Emmanuel Zemmour (président de l’UNEF) : "Il faut un sommet de la jeunesse pour engager une politique coordonnée et cohérente"

Propos recueillis par Sylvie Lecherbonnier et Emmanuel Vaillant Publié le
Moins de deux mois après l’élection de François Hollande à la présidence de la République, Emmanuel Zemmour, président de l’UNEF (4 élus au CNESER, 4 élus au CNOUS), dresse un premier bilan en guise d’avertissement à l’attention du gouvernement. Le syndicat étudiant demande un sommet de la jeunesse pour que les politiques des différents ministères soient coordonnées et ne veut pas du "match retour de la LRU". Le tout dans un contexte électoral tendu, entre les résultats des élections au CNESER et les élections aux CROUS fin 2012.

Une première question d’actualité : suite aux élections du CNESER (Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche) du 7 juillet 2012, l’UNEF arrive certes en tête mais remporte 4 sièges contre 5 dans le conseil sortant. Est-ce un échec ?

Non. Les résultats électoraux sont bons avec 36 % des suffrages exprimés, un chifrre stable par rapport à 2010. Aussi, l’UNEF dépassent les 50 % dans certaines universités et est représenté dans tous les CA. Par contre, le fait que nous perdions un siège est lié à deux problèmes. Cela tient d’une part à une décision unilatérale du ministère prise à quinze jours de l’élection de ne pas faire participer les élus suppléants au CA. Cela a nui à la représensation des étudiants des universités, et notamment de l’UNEF. D’autre part, dans huit universités, les votes des étudiants n’ont pas été pris en compte pour des causes d’erreur de manipulation. C’est pourquoi nous allons faire un recours pour demander une annulation du scrutin.

Plus globalement, comment jugez-vous les débuts du gouvernement Ayrault et quelles sont vos impressions suite à votre rencontre avec la ministre de l’Enseignement supérieur, Geneviève Fioraso ?

Les premières mesures, telle que l’abrogation de la circulaire Guéant, la promesse de sécurisation des versements des bourses ou encore la réouverture du dossier sur la mastérisation vont dans le bon sens. Aussi, nous avons été les premiers à être reçus par la ministre Geneviève Fioraso et le contact a été bon. Elle nous a fait part de sa volonté de dialogue, nous a dit ne pas vouloir jouer des effets d’annonces, en rupture avec le précédent quinquennat, et elle souhaite s’engager sur des promesses qui pourront être tenues. Cependant, si la direction semble être la bonne, nous avons encore le sentiment que cela avance à tâtons sans une vision politique globale sur la question de la jeunesse. Nous avons entendu les engagements, nous avons entendu la priorité faite à la jeunesse, mais nous ne connaissons toujours pas la feuille de route précise.

Pourtant lorsque la ministre de l’Enseignement supérieur dit vouloir redonner du pouvoir à la représentation étudiante, c’est clair non ?

Les fusions d’universités et la LRU nous ont coûté cher en termes de démocratie étudiante.

Certes elle veut redonner une place aux étudiants dans les universités, et c'est nécessaire. Les fusions d’universités et la LRU nous ont coûté cher en termes de démocratie étudiante. Les étudiants ont moins de pouvoirs dans les universités, ce qui crée des déséquilibres et exacerbe les divergences au sein de la communauté universitaire. Dans les conseils d’administration, les étudiants n’ont plus que cinq élus sur plus de trente membres et la LRU a supprimé les prérogatives des CEVU (Conseil des études et de la vie étudiante), seule instance dans laquelle les étudiants sont représentés à la hauteur de leur poids réel au sein des universités.

Les Assises de l’enseignement supérieur prévues à l’automne prochain ne seront-elles pas l’occasion de remettre à plat ces questions ?

Peut-être mais notre inquiétude vis-à-vis de ces Assises est de voir se développer une politique universitaire autonome, dans sa bulle. Ce que l’on craint c’est que ces Assises soient une réponse à la communauté universitaire après cinq ans de maltraitance. Or, il ne suffit pas de revenir sur les frustrations générées par Nicolas Sarkozy. On ne veut pas se restreindre à faire le match retour de la LRU. Une nouvelle loi oui, mais pour quoi faire? Ce qui intéresse les étudiants en priorité c’est : comment ils vont être formés, quels moyens pour l’université, quelle reconnaissance pour leur diplôme sur le marché de l'emploi, etc. Le message que nous avons alors fait passer à la ministre, c’est d'intégrer les questions relatives à l'enseignement supérieur à un sommet de la jeunesse.

Un sommet de la jeunesse, comment et pour quoi faire ?

Nous réclamons un sommet de la jeunesse, organisé sous l’égide du Premier ministre, qui réunirait tous les ministères concernés par les questions de jeunesse : l’éducation nationale, l’enseignement supérieur, les affaires sociales, le logement, l’emploi, la jeunesse et l’apprentissage… Pour engager une politique jeunesse coordonnée et cohérente. Or, ce qui se dessine actuellement, c’est la multiplication de dispositifs pour les jeunes, liés à des problématiques spécifiques, mais sans grand chantier.

Concrètement, quelles sont vos revendications ?

Il faut une politique d’aides sociales qui n'enferme plus les étudiants dans la précarité ou dans la dépendance vis-à-vis de leurs parents.

Nous voulons pouvoir négocier un plan pluriannuel pour la jeunesse avec trois axes sur lesquels nous ne transigerons pas parce qu'ils sont au cœur des injustices que vivent les jeunes. D’abord il faut un vrai mouvement de relance de la démocratisation de l'enseignement supérieur pour qu'aucun jeune ne soit plus écarté d'une formation de qualité. Cela nécessitera un investissement financier conséquent dans le service public de l'enseignement  supérieur, et pas seulement dans le secondaire, ainsi que des réformes structurelles comme une nouvelle architecture du cycle licence. Ensuite, il faut une politique d’aides sociales qui n'enferme plus les étudiants dans la précarité ou dans la dépendance vis-à-vis de leurs parents. Rappelons que 300.000 jeunes sont indépendants de la déclaration fiscale de leurs parents et ne touchent pas un euro d’aide de l'Etat. L’allocation d’autonomie universelle dans le cadre d'un statut social du jeune en formation est la solution que nous portons. François Hollande n’a pas encore précisé les contours de son projet d'allocation d'étude, mais s’il conduit le dialogue social de façon cohérente il devra y venir, c'est une question de pragmatisme. Le redéploiement de la demi-part fiscale dans les aides sociales étudiantes serait un premier pas important. Enfin, sur l’emploi, 400.000 jeunes de moins de 25 ans ne disposent d’aucune ressource. L’extension du RSA est une nécessité. Cela doit s’accompagner de mesures précises pour améliorer l’insertion des jeunes, comme par exemple une réglementation des stages qui se substituent à de réels emplois.

Est-ce plus facile ou plus compliqué de se faire entendre par un pouvoir de gauche avec lesquels vous ne manquez pas de liens ?

En fait ce qui change, c’est que nous partageons peu ou prou le même constat. Quand on a un gouvernement qui reconnaît qu’il y a de la précarité étudiante, on n’a pas besoin de convaincre qu’il y a un problème à régler d'urgence. Reste ensuite à voir comment le résoudre. En tant qu’organisation syndicale, nous avons un rôle de contre-pouvoir que nous comptons jouer pleinement avec les outils qui sont les nôtres et qui ne changent pas : la construction d'un rapport de force par des campagnes revendicatives, des pétitions, etc. et qui lie la mobilisation des étudiants et la négociation responsable pour obtenir des réponses.

Justement, n’êtes-vous pas dans une surenchère des revendications en cette période d’élections étudiantes, au CNESER dernièrement puis aux CROUS en novembre prochain ?

C’est un service que l’on rend au gouvernement que de lui mettre la pression.

Les élections étudiantes sont un moment fort pour faire entendre la parole syndicale. Pendant un an, le débat était focalisé sur les élections présidentielles. Il y a une alternance, le "changement" arrive, très bien. Maintenant on ne va pas dire : "circulez, il n’y a rien à voir". Ce n’est pas parce que la gauche est au pouvoir qu’on ne va pas dénoncer le fait que l’on ne voit pas de projet politique clair par exemple. On demande à faire entendre nos arguments dans un cadre de négociation. On ne veut pas que le dialogue social soit une simple politique de consultation.

Pour un syndicat réputé à gauche vous ne semblez pas prêt à accorder le moindre état de grâce au gouvernement ?

Les jeunes ont voté en majorité pour François Hollande. Beaucoup aussi n’ont pas voté, notamment aux législatives. La gauche a tous les pouvoirs et n'aura aucune excuse en cas d'échec. Des espoirs se sont levés. C’est un moment historique, en ce début de quinquennat, pour faire la politique de jeunesse qui a manqué à l’Italie, à l’Espagne et à la Grèce. Il n’y a pas d’état de grâce parce que nous sommes dans une situation d’urgence. La précarité ne fait que s’accroître. Si notre syndicat étudiant ne porte cela pas au cœur de la société, personne ne le fera à notre place. C’est un service que l’on rend au gouvernement que de lui mettre la pression.


Les résultats des élections au CNESER 2012

Lors des élections des onze représentants étudiants au CNESER (Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche) dont les résultats ont été connus ce samedi 7 juillet 2012, l’UNEF est arrivé en tête avec 36,3 % des suffrages et remporte 4 sièges (contre 5 dans le conseil sortant). La FAGE qui arrive en deuxième position dispose 3 sièges, devant PDE (2 sièges), l’UNI (1 siège) et la Confédération étudiante (1 siège).

Lire aussi le billet de Pierre Dubois :

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Propos recueillis par Sylvie Lecherbonnier et Emmanuel Vaillant | Publié le