Edhec-Risk Institute exporte son modèle d'entreprise de recherche à Singapour

Jessica Gourdon, envoyée spéciale à Singapour Publié le
Edhec-Risk Institute exporte son modèle d'entreprise de recherche à Singapour
L'antenne de Singapour // © 
Le laboratoire spécialisé en finance et hedge funds de l’Edhec installe une antenne à Singapour. Avant de poser de nouveaux jalons à Londres et New York. Un modèle à mi-chemin entre l'entreprise et le centre de recherche, original dans le paysage de la recherche française. Histoire d'un labo qui n'en finit plus de grossir.

S’installer à Singapour ? Noël Amenc, l’intarissable patron de l’Edhec Risk-Institute , le reconnaît : « au début ce n’était pas dans nos plans ». Cet institut spécialisé en finance, labo « star » de l’Edhec, a pourtant inauguré ses locaux le 21 janvier 2011 , au septième étage d’une des tours du "dragon" asiatique. Dès février 2011, des programmes de formation continue (séminaires, un master of science , et un PhD) y seront dispensés.

Repérés par les Singapouriens

L’histoire remonte à 2008, lorsque des membres du bureau du développement économique de Singapour appellent Noël Amenc (voir photo ci-contre), à son QG de Nice. « Ils nous avaient repérés comme des spécialistes des hedge-funds. »

Début 2010, un contrat est signé : le gouvernement de Singapour finance une partie de l’installation de l’Edhec-Risk Institute (plusieurs millions d’euros, le montant reste secret) ; en échange, celui-ci met en place ses formations sur la gestion d'actifs, à destination des entreprises locales. Une dizaine de salariés permanents seront bientôt sur place. Budget de l’opération : 28 millions d’euros sur 5 ans pour l'Edhec.

Un labo auto-suffisant

Etonnant ? Pas tant que ça. Depuis cinq ans, l’Edhec-Risk Intitute est le laboratoire en finance qui monte. Rassemblant à sa création, en 2001, une dizaine de professeurs, il regroupe aujourd’hui 50 permanents - dont 35 enseignants-chercheurs. Avec un budget de 8 millions d’euros, c’est un des labos de gestion les plus riches de France.

« C’est un des rares centres de recherche auto-suffisant financièrement », remarque Olivier Oger , directeur de l’Edhec. De nombreuses entreprises participent à son financement (Société Générale, Axa, la banque Rothschild…), et apportent au minimum 200 000 € par an, dans le cadre de chaires. En 2008, la Deutsche Bank a même mis sur la table un million d’euros. La crise n'a pas remis en cause ce financement.

Une politique marketing de la recherche

A l’origine, la réussite de l’Edhec-Risk tient pour beaucoup au rayonnement de ses publications, produites par des professeurs « bankables » (Florencio Silanes, Lionel Martellini, René Garcia). Mais le succès de cette « entreprise de recherche », selon les mots de Noël Amenc, est aussi lié à la politique de dissémination de ses travaux tous azimuts : publications à destination de professionnels, « position papers » sur l’actualité, foisonnant site web, conférences de présentation des travaux de recherche, séminaires. « Notre newsletter mensuelle est envoyée à 700 000 personnes, dont 180 000 en Asie », illustre Noël Amenc.

Cette stratégie de marque paie : « Les travaux de l’Edhec-Risk Institute sont cités au moins 20 fois par an dans le Financial Times depuis 2007, et au total, nous avons eu plus de 2 000 reprises dans la presse économique internationale ». Afin de commercialiser ses résultats, le laboratoire a même créé une filiale, qui appartient en partie aux professeurs, et qui vend des indices de performance aux entreprises.

En outre, l'Edhec-Risk Institute est très actif à l’international, afin d'y implanter ses formations spécialisées. Après Singapour, l’institut va inaugurer ses locaux à Londres en avril 2011, et prévoit une filiale à New York en 2012 ou 2013. Pour couronner le tout, les professeurs sont rémunérés à la performance, « en fonction des citations de leurs travaux, mais aussi de l’argent qu’ils ramènent ».

Un modèle qui intrigue

Forcément, ce modèle hybride, mi centre de recherche, mi entreprise, mi think-tank, fait jaser : « Beaucoup ne comprennent pas comment ils ont trouvé tout cet argent », s’agace un universitaire. « Ce modèle de production/diffusion est assez inhabituel dans le paysage français. C'est un fonctionnement qui s'apparente à la fois à celui d'une entreprise privée et à celui d'un laboratoire de recherche », observe Patrick Roger, professeur en finance à l’université de Strasbourg.

La volonté de l’Edhec-Risk Institute d’être présent dans tous les médias, même sur des sujets économiques plus généraux, étonne. « Ils veulent à tout prix émerger, à grand renfort de publicité et de marketing, quitte à parfois prendre la parole sur des champs extérieurs à leurs domaines », constate Sofiane Aboura, enseignant-chercheur à Dauphine, qui souligne néamoins la « grande qualité » des travaux.

D’autres pointent de potentiels conflits d’intérêts : « Pendant la crise, il leur était délicat de critiquer les hedge-funds, car ils y sont trop liés, financièrement parlant », note un enseignant. De là à qualifier leurs travaux de consulting de très haut niveau, il n’y a qu’un pas. Noël Amenc balaie cet argument d’un revers : « Cela n’a rien à voir. Nos chercheurs sont complètement libres, nos travaux sont tous accessibles gratuitement. Et notre position sur les hedge-funds est totalement argumentée. » De quoi, en tout cas, susciter le débat.

Jessica Gourdon, envoyée spéciale à Singapour | Publié le