"En France, l'école nous met dans des cases très tôt. J'ai été orienté malgré moi vers un bac technologique. Mais j'ai quand même réussi à intégrer en master une grande école de commerce, l'ESCP-Europe", témoigne en visioconférence depuis New York, Jonathan Anguelov, 31 ans, cofondateur de Aircall, une start-up en pleine croissance spécialisée dans la téléphonie d’entreprise et basée à Paris et à New York.
Lors de la Conférence annuelle des entrepreneurs, organisée le 26 novembre 2018 à Paris et consacrée cette année à la révolution de l'éducation et de la formation au 21e siècle, ce jeune entrepreneur a entonné le refrain de la supposée inadéquation des formations au besoins des entreprises : 300.000 à 400.000 emplois non pourvus, un taux de chômage des jeunes en France de près de 23 % en 2018...
Un enseignement à individualiser
Pour Gilles Pécout, recteur de la région académique Île-de-France et recteur de l'académie de Paris, si le système éducatif est encore performant, il laisse aussi beaucoup de jeunes de côté : "Pour ceux qui estiment n'avoir pas réussi, le système éducatif a failli, je le reconnais."
Comment pallier au phénomène massif de décrochage scolaire (encore près de 98.000 jeunes sortent du système scolaire sans aucun diplôme, ni emploi) ? "Nous devons prendre en compte deux paramètres contradictoires, souligne Gilles Pécout. D'une part, l'école est devenue une école de masse ; d'autre part, il nous faut aller de plus en plus vers un enseignement individualisé. C'est la quadrature du cercle ! Le problème est à la fois pédagogique et économique : Comment faire pour intéresser les jeunes et les insérer sur le marché du travail ?"
Gilles Pécout plaide pour une meilleure connaissance réciproque entre enseignement et entreprise : "C'est très bien que des professeurs s'immergent trois jours en entreprise pour en comprendre le fonctionnement. Je demande juste la réciprocité des connaissances : que les entrepreneurs viennent aussi en immersion une journée à l'école, non pas pour y donner une conférence, mais pour écouter et apprendre ! "
"Des ponts se créent et les gens se comprennent mieux que l'on ne pense", sourit Xavier Delattre, directeur général de la Fondation Entreprendre, qui a mis au point plusieurs programmes afin de sensibiliser et initier les jeunes à l'esprit d'entreprendre, notamment celui des mini-entreprises, qui permet chaque année à plusieurs dizaines de milliers de collégiens et lycéens de découvrir l'organisation d'une entreprise et de s'initier à la gestion de projet.
"Les mini-entreprises ont changé le rapport des jeunes à l'enseignement. Ils découvrent qu'il peut être fun d'apprendre", se félicite Xavier Delattre. Autre programme de la fondation destinés aux jeunes : le réseau 100.000 entrepreneurs, créé par Philippe Hayat, qui diffuse depuis dix ans la culture de l'esprit d'initiative auprès des élèves du secondaire.
Culte du diplôme versus culture des compétences ?
"Le culte du diplôme doit disparaître au profit de la culture de la compétence", argue pour sa part Grégoire Sentilhes, président de l'association Citizen entrepreneurs. "Nous sommes entrés dans une bataille des compétences", confirme Muriel Pénicaud, ministre du Travail. L'évolution des technologies et la transition numérique concernent tous les emplois, les territoires, les secteurs d'activités et les sociétés, de la micro-entreprise à la multinationale.
Des changements à choisir plutôt que de les subir. "Dans la loi sur la Liberté de choisir son avenir professionnel promulguée le 5 septembre 2018, nous avons inscrit un véritable droit à la formation. Nous sommes le premier pays au monde à proposer cette mesure. Dix-neuf millions de salariés disposeront, chaque année, d'un crédit de formation de 500 euros, 800 euros s'ils n'ont pas de diplôme, et ce tout au long de leur vie professionnelle", rappelle la ministre.
Si le recrutement par compétences commence à se diffuser, le diplôme n'en continue pas moins d'avoir la côte. "Il va être statistiquement très compliqué de réussir sans diplôme", rappelle Sylvain Bureau professeur associé à l'ESCP Europe et directeur de l'Institut Jean-Baptiste Say pour l'entrepreunariat.
"Être capable de créer de la confiance, savoir négocier, créer du liant ou de la transversalité en entreprise… Bien sûr, les qualités humaines ou "softskills" prennent de l'importance et deviennent de vraies compétences. Mais attention ! La connaissance des savoirs fondamentaux reste cruciale sous peine d'être largué, tempère Xavier Delattre. Plus il y a d'informations, plus il faut savoir lire et savoir lire vite."
L'enseignement professionnel revalorisé
De quoi renforcer le discours du ministre de l'Éducation nationale et de la Jeunesse, Jean-Michel Blanquer, venu promouvoir son école de la confiance et les différentes réformes engagées : "Ma première priorité c'est l'école primaire. Il faut absolument avoir consolidé les savoirs fondamentaux. Car quand on parle d'apprendre à apprendre, de capacité d'adaptation, il faut déjà bien savoir lire, écrire, compter… et respecter autrui ! C'est dès l'enfance que l'on doit comprendre que l'on gagne à plusieurs, que travailler en équipe est essentiel."
Et Jean-Michel Blanquer de se livrer à un éloge de l'esprit d'entreprise : "Si tout le monde ne va pas créer une entreprise, on a besoin de cultiver un esprit d'initiative, et de maîtriser de la création de projet. Même dans les administrations ! À l'Éducation nationale, j'aime quand les gens font des propositions, créent un projet et le réalisent à plusieurs. En France, on a besoin d'entrepreneurs, c'est une bonne chose que cet état d'esprit soit cultivé dès l'école."
Le ministre a fait le lien avec l'actuelle réforme de l'enseignement professionnel : "Nous voulons en faire la locomotive de ce qu'on a à dire des grandes tendances de la société du 21e siècle : le numérique, la transition écologique et les nouvelles pratiques pédagogiques." Les campus des métiers - que le gouvernement entend développer - pourraient être le symbole de la réconciliation du monde économique avec celui de l'enseignement secondaire et supérieur.