Apprentissage en ligne, sécurité des données, learning analytics, intelligence artificielle… Sans surprise, à Educause, les expressions en vogue dans le secteur des EdTech ont émaillé les discussions et les débats. Durant quatre jours, à Philadelphie, les acteurs de la transformation numérique de l’enseignement supérieur américain ont livré leur vision du marché. Et dégagé les enjeux qui devront, c’est en tous cas le discours, être pris en compte dans les stratégies d’établissement au cours de l’année 2018. Si les préoccupations techniques y ont toute leur place, elles viennent répondre à des questionnements plus profonds autour des données et de la sécurité, liés notamment à l’évolution du système d’études américain et à son financement.
Comme chaque année depuis cinq ans, une délégation française, portée notamment par le CSIESR (Comité des services informatiques de l'enseignement supérieur et de la recherche), était présente à Educause. Dans un compte-rendu publié le 29 janvier 2018, elle revient sur les challenges à venir.
Remettre l’étudiant au cœur du système
Déjà présente en 2017, la volonté de remettre l’étudiant au centre du système éducatif revient en 2018 en tête de liste des priorités. Un comble, dans le secteur de l’enseignement supérieur ? Pas tant que ça… "Aux États-Unis, les universités publiques subissent de plein fouet la baisse des dotations fédérales et doivent courir après les fonds", observe Yves Epelboin, professeur émérite à Sorbonne université, membre de la délégation Educause et blogueur EducPros, lors de la présentation publique du rapport. Résultat ? Pour garder leurs étudiants et attirer un nouveau public, qui n’est plus disposé à payer des sommes astronomiques en frais de scolarité, les établissements doivent se réinventer.
Cela passe tout d’abord par la réussite étudiante : les outils de suivi pédagogique et de détection des décrochages scolaires, notamment, sont amenés à se développer. "Des choses commencent à se généraliser dans les universités américaines", constate Yves Epelboin. Grâce aux données institutionnelles recueillies (notes, relevés de présence, activités péri-scolaires, etc.) et à une analyse de ces datas qui reste encore obscure, selon l’enseignant, les établissements sont alertés quand un étudiant risque d’échouer.
De façon plus générale, l’enjeu est de repenser les services offerts aux étudiants. "Un facteur qui peut paraître surprenant, tant les campus des universités sont d’ores et déjà dédiés à la vie étudiante", note Laurent Flory, directeur des systèmes d’information de l’Université de Lyon. Désormais, pour capter les candidats, il faudra être en mesure de leur proposer des services numériques d’un genre nouveau.
Exemple parmi d’autres, celui de l’entreprise CytiLife, qui analyse les traces numériques des étudiants laissées sur le campus – horaires de fréquentation de la bibliothèque et des salles de sport, places choisies pour garer leur voiture – pour leur suggérer des activités et repérer les étudiants les plus isolés. Un service qui s’interroge peu sur les aspects liés à la vie privée, nuance Yves Epelboin.
Capitaliser sur l'or noir des données
Plus que jamais, que ce soit en matière de vie étudiante, d’apprentissage ou même de gouvernance des établissements, les données "sont partout et utilisées par tous", pointe Laurent Flory. Le risque, face à cette profusion d’informations, est de "récolter de la donnée pour la donnée", sans avoir défini d'objectifs clairs. Et de multiplier les sources, chaque laboratoires, école, composante, utilisant ses propres règles et méthodes de récolte.
L’enjeu est donc de mettre en place des outils mutualisés pour les établissements, que ce soit en les développant en interne ou par l’achat de solutions informatiques. Ce qui pose la question des infrastructures techniques dont disposent les établissements pour héberger ces outils. Si les data centers (centre de données) étaient la norme il y a encore quelques années, l’utilisation du cloud (données stockées en ligne) n’est plus un sujet tant son usage est répandu.
Opter pour une stratégie numérique claire
Alors que les établissements d’enseignement supérieur ne peuvent plus échapper à la vague numérique, il paraît crucial, selon les spécialistes d’Educause, de mettre en œuvre une stratégie globale en la matière. "Il s’agit là d’un véritable changement de paradigme, prévient Laurent Flory. Le numérique, au sens large, est de moins en moins un service support et de plus en plus un partenaire de la stratégie, voire un initiateur politique et un influenceur des stratégies d’établissement."
Le numérique est de moins en moins un service support et de plus en plus un influenceur des stratégies d’établissement. (L. Flory)
Souvent perçu comme une source importante de dépenses, le service informatique est par ailleurs l’un des premiers postes sur lesquels les établissements sont tentés de rogner. Malgré tout, "les universités ont ainsi pressenti le besoin d’avoir une instance qui pilote les dépenses afin de mesurer le retour sur investissement", note Nina Reignier-Tayar, directrice du numérique pour l’administration à l’université Grenoble-Alpes. Pour toutes ces raisons, les experts du secteur militent pour que les équipes numériques fassent désormais partie du premier cercle de gouvernance des universités.
Veiller à la sécurité des informations
Qui dit données, dit sécurité des données. Cette tendance ressort chaque année à Educause depuis 2016. L’enjeu ? Que les usagers des services numérique intègrent naturellement la dimension "sécurité" dans leurs pratiques. Un sujet qui prend une saveur particulière, en France comme aux États-Unis, en 2018, année de mise en œuvre du RGPD (règlement européen de la protection des données), règlement qui obligera notamment les structures à documenter l'ensemble de leurs traitements de données personnelles.
"C’est bien la première fois qu’un texte européen fait peur aux Américains", s’amuse Pascal Vuylsteker, Information Systems Manager au sein du CEMS (Global Alliance in Management Education). Si le RGPD effraie les États-Unis – tous les établissements recevant un personnel ou un étudiant européen ou disposant d’un campus en Europe seront concernés –, en France, la situation est loin d’être encore maîtrisée.
D’autant que les experts en sont sûrs : la question n’est plus : "Allons-nous être victimes d’attaque mais quand en allons-nous être victimes ?" note Pascal Vuylsteker. Une situation qui doit pousser les établissements à porter cette problématique dans les plus hautes instances décisionnaires. Une position qui fait l’unanimité, des deux côtés de l’Atlantique.
Educause, au rapport
Comme chaque année, la délégation française s'étant rendue à Educause fin 2017 a rédigé un rapport, qu'elle met à disposition du public.