’en décider. Il avait fini par décider de s’ouvrir à l'apprentissage, et finalement, face aux incertitudes liées de la réforme de la formation professionnelle, il a finalement suspendu sa décision.

L’enseignement supérieur français est souvent accusé d’élitisme. Ce type de mesure ne risque-t-il pas de nuire à l’ouverture sociale ?

C’est bien le danger. Dans une école comme HEC, le système de bourses, financé par la Fondation, fonctionne bien, et je ne connais pas un étudiant qui ait renoncé à y entrer pour des raisons pécuniaires. Mais il est vrai qu’en cas d’augmentation importante des frais d’inscription on court ce risque... Ce sera aux pouvoirs publics d'en décider.

Et qu’envisagez-vous pour l’Esiee et Ferrandi ?

Ferrandi, qui est en phase d’investissement, devrait retrouver son équilibre. En revanche, le cas de l’Esiee est plus préoccupant. Si l’État n'autorise pas à verser les 7 millions d’euros de taxe sur frais de chambre annuels pour équilibrer le compte d'exploitation de l’Esiee, je ne vois pas comment faire. Les frais de scolarité sont traditionnellement moins élevés en école d’ingénieurs qu’en école de commerce, et si on les augmente, les étudiants ne pourront pas payer.

Plus globalement, l’autre grosse difficulté va concerner les capacités d'investissement de nos écoles : à la suite des ponctions successives, la chambre ne dispose plus des capacités suffisantes pour assurer leur développement.

Comment y remédier ?

La seule solution est d’aller chercher de l’argent du côté des acteurs privés. Pour cela, nous allons doter toutes nos écoles d’un statut juridique. Pour l’instant, à l’exception de HEC et de l’ESCP, passées au statut d’EESC [établissement d'enseignement supérieur consulaire], et de l’Essec, ce sont des services de la chambre.

Ces filiales seront chapeautées par une holding enseignement supérieur dont la chambre restera majoritaire. Nous pourrons alors proposer à des acteurs privés ou institutionnels de rentrer au capital de ces établissements.

Nous allons compléter le dispositif par la création d’une foncière qui regroupera les actifs immobiliers des écoles. C’est une pratique courante : dans tous les secteurs, les entreprises séparent l’immobilier du reste ; gérer des bâtiments, c'est un autre métier. D’où notre décision, lors du changement de statut de l'ESCP Europe, de ne pas verser les murs à l’EESC.

Comment convaincre des acteurs privés d’investir dans vos écoles ? Les EESC, créées à cet effet, peinent semble-t-il à séduire les investisseurs…

Oui, le statut d’EESC ne permet pas d’engranger de dividendes, ni de plus-value à la revente. Investir dans une école n’est pas un investissement capitalistique classique : cela n’a jamais été la promesse de rendements mirifiques ! C’est en revanche un moyen de contribuer au développement d’une marque, d’une filière de formation, sachant qu'il sera possible d'être rémunéré en apportant du capital sous forme de dette. Investir dans la foncière offrira également une rémunération plus attractive.

Nous n'ouvrirons pas le capital de nos écoles à des fonds d'investissement ou de pension (D. Kling).

Qui pourrait être intéressé ? Bpifrance, la CDC ?

C’est vous qui le dites, mais pourquoi pas... Nous avons testé le marché, et je peux vous dire que beaucoup d’acteurs se sont montrés intéressés. Une chose est sûre : nous cherchons des acteurs prêts à s’investir dans la durée. Nous n’ouvrirons pas le capital de nos écoles à des fonds d’investissement ou de pension.

N’y a-t-il pas un risque de voir certains des fleurons de l’enseignement supérieur français se détourner de leur mission d’intérêt général au profit d’une logique de rentabilité ?

Certes, il y a un risque. Il faut définir avec les pouvoirs publics ce qu’est notre mission. Très concrètement, les trois grandes écoles de management qui bénéficient déjà du soutien d’acteurs privés via la Fondation ou les alumni vont voir ce partenariat s'intensifier. Ce qui peut avoir un impact sur leur stratégie. Mais ce n’est pas anormal que les entreprises qui vont recruter leurs diplômés demain aient leur mot à dire...

Je m'inquiète davantage pour certains centres d’apprentis. L’Inspection des finances nous reproche les 4 à 5 millions d'euros de taxe pour frais de chambre que nous versons chaque année à certains d’entre eux pour équilibrer leurs comptes. La réforme de la formation professionnelle prévoit que cette responsabilité incombe désormais aux régions, mais je ne suis pas sûr que, compte tenu de la baisse de leurs dotations, elles soient en mesure d’y parvenir. Et si le prix de la formation, fixé par France Compétences, n’est pas suffisant non plus pour compenser, ça va être très compliqué...

Former un apprenti en pâtisserie dans une école comme Ferrandi ou un spécialiste de l'image à Gobelins coûte plus de 10.000 euros. Si le niveau de prise en charge déterminé par la branche est inférieur au coût réel, comment faire pour trouver l’équilibre ? Nous n’aurons pas d’autre choix que de fermer l'apprentissage et facturer le coût de la formation initiale plein pot à des étudiants asiatiques qui font la queue à l’entrée.

Cécile Peltier | - Mis à jour le