"Entre les murs", chronique d'un prof ordinaire

François Bégaudeau Publié le

« Entre les murs » est sur toutes les affiches, avec la sortie du film de Laurent Cantet, mercredi 24 septembre 2008. Palme d'or à Cannes en 2008, ce film est tiré du livre éponyme de François Bégaudeau (Gallimard, 2006). Un roman qui décrit le quotidien d’un collège difficile. Cette véritable plongée dans une salle de classe, avec un professeur de français ordinaire, laisse transparaître un état de tension permanente et un monde en soi, enfermé entre les murs. Nous avons lu pour vous l'opus de François Bégaudeau.

La langue française au premier plan

Sans artifices, sans analyses, le vécu un point c’est tout. Les heures de classe passent, mais ne se ressemblent pas. « Ca veut dire quoi en locurance m’sieur ? » demande une collégienne. « C’est un pays, Y’a des gens qu’habitent en Locurance », répond, non sans ironie, le professeur. Cassant, imparfait et humain, l’enseignant s’adapte à chaque question, si imprévue soit-elle. « C’est quoi la tuition ? », « M’sieur pourquoi dans les exemples c’est toujours Véronique et jamais, j’sais pas, Fatimah ou quoi qu’ce soit ? ». Prises de parole dans tous les sens, mais sans avoir levé le doigt. Le professeur n’abandonne pas et persiste à transmettre une langue qui paraît bien compliquée à ces jeunes collégiens. « Ça s’appelle comment quand on dit le contraire de ce qu’on pense tout en faisant comprendre qu’on pense le contraire de ce qu’on dit ? », demande-t-il avec espoir. Recompensé cette fois-ci « C’est pas l’ironie ? », improvise un élève.

Soif de débat, entre ces murs qui se rapprochent les uns des autres, au risque de broyer tout le monde.

« - M’sieur c’est qui qu’a gagné hier ?

- Gagné quoi ?

- La politique.

- C’est la gauche. […]

- Et c’est bien ça ?

- Ça c’est à chacun de voir, c’est le principe du vote. Ils ont souri.

- Oui mais nous on comprend rien ».

Un fossé avec la réalité entre les murs

Brute, l’écriture est vivante, orale, jusqu’à ne plus savoir qui parle. Le brouhaha d’une salle des professeurs où l’inquiétude laisse place à la colère ou même la crise de nerf. « J’en ai marre de ces guignols, j’peux plus les voir, j’veux plus les voir. Ils m’ont fait un souk j’en peux plus. (…) J’ai essayé de les tirer mais ils veulent pas, c’est tout, y’a rien à faire », craque une enseignante. Le décalage entre ce qu’il est possible de faire et ce qui est demandé à l’institution apparaît sans cesse plus grand. Impossible de suivre les programmes. En toile de fond, l’actualité du monde extérieur accentue cette impression de décrochage.

Exemple : les 22 questions du débat national sur l’école, organisé durant cette année scolaire, prennent un caractère irréaliste et très loin de la réalité. François Bégaudeau choisit simplement de publier la liste des pistes de réflexion, brute. « 1. « Quelles sont les valeurs de l’école républicaine et comment faire en sorte que la société les reconnaisse ? Quelles doivent être les missions de l’école, à l’heure de l’Europe et pour les décennies à venir. 3…. ». Le langage même paraît d’un autre âge, deconnecté face à la question de Dounia, réelle, « M’sieur, à la télé ils ont dit y’aura un débat dans les collèges ».

Conseils de discipline et violences ordinaires

Les scènes de violence existent, elles, pour de vrai. Les conseils de discipline ponctuent les mois qui passent. Avec toujours le même refrain concernant l’exclusion définitive, sanction « à valeur éducative », qui offrira à Idrissa ou Souleymane « la possibilité de se reconstruire ailleurs », selon les mots du principal. Aucun jugement, aucune ironie de l’auteur qui relate simplement le rituel. Enfermé dans l'enceinte du collège, seules les difficultés parviennent à pénétrer les murs. « La maman de Ming, qui est en quatrième, est sous le coup d’un arrêté d’expulsion. Elle va être jugée la semaine prochaine, elle risque d’être renvoyée en Chine ». Paroles en salle des professeur. Aucune prise de position ni de jugement. François Bégaudeau témoigne, sans conclusion. « Donc un prof, sa vie a du sens ? », demande un jour Lydia à son professeur. Réponse sage, « Bah oui, parce qu’il a une mission et tout ».

Camille Stromboni

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