Pourquoi l'école 42 reste l'extraterrestre du sup'

Céline Authemayou Publié le
Pourquoi l'école 42 reste l'extraterrestre du sup'
À l'école 42, 900 iMac répartis en trois salles de travail accueillent les élèves 24 heures sur 24. // ©  Denis Allard / R.E.A
En mars 2013, Xavier Niel ouvrait en grande pompe sa propre école de développeurs. Avec 42, le fondateur de Free entendait chahuter la galaxie de l’enseignement supérieur français en proposant un modèle hybride, gratuit et ouvert à tous, avec ou sans le bac. Après deux années de fonctionnement, l'établissement avance, fidèle à sa stratégie initiale. Avec tout de même une incertitude : l'insertion future de ses étudiants.

Les portiques de sécurité situés à l'entrée du bâtiment saluent chaque étudiant par son propre prénom. Bienvenue à l'école 42, temple du numérique et du “cool”, où une armée d'ordinateurs iMac côtoie un espace dédié aux jeux vidéo. La structure de 4.000 m2 située dans le XVIIe arrondissement parisien accueille, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, 1.700 étudiants venus plonger dans le grand bain du code.

Le 26 mars 2013, lors de l'inauguration de l'établissement privé, Xavier Niel, fondateur et financeur du projet, ne mâchait pas ses mots pour décrire un système éducatif français jugé inefficace pour répondre aux besoins du monde économique. Entouré d'anciens piliers de l'Epitech, école d'informatique bien installée dans le paysage du numérique, il proposait alors un modèle basé sur la gratuité de la formation et l'ouverture à tous (de 18 à 30 ans) sans condition de diplôme.

Sélection : des candidats scrutés façon “big data”

Deux ans après, les grandes lignes n'ont pas bougé. La deuxième rentrée, organisée en novembre 2014, a attiré quelque 50.000 candidats (contre 70.000 l'année précédente). Parmi les étudiants admis, 40% n'ont pas le bac. On trouve aussi bien des détenteurs d'un CAP (certificat d'aptitude professionnelle) cuisine qu'une kinésithérapeute, un agrégé de philosophie ou un normalien. Quant à la moyenne d'âge, elle est d'environ 22 ans.

Pour opérer sa sélection, "42" propose aux candidats une première série de tests sur Internet. Des exercices cognitifs, pour lesquels il n'y a pas besoin de savoir coder. "Notre but est de vérifier que le cerveau fonctionne", précise Nicolas Sadirac, directeur général et cofondateur de l'établissement.

Les 3.000 meilleurs candidats gagnent ainsi le droit de plonger dans la "piscine", examen in situ de quatre semaines, durant lequel les aspirants développeurs doivent résoudre une série de problèmes et développer des applications. Pour choisir les futurs élèves de 42, les membres de la direction observent de près le comportement des candidats via leur session de travail, le tout grâce à des outils logiciels poussés : s'assoient-ils toujours aux mêmes postes ? Avec qui ont-ils travaillé ? Pour analyser toutes ces données, un data scientist a été embauché.

"On se trompe assez peu sur le recrutement", se satisfait Nicolas Sadirac, qui décrit le candidat parfait comme technophile, aimant le travail de groupe et capable de fournir une quantité de travail importante.

Pas d'enseignants pour noter : place au "pair à pair"

Pour accompagner les 1.700 élèves, l'équipe pédagogique compte seulement... 15 personnes. Un nombre on ne peut plus réduit qui s'explique simplement : à 42, il n'y a pas de cours ! "On ne cherche pas à ce que l'étudiant sorte avec des connaissances, affirme Nicolas Sadirac. Pourquoi les stocker quand tout est disponible sur le Web ? Les élèves doivent acquérir la capacité d'aller chercher l'information quand ils en ont besoin. Car dans un monde qui évolue très vite, ce qui est vrai un jour peut être faux le lendemain."

Et l'autonomie va encore plus loin. Chaque étudiant doit réaliser une série de projets pour pouvoir valider son diplôme. À lui de se fixer une date de rendu pour chaque projet et de s'y tenir. Depuis peu, l'idée d'année scolaire a même été gommée : le cursus, initialement conçu pour courir sur trois années, peut donc durer quatre ans et demi comme deux ans. Quant à l'évaluation, place au "pair à pair". Il est demandé aux élèves de se prononcer sur le travail de leurs camarades. "Nous rédigeons tout de même des barèmes, pour guider les étudiants dans leur évaluation", précise David Giron, responsable pédagogique.

Cette façon de fonctionner peut dérouter certains élèves, ou à l'inverse en enthousiasmer d'autres. "Mon but est de terminer au plus vite ma formation", argumente Antoine. À 25 ans, le jeune homme, diplômé de l'école de commerce Audencia ne compte pas ses heures et travaille en moyenne dix heures par jour. Sa plus grande force ? "Mon autonomie ! Ici, nous sommes lâchés dans la nature et il est essentiel de savoir se prendre en main." Une compétence qu'il avoue avoir acquise... en classe prépa.

"Nous avons conscience que notre modèle ne peut pas fonctionner pour tous les profils, précise Nicolas Sadirac. C'est pour cette raison que le système éducatif doit être extrêmement diversifié."

Quand l'originalité attire les partenaires

Sa liberté pédagogique, l'école 42 dit la devoir à sa non-reconnaissance par le système éducatif français. Elle ne délivre d'ailleurs pas de diplôme à la sortie. "Personnellement, ça ne me stresse pas, affirme Antoine. Mais il faut dire que, contrairement à beaucoup de mes camarades, j'ai déjà un diplôme. Cela aide à relativiser !"

Du côté des entreprises, le sujet ne semble pas être un réel problème. "Aujourd'hui, le marché du numérique a un besoin impératif de main-d'œuvre, constate Christian Colmant, délégué général de l'association Pasc@line. Les formations innovantes, à l'image de l'école 42, répondent à ces besoins." 

Quand un extraterrestre pointe le bout de son nez, tout le monde veut lui parler. (N. Sadirac)

L'Oréal, Dassault, Axa, mais aussi des start-up... Les demandes de partenariat affluent, pour pratiquer un sport devenu national à 42 : le hackathon. Pendant une journée ou un week-end, les élèves planchent sur des projets livrés par les entreprises partenaires. "La force de l'école 42 est de tout miser sur la collaboration pédagogique, note Guillaume Roques, directeur des "relations développeurs" pour la zone Europe, Moyen-Orient et Afrique chez Salesforce. C'est un point fort indéniable car, aujourd'hui plus que jamais, le succès des entreprises passe par la capacité de collaborateurs aux profils très divers à travailler ensemble."

Mais au-delà des entreprises, ce sont aussi des établissements d'enseignement supérieur qui viennent humer l'air du côté de 42. "Stanford, Berkeley, le MIT (Massachusetts Institute of Technology)... Quand un extraterrestre pointe le bout de son nez, tout le monde veut lui parler, se réjouit Nicolas Sadirac. On ressemble tellement peu à l'existant qu'on ne souffre d'aucune comparaison. Cela nous fait gagner un temps fou !"

Objectif : 150 créations d'entreprise par an

Depuis son lancement, moins de 10% des élèves ont arrêté la formation en cours de route, selon la direction. Parmi eux, une majorité auraient justement trouvé un emploi suite à la période de stage obligatoire. D'autres se sont réorientés. "On compte assez peu d'échecs", estime Nicolas Sadirac, qui prédit un avenir radieux aux 1.700 élèves, avec un marché favorable et des entreprises réceptives.

"Aujourd'hui, le recul est réduit quant à la qualité de la formation et aux compétences acquises par les élèves, prévient prudemment Christian Colmant (association Pasc@line). Au cours des années qui viennent, il faudra rester attentif sur ces points précis." Et attendre qu'un gros flux de diplômés estampillés “42” se présentent sur le marché du travail.

L'absence d'un socle traditionnel de connaissances délivré par ce cursus rend tout de même certains acteurs du milieu sceptiques. "Les étudiants issus de 42 seront-ils capables de s'adapter au cours de leur carrière ?, questionne ainsi Alain Ayache, ancien directeur de l'Enseeiht (École nationale supérieure d'électrotechnique, d'électronique, d'informatique, d'hydraulique et des télécommunications). Si la réponse est oui, alors bravo. Sinon, cela signifie qu'ils auront été trompés."

Les étudiants de 42 seront-ils capables de s'adapter au cours de leur carrière ? Si la réponse est oui, alors bravo.
(A. Ayache)

Du côté de 42, l'objectif affiché est clair : voir naître chaque année 150 entreprises, dont cinq gros succès à la Google. Cela permettrait aussi à l'école de s'assurer une source de financement, via le versement de la taxe d'apprentissage par exemple. Même si, pour le moment, le budget n'est pas un problème. Le développement de l'école est porté par les reins solides de Xavier Niel, financeur à 100% du projet. Avec un investissement de 70 millions d'euros sur dix ans, 42 n'a pas à se poser la question vitale du modèle économique.

De quoi laisser rêveuses bon nombre d'écoles, qui se battent pour trouver des sources pérennes de financement. "Nous commencerons à nous poser des questions de budget dans cinq ans, avoue Nicolas Sadirac. Si nous ne sommes pas capables de faire naître cinq gros succès par an, c'est que nous aurons échoué. Il n'y aura alors plus de raisons de nous financer."

Numérique : place aux formations hybrides
L'école 42 n'est pas la seule à proposer un modèle pédagogique hybride aux métiers du numérique. Les initiatives originales se multiplient, à l'image de Weforce3, 3W Académie, ou encore Simplon. Créée en février 2013 en banlieue parisienne, cette dernière, "fabrique sociale de codeurs", est reconnue entreprise sociale et solidaire par l'État et financée notamment par du mécénat d'entreprise et des subventions publiques.

La structure accueille des jeunes – et moins jeunes – venus se former au code pour développer leur projet autour du numérique. La formation y est gratuite et accessible à tous, sans condition de diplôme. Et le modèle essaime : Simplon vient de s'installer à Marseille, à travers un partenariat noué avec l'École centrale.

Les institutions "classiques" de l'enseignement supérieur proposent elles aussi des nouveaux modèles. Via son école d'informatique Epitech, le groupe Ionis, déjà à l'origine de la Web@cadémie, vient de lancer la Coding Academy, ouverte aux titulaires d'un bac+2.

Le but : former en quelques mois des professionnels capables de s'adapter très vite aux nouvelles problématiques du secteur. "Dans le numérique, l'important n'est pas la technologie mais la résolution du problème, argumente Emmanuel Carli, directeur de l'Epitech. On ne peut pas apprendre l'informatique comme les sciences physiques."

Du côté de l'université aussi, de nouvelles formations voient le jour. Dernière née, UHA 4.0, portée par l'université de Haute-Alsace, s'adresse à des jeunes détenteurs du bac et "qui ne se retrouvent pas vraiment dans le système classique", note Pierre-Alain Muller, vice-président Innovation de l'université.

Formés à travers des projets apportés par les entreprises, les étudiants obtiennent chaque année un diplôme universitaire et peuvent aller, s'ils le souhaitent, jusqu'à la licence professionnelle. Coût de la formation : 4.000 €. Un moyen pour l'établissement d'expérimenter un nouveau modèle économique.

Céline Authemayou | Publié le